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La précocité dans les affections de la colonne lombaire : rappel de la notion et régime probatoire

Commentaire de C. trav. Liège, 19 mars 2007, R.G. 33.759/05

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Liège, 19 mars 2007, R.G. N° 33.759/05

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Nous avons déjà l’occasion de commenter un arrêt de la Cour du travail de Liège sur cette question épineuse de la précocité des lésions dégénératives, au sens de la loi réparant le risque de maladie professionnelle.
Dans ce nouvel arrêt du 19 mars 2007, la Cour du travail revient sur cette question importante et donne une définition de la précocité.

Les faits

Un chauffeur de camion, exerçant son métier depuis 1977 (date de naissance : octobre 1950), introduit en mai 2003 une demande d’indemnisation pour la maladie professionnelle mentionnée sous le code 1.605.12, qui vise à l’époque les « affections de la colonne lombaire associées à des lésions dégénératives précoces provoquées par des vibrations mécaniques transmises au corps par le siège ».

Il faut rappeler que ce code était le fruit d’une modification introduite en 2002 et qu’il devait, ainsi, faciliter la procédure de demande de réparation.

La décision administrative

Par décision du 29 juillet 2004, le Fonds des maladies professionnelles refuse et motive sa décision en faisant valoir que les documents médicaux ne permettent pas de déterminer que le demandeur a été atteint précocement (« avant l’âge de 40 ans ») de la maladie en cause.

La position du tribunal

Saisi du recours de l’ouvrier, qui demandait, sur base de documents médicaux, la reconnaissance d’une I.P.P. de 15%, le tribunal déclare la demande non fondée. Le travailleur faisait notamment valoir que le critère d’âge retenu par le F.M.P. pour définir la notion de précocité ne pouvait être admis, mais le tribunal le déboute au motif qu’il ne prouve pas qu’il est atteint de manière précoce de la maladie en question.

La position du demandeur originaire en appel

Le travailleur poursuit la réformation du jugement en maintenant sa demande originaire et dépose un dossier plus complet, ainsi que le relève la Cour.

La position de la Cour

La Cour va rappeler, dans cette question importante, les principes à la fois quant au régime probatoire et à la notion de précocité.

En ce qui concerne l’obligation de preuve dans le chef de l’assuré social, celle-ci porte sur deux points :

  1. existence de la maladie visée sur la liste et
  2. exposition au risque de contracter cette maladie, la notion de risque professionnel étant définie à l’alinéa 2 de l’article 32 de la loi.

Une fois ces deux preuves rapportées, le lien causal effectif entre la maladie et l’exposition au risque professionnel de celle-ci est présumée de manière irréfragable.

La Cour relève que la preuve incombant au travailleur est exigeante et que l’expertise judiciaire constitue elle aussi un mode de preuve dont le travailleur a le droit de bénéficier pour autant qu’il fournisse à tout le moins au départ des indices ou commencements de preuve justifiant le recours à celle-ci.

Dans le cadre de la charge de la preuve, il lui appartient de prouver qu’il a été professionnellement soumis à des vibrations mécaniques suffisantes (en durée, en fréquence et en intensité) pour créer chez lui, compte tenu des caractéristiques de sa constitution personnelle, le risque de provoquer ces lésions dégénératives.

La Cour relève encore que c’est dans le souci de ne pas enlever au travailleur le bénéfice de la présomption légale de causalité qu’il est seulement requis de lui qu’il prouve être atteint des lésions dégénératives pouvant avoir été provoquées (et non étant effectivement provoquées) par les vibrations mécaniques.

Sur la notion de précocité, la Cour recherche ce que le législateur a visé. Elle en conclut qu’il faut se référer non au jargon juridique mais au langage commun, qui lui permet de conclure qu’une lésion dégénérative précoce est une lésion dégénérative qui survient avant le temps normal.

Pour le F.M.P., ce « temps normal » est fixé par rapport à l’ensemble des individus et fixé ne varietur à l’âge de 40 ans. Selon les études épidémiologiques, l’on peut considérer qu’au-delà de cet âge une grande partie de la population est atteinte d’arthrose à la colonne, le Fonds s’appuyant, pour cette conclusion, sur son comité technique.

La Cour ne dénie pas de valeur aux conclusions de ce comité, composé d’éminents spécialistes, mais ne lui réserve qu’une portée purement consultative, et ce conformément à la jurisprudence bien connue.

Même si, pour la Cour, l’on peut avoir présente à l’esprit la référence – qualifiée de « d’ailleurs commode » - de l’âge de 40 ans, il n’empêche que celle-ci est simplement indicative et n’a aucune force obligatoire.

Par conséquent, elle ne lie pas le juge. Le Fonds l’admet d’ailleurs, puisqu’il écrit que ce critère se justifie « pour une grande partie de la population » et non pour la totalité de celle-ci. Peut-être, pour la Cour, le demandeur fait-il partie de la minorité non visée …. Elle conclut qu’il y a dès lors lieu de retenir une conception individualisée de la notion de précocité et de déterminer ce qu’il y a lieu d’entendre par « temps normal » au cas par cas : le travailleur qui réclame l’indemnisation légale ne doit pas être fondu dans une entité générale et abstraite. C’est sa situation personnelle et concrète qu’il faut prendre en compte et examiner. La Cour donne dès lors une définition de la précocité, comme suit : « les lésions dégénératives présentées à la colonne lombaire par le travailleur qui demande réparation, sont précoces lorsqu’elles surviennent avant l’âge auquel elles seraient normalement apparues, compte tenu de la constitution personnelle et du mode de vie habituel du travailleur, si celui-ci n’avait pas été exposé au risque professionnel de ces lésions ».

Quant aux éléments de preuve, la Cour les examine en fait, tant en ce qu’ils portent sur l’existence de la maladie que sur l’exposition au risque professionnel de celle-ci.

Elle conclut, finalement, à la nécessité de demander à un expert judiciaire un avis.

Intérêt de la décision

La décision est très importante en ce qu’elle confirme qu’il faut retenir une conception individualisée de la notion de précocité pour ce type de maladie professionnelle et en ce qu’elle en donne une définition de portée générale.

Le critère d’individualisation est d’ailleurs habituellement retenu en matière d’exposition au risque professionnel, dans cette matière de la sécurité sociale.


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