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Congé parental : examen du motif de licenciement et nécessités économiques

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 5 octobre 2018, R.G. 17/392/A

Mis en ligne le mardi 28 mai 2019


Tribunal du travail de Liège (division Dinant), 5 octobre 2018, R.G. 17/392/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 5 octobre 2018, le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) examine longuement le motif et les circonstances d’un licenciement, et ce à la fois sur la plan de la protection contre le congé parental, le caractère manifestement déraisonnable de celui-ci au sens de la C.C.T. n° 109, ses circonstances (abusives), ainsi encore que sur l’existence d’une possible discrimination pour état de santé et sur les effets d’une absence d’audition préalable…

Les faits

Un ouvrier a été occupé dans une A.S.B.L. (qui accueille des personnes présentant un handicap) dans le cadre d’un plan Activa de 6 mois en 2015, sous contrat à durée déterminée ensuite et, ultérieurement, indéterminée.

Il est manœuvre spécialisé et travaille à la paletterie.

En avril 2016, il introduit une demande de congé parental, qui lui est octroyé dans les modalités qu’il a proposées. Il sera, en 2016, en incapacité de travail à plusieurs reprises (tout le mois de mars et plusieurs périodes s’étalant jusqu’au 23 décembre). Il est licencié à ce moment, moyennant paiement d’une indemnité de rupture de 12 semaines de rémunération. Le C4 mentionne « réorganisation des équipes de travail ». Des contacts ont lieu entre son conseil et l’A.S.B.L. De nombreuses explications sont données, avec référence aux discussions en Conseil d’Entreprise, eu égard à des nécessités de fonctionnement de l’institution. La liste de ses nombreuses absences est reprise. L’employeur précise que, si elles étaient justifiées, il reste qu’elles ont désorganisé l’entreprise. Il considère, en substance, que le motif du licenciement est étranger au congé parental dont bénéficiait l’intéressé.

Son conseil persiste cependant dans la réclamation de sommes. Il s’agit, à titre principal, d’un montant de l’ordre de 9.950 euros au titre de dommages et intérêts vu la protection contre le licenciement eu égard au congé parental et, subsidiairement, d’une indemnité de 17 semaines pour licenciement manifestement déraisonnable, ainsi que de dommages et intérêts pour licenciement abusif. Ces deux derniers postes sont respectivement fondés sur la convention collective de travail n° 109 et sur les articles 1134 et/ou 1382 du Code civil.

La décision du tribunal

Pour ce qui est du congé parental, le tribunal renvoie à la C.C.T. n° 64 du 29 avril 1997, et précisément à son article 15 relatif à l’interdiction faite à l’employeur de poser un acte tendant à mettre fin unilatéralement à la relation de travail, sauf pour motif grave.

Le tribunal reprend également la jurisprudence, dans un rappel important, qui porte sur la charge de la preuve, renvoyant à un arrêt de la Cour de cassation du 14 janvier 2008 rendu en matière de crédit-temps (Cass., 14 janvier 2008, n° S.07.0049.N). D’autres décisions sont reprises, qui ont confirmé celle-ci.

Le tribunal précise ensuite que, pour ce qui est du motif suffisant, celui-ci s’entend du motif dont la nature et l’origine sont étrangères au congé parental et il renvoie encore ici à diverses décisions de jurisprudence.

En l’espèce, il s’agit de vérifier si existaient des motifs économiques, première étape du contrôle judiciaire. Les pièces déposées attestent à suffisance, selon le tribunal, du dépassement de quotas pris en charge par l’AViQ (l’Agence finançant une part importante de l’activité de l’A.S.B.L.). Le tribunal conclut qu’il y avait 15 travailleurs en surnombre dans la section où était occupé l’intéressé. Les procès-verbaux du Conseil d’Entreprise examinés font état de la situation et envisagent notamment la nécessité de recourir à du chômage économique dans la section elle-même. Pour le tribunal, la preuve des raisons économiques est rapportée.

Il y a lieu, ensuite, de vérifier pourquoi le choix du travailleur à licencier s’est porté sur celui qui bénéficiait d’un congé parental. Pour le tribunal, qui retient l’existence de nombreuses périodes d’incapacité avant le congé parental, il faut constater que la productivité de l’intéressé avait considérablement baissé, du fait qu’il n’estimait plus pouvoir travailler que sur une seule machine et puis, ensuite, uniquement à des « casiers ». Ce contrat « casiers » s’étant terminé et l’intéressé ne sachant/voulant plus travailler ailleurs, le tribunal conclut qu’il ne pouvait plus être occupé dans cette section. Cet état de chose, couplé à la nécessité de procéder à des licenciements pour motifs économiques, constitue un motif étranger au congé parental, les perturbations de l’entreprise ayant pu être constatées. Le tribunal réaffirme ici, renvoyant à la doctrine (J. CLESSE et F. KEFER, « Examen de jurisprudence (1995-2001) – Contrat de travail », R.C.J.B., 2003, pp. 237 et ss., et M. JOURDAN, « Le licenciement abusif de l’ouvrier ou la transformation d’un droit discrétionnaire en droit contrôlé », E.P.D.S., Kluwer, 2010, pp. 335 et ss.), que l’appréciation de la valeur professionnelle des travailleurs occupés relève du pouvoir de l’employeur, sans que le juge saisi ne puisse en apprécier l’opportunité, le choix ne pouvant toutefois relever de l’arbitraire.

La demande est dès lors rejetée, pour ce qui est de l’indemnité de protection.

Le tribunal en vient ensuite à la convention n° 109, à propos de laquelle il fait également un très long rappel en droit, renvoyant notamment à l’article 30 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, à l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée, ainsi encore qu’à l’article 23 de la Constitution. La charge de la preuve repose sur le demandeur. Or, il a été admis que le motif est licite, étant la nécessité d’assurer un bon fonctionnement de l’entreprise, d’une part suite au dépassement des quotas (qui implique la nécessité de licencier) et d’autre part vu les absences récurrentes du travailleur qui, quoique non fautives, n’en perturbent pas moins la section dans laquelle il était occupé, celle-ci devant être restructurée.

Enfin, pour ce qui est du licenciement abusif, qui doit être examiné eu égard aux circonstances du licenciement, le tribunal retient que le demandeur ne démontre pas de telles circonstances abusives liées à la manière dont le licenciement est intervenu.

L’on retiendra encore que – étrangement – dans ce chef de demande lié aux circonstances de la rupture, le demandeur a introduit la question d’une possible discrimination. Le tribunal l’examine dès lors ici, s’agissant d’une discrimination au motif que la rupture serait intervenue en raison des incapacités de travail. Le tribunal rappelle notamment – et en soulignant ce point – qu’une personne licenciée par son employeur exclusivement pour cause de maladie ne relève pas du cadre général établi en vue de lutter contre la discrimination fondée sur le handicap par la Directive n° 2000/78/CE.

Quoique l’intéressé soit porteur d’un handicap, la question du handicap de départ ne se pose pas, puisqu’il a été reconnu comme tel par l’AViQ et engagé par l’A.S.B.L. Seule se pose la question de la santé actuelle et future. La discrimination dans le choix de licencier un travailleur pour son état de santé passé n’est pas visée par la loi. Le tribunal reprend ici encore les effets sur le plan de la désorganisation du travail des absences pour incapacité et retient qu’il faut se rapporter au contexte particulier de l’entreprise. Les mesures à prendre en cas d’absence (même médicalement justifiée) impliquent une obligation d’adapter le travail de chacun (formation d’autres travailleurs, perte de temps et de productivité, obligation de remise à niveau de certains travailleurs, risque de paralysie partielle de la section si les nouveaux ne sont pas « interchangeables » et sont eux-mêmes absents, etc.).

Ici également vient encore l’examen de la question de l’absence d’audition, le demandeur considérant qu’il a perdu une chance de conserver son emploi. Rappelant encore la réalité des raisons économiques, le tribunal retient qu’aucun dommage n’est établi suite à l’absence de cette audition et précise d’ailleurs que, dans une telle hypothèse (licenciement pour motifs économiques), le travailleur n’a pas à se « défendre d’allégations portées contre lui », rien ne lui étant reproché.

Le tribunal déboute, en conséquence, le demandeur de ce chef de demande également, de telle sorte qu’il échoue dans la totalité de son action.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail de Liège est très étoffé, ce qui en fait son intérêt premier.

Il en ressort que la demande introduite présente de nombreuses facettes (indemnité de protection, indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, licenciement abusif, discrimination, dommage suite à l’absence d’audition préalable), qui viennent complexifier celle-ci – et peut-être inutilement. Dans la mesure où le motif économique est retenu (étant justifié à suffisance par l’employeur), ce motif vaut tant dans le cadre du congé parental que dans celui de l’appréciation du caractère manifestement déraisonnable du licenciement (la C.C.T. n° 109 renvoyant aux critères de l’ancien article 63).

Par ailleurs, sur le plan de la discrimination, il y aurait lieu de viser l’état de santé actuel ou futur, le tribunal rappelant à très juste titre que l’état de santé passé n’est pas protégé, et ce d’autant que sont établis (dans le cadre de l’examen du motif) les éléments invoqués par l’employeur, étant la désorganisation de l’entreprise.


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