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Non-respect de l’obligation de motivation formelle d’une décision de l’ONEm et pouvoirs du juge

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 13 décembre 2018, R.G. 2018/AL/144

Mis en ligne le vendredi 12 juillet 2019


Cour du travail de Liège (division Liège), 13 décembre 2018, R.G. 2018/AL/144

Terra Laboris

Par arrêt du 13 décembre 2018, la Cour du travail de Liège annule une décision de l’ONEm ne répondant pas à l’obligation de motivation formelle des actes administratifs et contenant une motivation par référence à une décision précédente, elle-même insuffisamment motivée.

Les faits

Une bénéficiaire d’allocations d’insertion conclut un premier contrat d’activation en 2009. Elle a, dans le cadre de celui-ci, une évaluation positive, de même qu’en 2013 (à deux reprises) et encore en 2014. A partir de cette dernière évaluation, elle effectue des recherches d’emploi à raison de une à trois par mois. Pendant la même période, elle réussit une première année de formation (aide-soignante).

Suite à une demande de renseignements de l’ONEm quant aux démarches effectuées, intervient un rapport d’évaluation négatif. La motivation porte sur le maximum de candidatures adressées mensuellement, l’absence d’inscription en intérim, ainsi que de diversité dans les recherches d’emploi. Il est conclu à l’absence d’efforts suffisants et adéquats pour s’insérer sur le marché du travail, et l’ONEm annonce à l’intéressée qu’elle sera reconvoquée, et ce par courrier du 7 août 2015.

Celle-ci s’inscrit alors à neuf agences d’intérim et, pour les quatre mois qui suivent, elle peut établir à la fois plusieurs réponses à des offres du FOREm ainsi que de une à trois offres de candidature spontanée.

Un an après, elle réussira sa formation et sera engagée immédiatement.

Entre-temps, cependant, elle a reçu la convocation pour un nouvel entretien et l’ONEm l’informe le 21 octobre 2015 qu’elle n’a pas effectué des efforts suffisants et adaptés pour s’insérer sur le marché du travail, ne présentant pas de démarches en nombre suffisant pour une période de huit mois. Il y a exclusion pour une période d’au moins six mois sur pied de l’article 59quater/3, § 6, de l’arrêté royal organique et la décision administrative lui est annoncée. Celle-ci est prise le 24 novembre 2015. Elle est succincte, se référant à la lettre du 21 octobre 2015.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège), qui conclut au débouté, le tribunal confirmant la décision administrative en tous points.

L’intéressée interjette appel.

La décision de la cour

La cour est saisie de deux questions, la première étant la motivation insuffisante de la décision administrative et la seconde l’appréciation des efforts fournis.

Sur le premier point, elle conclut à l’annulation de la décision prise, au motif de non-respect des articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 sur la motivation formelle des actes administratifs, rappelant que l’objectif de la loi est de permettre à l’administré de prendre connaissance des motifs d’une décision qui le concerne et de pouvoir éventuellement en discuter avec l’auteur de l’acte et de mieux organiser ses moyens de défense en cas de recours (7e feuillet de l’arrêt).

La cour rappelle encore que la motivation par référence est interdite, sauf si le document auquel il est référé existe et est lui-même motivé en la forme, étant qu’il répond aux exigences de la loi du 29 juillet 1991. Reprenant sa jurisprudence (C. trav. Liège, 22 décembre 2016, R.G. 2015/AL/739), la cour rappelle l’exigence, en cas de motivation par référence, de renvoyer à un document qui comporte les motifs ayant amené l’ONEm à prendre une décision d’évaluation négative, avec les conséquences qui en découlent. Ce n’est pas le cas en l’espèce et la cour se substitue dès lors à l’ONEm pour statuer sur les droits de l’intéressée, son examen devant porter sur l’appréciation des efforts mis, dans leur caractère suffisant et adéquat, en vue de retrouver un emploi.

Elle rappelle, s’agissant de bénéficiaires d’allocations de chômage sur la base des études, que l’appréciation des efforts fournis est faite par le directeur de l’ONEm et que ceci intervient « sur base de critères non définis préalablement ». Pour la cour, dans la mesure où cinq évaluations étaient déjà intervenues et qu’elles étaient positives, l’intéressée pouvait légitimement s’attendre qu’en continuant « au même rythme », elle satisfasse aux exigences de l’ONEm. Dans la mesure où les efforts n’ont pas été moins importants que ceux qui avaient été évalués positivement, il faut conclure que les efforts n’ont pas sensiblement changé. Au contraire, dès qu’elle a été informée, l’intéressée a intensifié ses recherches et a, selon la cour, « adapté sa stratégie » pour répondre aux exigences de l’Office (rappelant qu’elle s’est inscrite auprès de neuf agences d’intérim).

Il est conclu à l’existence d’efforts suffisants et adéquats, l’intéressée remplissant les conditions d’octroi pour bénéficier des allocations d’insertion pour la période considérée.

Intérêt de la décision

Ce bref arrêt de la cour du travail renvoie à la question de la motivation dite « par référence », ainsi qu’aux pouvoirs du juge en cas d’annulation de la décision administrative. Il peut utilement, sur ce deuxième point, être renvoyé à l’arrêt de la Cour de cassation du 11 décembre 2017 (Cass., 11 décembre 2017, n° S.16.0093.F). L’enseignement de cet arrêt est que, lorsqu’il statue sur le droit aux allocations de chômage, le tribunal du travail exerce un contrôle de pleine juridiction sur la décision de l’ONEm qui a exclu le chômeur du bénéfice des allocations. Dans le respect des droits de la défense et du cadre de l’instance tel que les parties l’ont déterminé, il lui appartient de contrôler la conformité de la décision aux lois et règlements en matière de chômage et de statuer sur le droit du chômeur aux allocations. Il statue sur la base de l’ensemble des moyens des parties et des pièces, produites le cas échéant à sa demande, et non des seuls éléments du dossier administratif. Il ne peut dès lors, en cas d’annulation de la décision administrative due à l’absence de preuve de l’envoi de la convocation, ne pas examiner si l’assuré social a, en l’espèce, recherché activement un emploi, conformément à l’engagement pris dans le contrat visé à l’article 59quinquies, § 5, de l’arrêté organique.

Le pouvoir de pleine juridiction des tribunaux du travail sur les décisions du directeur de l’ONEm avait été énoncé dans un précédent arrêt de la Cour suprême du 10 mai 2004 (Cass., 10 mai 2004, n° S.02.0076.F). L’on peut encore renvoyer, sur la même question, à l’arrêt de la Cour de cassation du 23 mai 2011 (Cass., 23 mai 2011, n° S.10.0087.F), rendu à propos d’une sanction d’exclusion prise pour non-respect d’un contrat d’activation. La Cour suprême y avait confirmé le principe selon lequel le tribunal contrôle la légalité de la décision d’exclusion et statue sur les droits du chômeur dont il est exclu. Pour la cour du travail, ceci signifie que le tribunal peut faire tout ce que le directeur du bureau régional (ou le facilitateur à qui il confie son pouvoir de décision) aurait pu faire.


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