Terralaboris asbl

Décisions de la Commission de dispense des cotisations au statut social

Commentaire de Cass., 14 janvier 2019, n° S.18.0032.F

Mis en ligne le lundi 20 mai 2019


Cour de cassation, 14 janvier 2019, n° S.18.0032.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 14 janvier 2019, la Cour de cassation rappelle la compétence discrétionnaire de la Commission de dispense des cotisations dues par les travailleurs indépendants et de la levée de la responsabilité financière de la personne morale solidairement responsable du paiement de ces cotisations.

Rétroactes

M. V.D. est gérant unique et associé majoritaire de la S.P.R.L. V.D. Il a demandé à la Commission de dispense des cotisations la dispense pour les cotisations dues à partir du premier trimestre 2010 et la société a demandé la levée de sa responsabilité solidaire pour les cotisations dues à partir de ce premier trimestre 2010.

En date du 25 avril 2012, la Commission a pris deux décisions. La première, qui concerne M. V.D., fait droit à sa demande pour les troisième et quatrième trimestres 2010 et refuse la dispense pour les premier et deuxième trimestres 2010 et à partir du premier trimestre 2011 jusque et y compris le premier trimestre 2012. La seconde concerne la S.P.R.L. V.D. ; elle accorde la levée de responsabilité solidaire pour les trimestres pour lesquels le travailleur est dispensé et la refuse pour les trimestres pour lesquels il ne l’est pas.

Par requêtes déposées le 21 juin 2012, M. V.D.et la S.P.R.L. V.D. demandent l’annulation partielle de ces décisions au Conseil d’Etat. Par deux arrêts du 22 octobre 2013, le Conseil d’Etat se déclare incompétent, ces contestations relevant de la compétence matérielle du tribunal du travail.

M. V.D. et la S.P.R.L. V.D. introduisent alors, par deux requêtes dirigées contre l’Etat belge (Service Public Fédéral Sécurité Sociale – Direction Générale Indépendants), des procédures devant le Tribunal du travail de Mons et Charleroi. Celui-ci, par un jugement du 18 février 2015, annule la décision du 25 avril 2012 qui concerne la S.P.R.L. V.D. en ce qu’elle lui fait grief. Par un autre jugement du même jour, M. V.D. est débouté de ses prétentions.

Ces décisions sont soumises à la Cour du travail de Mons.

Les arrêts de la cour du travail

Par des arrêts du 6 avril 2017 (R.G. 2015/AM/107 et 2015/AM/108), la cour du travail dit les appels principaux de l’Etat belge dépourvus de fondement et annule les deux décisions de la Commission en ce qu’elles n’ont pas accordé la dispense ainsi que la levée de la solidarité pour les premier et deuxième trimestres 2010 et à partir du premier trimestre 2011 jusque – et y compris – le premier trimestre 2012. Ensuite, vu sa compétence de pleine juridiction, elle fait droit aux demandes de M. V.D.et la S.P.R.L. V.D pour ces trimestres.

Pour justifier de cette compétence de pleine juridiction, la cour du travail relève que, en vertu de l’article 17 de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants (ci-après l’arrêté royal n° 38), les travailleurs indépendants qui demandent la dispense doivent prouver leur état de besoin ou leur situation voisine de l’état de besoin. Aux termes de cette disposition, la commission doit notamment tenir compte des ressources et charges des personnes qui font partie de leur ménage, à l’exception des personnes pour lesquelles la preuve est apportée qu’elles sont étrangères à l’activité indépendante du travailleur indépendant concerné et qu’elles sont en outre dénuées d’obligation légale de secours et d’aliments à l’égard de ce travailleur.

Or, cet état de besoin correspond à celui que les juridictions sociales apprécient en matière d’aide sociale, domaine dans lequel l’article 580, 8°, d), du Code judiciaire leur attribue un contrôle de pleine juridiction sur la décision du centre. Pour la cour du travail, le principe de la séparation des pouvoirs, interprété au sens d’une interaction des pouvoirs, ne s’oppose pas à ce contrôle de pleine juridiction, dans un domaine où, comme en matière d’aide sociale, il s’agit de donner consistance, au regard des données factuelles, au concept de dignité humaine au sens de l’article 23 de la Constitution, concept indissolublement lié à une situation d’état de besoin ou proche de cet état.

En l’espèce, M. V.D. se trouvait bien dans cette situation pour toutes les périodes pour lesquelles la dispense de cotisations et la levée de la solidarité sont demandées, vu sa situation financière obérée encore compliquée par un divorce.

Le pourvoi

L’Etat belge invoque la violation des articles 17 et 22 de l’arrêté royal n° 38, 581, 1°, du Code judiciaire, 144, 145 et 159 de la Constitution et du principe général de droit de la séparation des pouvoirs, consacré par les articles 33 à 51 de la Constitution. Ces dispositions impliquent que les cours et tribunaux du travail peuvent opérer un contrôle de légalité mais non un contrôle de pleine juridiction sur les décisions de la Commission de dispense des cotisations.

La décision de la Cour

Par son arrêt du 14 janvier 2019 (sur Juridat), la Cour casse l’arrêt attaqué pour violation des articles 17 et 22 de l’arrêté royal n° 38 en ce que, sur la base d’une compétence de pleine juridiction qu’elle attribue illégalement aux juridictions du travail, la cour du travail statue sur l’existence de l’état de besoin ou proche de l’état de besoin de M. V.D. Les articles 17 et 22 de l’arrêté royal n° 38 réservent en effet à la Commission des dispenses de cotisations le pouvoir discrétionnaire d’apprécier l’état de besoin du travailleur indépendant.

Intérêt de la décision

L’arrêt attaqué s’écartait de la jurisprudence majoritaire des juges du fond retenant la compétence discrétionnaire de la Commission de dispense des cotisations et limitant le contrôle judiciaire à un examen de légalité ne pouvant mener qu’à l’annulation de la décision, sans pouvoir de substitution.

L’on peut à cet égard se référer notamment à l’arrêt de la Cour du travail de Liège (division Namur) du 16 octobre 2018, commenté par Terra Laboris pour SocialEye et mis en ligne le 25 janvier 2019. Ce commentaire souligne que, dans le cadre de ce contrôle de légalité, la Commission doit apporter la preuve de la légalité de la décision prise et donc conserver pendant un temps raisonnable les documents résultant de ses recherches et constatations.

La Commission a aussi une obligation de motivation formelle de sa décision en vertu de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1991. Plusieurs décisions de la Cour du travail de Bruxelles sur cette obligation dans la matière de la dispense des cotisations dues par les travailleurs indépendants peuvent être consultées sur le site : www.terralaboris.be, notamment un arrêt du 23 mai 2013 (R.G. 2012/AB/80) et son commentaire.

Les règles relatives à ce contrôle judiciaire sont applicables dans d’autres matières de la sécurité sociale. L’on peut ainsi, à titre exemplatif, se référer à l’arrêt de la Cour de cassation du 11 décembre 2006 (n° S.06.0016.N., sur Juridat), qui concerne le contrôle de légalité des juridictions du travail sur la décision du ministre ou de son fonctionnaire de refuser à l’assuré social la dérogation à la condition de résidence prévue par la loi du 20 juillet 2001 instituant des prestations familiales garanties. L’arrêt attaqué est cassé en ce que la cour du travail décide qu’elle peut se prononcer sur l’intérêt du cas de l’assuré social et ordonne la réouverture des débats à cette fin. Par contre, le moyen faisant grief à cet arrêt d’avoir annulé la décision administrative litigieuse pour violation de la loi du 29 juillet 1991 précitée est rejeté.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be