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Aide sociale et arriérés : rappel des règles

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 20 novembre 2018, R.G. 2018/AN/26

Mis en ligne le mardi 25 juin 2019


Cour du travail de Liège (division Namur), 20 novembre 2018, R.G. 2018/AN/26

Terra Laboris

Dans un arrêt du 20 novembre 2018, la Cour du travail de Bruxelles reprend la jurisprudence de la Cour de cassation relative au point de départ de l’octroi de l’aide sociale, sollicitée aux fins de pouvoir mener une vie conforme à la dignité humaine, rappelant par ailleurs les règles de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale sur la question du point de départ de l’octroi du R.I.S.

Les faits

Une demande est adressée au C.P.A.S. par un demandeur d’emploi, aux fins d’obtenir des avances sur allocations de chômage. La demande est acceptée pour une partie de la période, soit à partir de la demande (avec refus de la période antérieure).

Suite au recours introduit par l’intéressé, le Tribunal du travail de Namur modifie très légèrement la période à retenir, mais laisse inchangé le refus relatif à la période antérieure (un mois environ).

L’intéressé interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’appelant expose qu’il a fait l’objet d’une radiation d’office de son inscription domiciliaire et que, de ce fait, les allocations de chômage lui ont été retirées. Il a dès lors entrepris des démarches auprès du C.P.A.S. aux fins d’obtenir une aide financière et une adresse de référence. La famille ayant déménagé, elle a été hébergée en maison d’accueil et a obtenu une adresse de référence dans cette (nouvelle) commune, ainsi que des aides ponctuelles. Le bénéfice des allocations de chômage a pu être récupéré.

Il déclare qu’il ignorait que les allocations de chômage dont il bénéficiait étaient suspendues, précisant que, s’il l’avait su, il aurait immédiatement pris les mesures nécessaires. Pour ce qui est de la période antérieure à la demande, il fait valoir qu’il a été sans ressources et que le C.P.A.S. est tenu d’intervenir sur pied de la Charte de l’assuré social et que, à tout le moins, une aide sociale doit lui être accordée, vu qu’il a vécu avec sa famille dans une situation non conforme aux exigences de la dignité humaine.

Pour le C.P.A.S., le revenu d’intégration sociale ne peut pas être alloué avec effet rétroactif mais uniquement à partir de la demande. L’aide sociale a par ailleurs un caractère résiduaire par rapport à la solidarité familiale et aux efforts du demandeur. Le C.P.A.S. critique l’inertie de celui-ci pour récupérer son droit aux allocations de chômage et, subsidiairement, il lui fait grief de ne pas établir qu’il est encore affecté par son état de besoin passé.

La décision de la cour

La cour examine la question à la fois sous l’angle du revenu d’intégration sociale et sous celui du droit à une aide sociale.

En vertu de l’article 21, § 5, de la loi du 26 mai 2002, le revenu d’intégration sociale ne peut être accordé qu’à partir de la demande. Dans la mesure où l’intéressé entend demander le revenu d’intégration sociale pour la période antérieure, cette demande est non fondée.

Par contre, pour ce qui est des conditions du droit à l’aide sociale, c’est l’article 23 de la Constitution qui est le fondement à examiner. Chacun a, selon cette disposition, le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine et l’article 1er de la loi du 8 juillet 1976 prévoit quant à lui que toute personne a droit à l’aide sociale, celle-ci ayant précisément pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine.

Après avoir repris l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 27 juin 2005 (Cass., 27 juin 2005, n° S.04.0187.N), la cour rappelle que le droit à l’aide sociale est un droit subjectif et que les juridictions du travail ont un contrôle de pleine juridiction.

L’octroi d’une telle aide sociale suppose une demande, et ce auprès du C.P.A.S. compétent (article 58 de la loi du 8 juillet 1976 et article 9 de la Charte de l’assuré social).

Le critère à retenir – et qui est, pour la cour, la seule question qui doit se poser au C.P.A.S. et au juge ensuite – est de savoir si l’aide sollicitée est la plus appropriée et si elle est nécessaire au moment où elle est demandée, et ce eu égard au critère de la dignité humaine. La cour donne des exemples, renvoyant à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 14 mai 2009 (C. const., 14 mai 2009, n° 79/2009), qui a considéré que le droit à l’aide sociale naît dès qu’une personne se trouve dans une situation qui ne lui permet pas de vivre conformément à la dignité humaine. Rien n’empêche donc le C.P.A.S., par une nouvelle décision, d’accorder cette aide à la personne qui y a droit pour la période prenant cours le jour de l’introduction du recours tardif auprès du tribunal du travail dirigé contre une précédente décision, et ce avec effet rétroactif.

Ainsi, rien ne fait obstacle à ce que soit allouée une aide sociale équivalente au revenu d’intégration sociale et aux prestations familiales pour une période antérieure à la demande d’aide.

La cour vérifie ensuite si l’aide sociale était nécessaire au moment où elle a été demandée et conclut par l’affirmative. Examinant les circonstances de fait (radiation d’office, privation des allocations de chômage dont l’intéressé n’a pu se rendre compte qu’à la fin du mois, démarches entreprises aux fins de récupérer son droit aux allocations), la cour conclut que la demande, envisagée sous l’angle de l’aide sociale, est fondée.

Elle condamne dès lors le C.P.A.S. au paiement de l’aide sociale financière équivalente au revenu d’intégration sociale pour le mois précédant l’introduction de la demande auprès du C.P.A.S.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Liège (division Namur) reprend quelques principes relatifs aux conditions de l’aide sociale, parmi lesquelles elle a rappelé l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 8 mai 2002 (C. const., 8 mai 2002, n° 80/2002) en sus de celui du 14 mai 2009. Dans son arrêt du 8 mai 2002, la Cour constitutionnelle avait posé le principe que les règles de légalité et de non-discrimination n’ont pas pour conséquence que l’aide sociale doive obligatoirement être accordée par référence ou par équivalent à d’autres prestations sociales. Lorsqu’elle est de nature financière et récurrente ou qu’elle est équivalente à une autre prestation sociale, aucune règle ne prévoit que cette aide sociale ne pourrait concerner qu’une période postérieure à la demande adressée au C.P.A.S., comme c’est le cas en matière de revenu d’intégration sociale.

La cour renvoie encore à l’important arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 2007 (Cass., 17 décembre 2007, n° S.07.0017.F), ainsi qu’à celui du 9 février 2009 (Cass., 9 février 2009, n° S.08.0090.F).

Dans l’arrêt du 17 décembre 2007, la Cour de cassation avait considéré qu’il suit de l’article 1er, alinéa 1er, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d’action sociale que toute personne a droit à l’aide sociale, qui a pour but de mener une vie conforme à la dignité humaine. Le droit à l’aide sociale naît dès qu’une personne se trouve dans une situation qui ne lui permet pas de vivre conformément à la dignité humaine. Aucune disposition légale ne prévoit que l’aide sociale ne peut pas être rétroactivement accordée à la personne qui y a droit pour la période qui s’est écoulée entre sa demande et la décision judiciaire faisant droit à celle-ci.

En outre, par sa décision du 9 février 2009, la Cour de cassation a posé le principe que le droit à l’aide sociale existe lorsque le demandeur remplit les conditions d’octroi, indépendamment de la date à laquelle il produit la preuve qu’il en réunit les conditions.

La cour du travail fait une juste application de ces règles, examinant si l’aide est en l’espèce nécessaire à mener une vie conforme à la dignité humaine, rappelant encore qu’une situation n’est pas contraire à la dignité humaine lorsque celui qui la connaît a la possibilité d’y remédier lui-même, par ses propres efforts ou en faisant valoir les droits dont il dispose.


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