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Licenciement sur la base de l’état de santé : exigence d’un but légitime et de moyens appropriés

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Namur), 8 octobre 2018, R.G. 17/530/A

Mis en ligne le mardi 7 mai 2019


Tribunal du travail de Liège (division Namur), 8 octobre 2018, R.G. 17/530/A

Terra Laboris

Par jugement du 8 octobre 2018, le Tribunal du travail de Liège (division Namur) reprend la jurisprudence récente relative au contrôle judiciaire de l’existence d’une discrimination pour état de santé, la charge de la preuve étant inversée dès lors que la partie demanderesse établit qu’existe une présomption de comportement discriminatoire.

Les faits

Une puéricultrice (avec statut APE) travaille pour compte d’une commune dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée. Au fil du temps, étant engagée initialement à mi-temps, elle signe d’autres contrats de remplacement de collègues. Les deux premiers contrats signés sont des contrats de remplacement au sens légal, étant conclus à durée indéterminée mais contenant une clause de rupture automatique par le retour de la personne remplacée.

Un troisième contrat est, au contraire, conclu à durée déterminée, étant qu’il est affecté d’un terme. Dans le cours de celui-ci, l’intéressée tombe en incapacité de travail et doit elle-même être remplacée. Ceci se fait via une augmentation temporaire de la charge de travail d’autres collègues. Après son retour, elle signe de nouveaux contrats, à temps très partiel et de courte durée.

Elle retombe encore en incapacité de travail en 2011 et, en fin de compte, est licenciée en avril 2016. Le registre des délibérations fait état d’une incapacité de travail de très longue durée. Il est exposé que l’intéressée avait, pendant son incapacité, été remplacée dans le cadre de contrats de remplacement mais que ceux-ci doivent être limités dans le temps, sous peine d’être transformés en contrat à durée indéterminée. Les inconvénients liés aux contrats de remplacement successifs sont soulignés, étant la déstabilisation des équipes, la remise en question des horaires, ainsi que les effets négatifs sur le climat de confiance avec les parents et les enfants. Il est conclu à une désorganisation du travail.

Le motif est contesté et UNIA intervient dans un courrier, faisant état de son incompréhension de la situation.

Une procédure est introduite par l’intéressée sur pied de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend la problématique liée à l’absence de définition dans la loi des critères « état de santé » et « handicap », ainsi que les définitions en matière de différences de traitement, étant les discriminations directes et indirectes.

Renvoi est fait à une précédente décision (Trib. trav. Liège, div. Liège, 13 mars 2018, R.G. 16/784/A) rendue à propos d’un motif tiré des perturbations de l’entreprise. Dès lors qu’il s’agit de réduire celles-ci, le but de l’employeur est légitime, le tribunal ayant précisé dans ce jugement que tenter de sauvegarder une entreprise, en ce compris – et surtout – les emplois des autres travailleurs, n’est pas illégitime. Par contre, licencier un travailleur parce que son état de santé actuel et/ou futur inquiète est discriminatoire. En l’espèce, il avait également retenu que l’intéressée rapportait la preuve de son appartenance à un groupe déterminé, s’agissant des travailleurs ayant subi de longues parenthèses et/ou de nombreuses périodes d’incapacité de travail et/ou encore affichant (ou ayant affiché) une santé fragile. Le tribunal avait ainsi considéré que l’intéressée établissait des faits laissant supposer une présomption de comportement discriminatoire et que, dès lors, la charge de la preuve était renversée. Pour qu’il n’y ait pas discrimination, l’employeur est ainsi tenu d’établir que les mesures prises rencontrent deux conditions, étant qu’il a recherché un but légitime et recouru à des moyens appropriés et nécessaires. Dans le cadre de cet examen, il y a lieu de vérifier si n’existait pas une mesure moins dommageable (qui aurait été recherchée par l’employeur). Il faut ici vérifier si l’employeur a usé de moyens disproportionnés – ou non – dans la recherche de la solution au problème. Mention est également faite de la possibilité de l’intervention du médecin du travail-conseiller en prévention.

Ce contrôle du juge n’est pas un contrôle marginal, selon la doctrine, dans la mesure où la vérification de moyens « appropriés et nécessaires » pour réaliser le but poursuivi implique un contrôle d’opportunité et de proportionnalité. Le tribunal renvoie ici à la doctrine de L. PELTZER et de E. PLASSCHAERT (L. PELTZER et de E. PLASSCHAERT, « La motivation du licenciement des travailleurs : nouvelles règles pour tous les travailleurs depuis le 1er avril 2014 », J.T.T., 2014, p. 385).

La jurisprudence récente a également pu préciser que le licenciement lié aux appréhensions quant à l’état de santé futur du travailleur peut revêtir un caractère discriminatoire (le tribunal renvoyant ici à C. trav. Bruxelles, 8 février 2017, R.G. 2014/AB/1.021).

Le tribunal fait ensuite un schéma très didactique, reprenant les diverses étapes du contrôle judiciaire, étant qu’il y a lieu de rechercher (1) s’il y a un critère protégé, (2) si celui-ci constitue une distinction (directe ou indirecte) et, en cas de handicap, s’il y a eu refus d’aménagements et (3) si la mesure prise poursuit un but légitime et que les moyens appropriés ont été mis en œuvre ainsi que, en cas de handicap encore, l’existence d’une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

En l’occurrence, le tribunal retient que, pour l’employeur public, c’est la durée de l’incapacité de travail qui a été à la base de la décision prise, ainsi que l’incertitude quant à la possibilité d’une reprise. Ce sont les éléments déclencheurs. Ils indiquent que l’état de santé futur a joué un rôle.

Pour le tribunal, l’intéressée démontre que son état de santé a justifié un traitement différencié à son égard. Il appartient dès lors à l’administration communale d’apporter la preuve des éléments dont elle a la charge. Si le but est incontestablement légitime (saine gestion des deniers publics, maintien de l’emploi et continuité du service dans un secteur fragile – les crèches communales), il n’est pas établi que ce sont ces buts – invoqués devant le juge – qui ont effectivement été poursuivis et, en sus, que les moyens appropriés pour les atteindre ont été mis en œuvre. Le tribunal reprend des éléments de fait à cet égard, relevant qu’existaient au moins deux alternatives, étant soit l’engagement de puéricultrices sous contrats de remplacement, soit l’engagement d’une puéricultrice volante.

L’administration n’a pas recherché une solution moins préjudiciable et elle a ainsi utilisé des moyens disproportionnés en vue d’assurer la continuité du service. Le tribunal fait en conséquence droit à la demande.

Intérêt de la décision

Ce jugement est un beau cas d’application des règles en matière de discrimination. Après avoir rappelé la distinction à opérer entre les critères de l’état de santé et du handicap (ainsi que les exigences supplémentaires mises par la loi en présence de ce dernier critère), le tribunal renvoie à deux décisions très intéressantes sur la question, étant un jugement du Tribunal du travail de Liège du 13 mars 2018 – précédemment commenté – ainsi qu’un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 8 février 2017 – également précédemment commenté.

Les modes d’analyse de la discrimination y sont rappelés, le contrôle judiciaire s’exerçant dans plusieurs étapes successives, celles-ci étant rappelées très clairement dans le jugement du tribunal du travail commenté.

L’on notera que, comme ceci s’impose, le tribunal a demandé à vérifier si les buts poursuivis l’avaient été réellement. Il ne suffit dès lors pas de se référer à l’intérêt théorique d’une mesure de licenciement si son impact sur la finalité de la mesure n’est pas avéré.


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