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Maladie professionnelle : point de départ des intérêts sur les arriérés d’indemnisation

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 27 novembre 2018, R.G. 2017/AN/197

Mis en ligne le mardi 25 juin 2019


Cour du travail de Liège (division Namur), 27 novembre 2018, R.G. 2017/AN/197

Terra Laboris

Dans un arrêt du 27 novembre 2018, la Cour du travail de Liège (division Namur) rappelle la position des hautes juridictions sur la question, étant qu’il ne peut y avoir de distinction sur le point de départ des intérêts sur les indemnités de maladie professionnelle, selon que le droit à celles-ci est reconnu dans une décision administrative ou, ultérieurement, dans une décision judiciaire.

Les faits

Une demande avait été introduite en 2012 auprès du Fonds des Maladies Professionnelles (actuellement FEDRIS) en vue d’obtenir l’indemnisation d’une épicondylite bilatérale. Il s’agit d’une demande introduite dans le système ouvert.

Vu le refus, au motif d’absence de preuve d’exposition au risque pendant la période d’occupation de l’intéressée en qualité de salariée, celle-ci introduisit un recours devant le Tribunal du travail de Liège (division Namur). Le tribunal a, dans un premier temps, ordonné une expertise médicale et, suite au dépôt du rapport, entériné celui-ci. Il a fixé une période d’incapacité temporaire et le salaire de base. Pour ce qui est des intérêts, il a condamné FEDRIS au paiement de ceux-ci, avec une prise de cours à compter de chaque date d’exigibilité mensuelle et avec une date de départ.

FEDRIS a interjeté appel, demandant que ceux-ci soient fixés à partir du 12 mai 2016 seulement, étant la date des conclusions après expertise sollicitant l’entérinement du rapport.

Position des parties devant la cour

Pour FEDRIS, il n’y a dans les lois coordonnées aucune disposition réglant la prise de cours des intérêts. Il y a dès lors lieu de se rapporter à la Charte de l’assuré social et au droit commun. En vertu de l’article 20 de la Charte, le délai de 4 mois n’est d’application que lorsque la décision administrative n’a pas été prise dans ce délai. Tel n’est pas le cas en l’espèce, la demande ayant été introduite en janvier et la décision de refus ayant été prise en mars.

Le droit n’existait pas à ce moment et n’a été reconnu qu’à partir du 30 mai 2012.

En droit commun, c’est l’article 1153 du Code civil qu’il y a lieu d’appliquer, étant la date de mise en demeure de payer ce qui était dû en vertu de l’expertise. Cette date est celle du dépôt des conclusions sollicitant l’entérinement du rapport.

Pour la partie intimée, il y a lieu de renvoyer aux articles 10, 12 et 20 de la Charte. La décision de l’administration était incorrecte et a donné lieu à une réformation judiciaire, même si le droit à l’indemnisation n’a été reconnu que postérieurement.

Elle renvoie également à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, selon laquelle l’on ne peut traiter différemment les bénéficiaires de l’indemnisation selon que le droit a été reconnu par l’administration ou par le juge.

L’arrêt de la cour du travail

Si aucune disposition relative aux intérêts (non plus que sur la prise de cours) ne figure dans les lois coordonnées, l’arrêté royal d’exécution du 10 décembre 1987 fixe cependant les modalités de paiement des indemnités. Les indemnités temporaires sont payables aux mêmes époques que les salaires (article 1er, § 1er). Les allocations annuelles sont payables mensuellement à terme échu (article 1er, § 2). Il n’est dérogé à ces règles que pour les indemnités d’un faible montant (76,65 euros – indexé), celles-ci étant dans ce cas payées par trimestre.

Selon l’article 10 de la Charte, l’institution de sécurité sociale doit statuer au plus tard dans les 4 mois de la réception de la demande ou du fait donnant lieu à l’examen d’office – et ce sans préjudice d’un délai plus court (sauf exception, non applicable en l’espèce). Le paiement des prestations doit intervenir en vertu de l’article 12 dans les 4 mois de la notification de la décision d’octroi et au plus tôt à partir de la date à laquelle les conditions de paiement sont remplies. Selon l’article 20, il y a intérêt de plein droit pour les bénéficiaires assurés sociaux à partir de la date de l’exigibilité des prestations.

Toutefois, si la décision d’octroi est prise avec un retard imputable à l’institution de sécurité sociale, les intérêts sont dus à partir de l’expiration du délai visé à l’article 10 (et au plus tôt à partir de la date de prise de cours de la prestation). Cette date n’est pas modifiée lorsque le droit aux prestations est reconnu en justice, et ce ni en faveur ni en défaveur de l’assuré social.

La cour renvoie ici à l’arrêt de la Cour de cassation du 27 novembre 2010 (Cass., 27 novembre 2010, n° S.09.0101.F) et au discours prononcé par le Procureur général M. J.-F. LECLERCQ, lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation du 3 septembre 2007 (J.T.T., 2009, n° 694, n° 57 à 60).

Il faut dès lors assimiler à la décision d’octroi la décision administrative qui aura été réformée en justice ultérieurement, dans le sens d’un octroi. Ceci vaut à la fois si la décision administrative porte sur un refus de prestations ou sur un octroi insuffisant.

Raisonner autrement reviendrait à devoir appliquer le droit commun, ce qui « accorder(ait) une prime » à l’institution de sécurité sociale lorsqu’elle a pris une telle décision. La Cour constitutionnelle a été saisie de la question et a répondu en ce sens dans deux arrêts (C. A., 8 mai 2002, n° 78/2002 et C. A., 16 février 2005, n° 35/2005). La Cour de cassation est également intervenue sur la non-application de l’article 1153, alinéa 3, du Code civil, dans un arrêt du 10 février 2003 (Cass., 10 février 2003, n° S.02.0002.F).

La cour retient encore que l’article 20 de la Charte s’applique de la même manière selon que le droit aux prestations existe à la date de la demande ou de la décision administrative, ou encore à une date ultérieure.

Renvoyant une nouvelle fois au discours du Procureur général LECLERCQ, la cour rappelle le principe selon lequel les dispositions de la Charte prévoient une prise de cours des intérêts de plein droit à compter de la date d’exigibilité des prestations et au plus tôt 4 mois après la notification de la décision administrative lorsqu’il en a été adopté une, dans le délai de 4 mois à compter de la réception de la demande, ou au plus tôt dans les 4 mois après la réception de la demande si aucune décision administrative n’a été prise dans le même délai.

En l’espèce, les intérêts sont dus à partir de la date mensuelle d’exigibilité et au plus tôt le 28 juillet 2012.

Intérêt de la décision

Le débat sur l’exigibilité des intérêts semblait clos, depuis les arrêts rendus par les hautes juridictions sur la question. L’on doit bien constater que la question est actuellement reposée. La cour du travail répond – selon une jurisprudence constante – en rappelant les interventions de la Cour de cassation et de la Cour constitutionnelle (à l’époque Cour d’arbitrage). Elle fait également un rappel important de la doctrine du Procureur général LECLERCQ, étant que les bénéficiaires peuvent prétendre à la même date à des intérêts moratoires sur les prestations qui leur sont dues, que celles-ci soient accordées en exécution d’une décision administrative ou d’une décision judiciaire. La décision judiciaire est en effet un acte recognitif de ce droit, de sorte que l’existence du droit peut être reconnue avec effet rétroactif et que l’obligation qui en résulte dans le chef de l’institution devient exigible aux échéances postérieures à la naissance du droit.


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