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Perception d’une pension suite à une activité dans un autre Etat membre : sort fiscal en Belgique

Commentaire de C.J.U.E., 14 mars 2019, Aff. n° C-174/18 (JACOB et LENNERTZ c/ ETAT BELGE)

Mis en ligne le lundi 29 juillet 2019


Cour de Justice de l’Union européenne, 14 mars 2019, Aff. n° C-174/18 (JACOB et LENNERTZ c/ ETAT BELGE)

Terra Laboris

Par arrêt du 14 mars 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne, qui répond à une question du Tribunal de première instance de Liège, conclut à la non-conformité des règles d’imposition belges relatives aux revenus exonérés en vertu de conventions internationales préventives de la double imposition, celles-ci pouvant avoir pour effet de priver des contribuables d’une partie du bénéfice des avantages octroyés par la loi, et ce en l’occurrence dans l’hypothèse de la perception d’une pension étrangère exonérée.

Les faits

Un couple rentre une déclaration d’impôt commune, dans laquelle figure, pour le mari, l’existence de deux pensions (l’une belge et l’autre luxembourgeoise – d’un montant de l’ordre de 15.000 euros chacune). Ces pensions sont complétées par des revenus de biens immobiliers et la totalité des revenus est dès lors de l’ordre de 31.000 euros. Le fisc belge calcule un impôt de base de l’ordre de 11.500 euros (taux de près de 37%). La pension d’origine luxembourgeoise est exonérée d’imposition en Belgique mais est intervenue dans le total du revenu taxable. Des réductions d’impôt ont été calculées (quotités exemptées et autres déductions fiscales admises). L’impôt global est de l’ordre de 7.000 euros, minoré d’une réduction pour revenus étrangers exonérés de 3.220 euros. Il s’agit de la part représentée par la pension d’origine luxembourgeoise dans le total des revenus. Le montant total de l’impôt est de 3.850 euros environ.

Une contestation intervient, eu égard à la question des revenus étrangers exonérés, les intéressés faisant valoir que la pension luxembourgeoise a, en fin de compte, été soumise à un taux d’imposition net de 14,21 euros au lieu d’être exonérée de l’imposition belge, conformément à la Convention du 17 septembre 1970 conclue entre le Royaume de Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d’impôts sur le revenus et sur la fortune.

L’administration fiscale rejette le calcul effectué par les intéressés, rappelant que les revenus exonérés en vertu de conventions internationales préventives de la double imposition sont pris en considération pour la détermination de l’impôt, celui-ci étant réduit proportionnellement à la partie des revenus exonérés dans le total des revenus après application des réductions d’impôt elles-mêmes.

Un recours est formé devant le Tribunal de première instance de Liège et celui-ci pose à la Cour de Justice une question préjudicielle.

La question posée à la Cour

La question a comme fondement l’article 39, T.U.E., le tribunal se demandant s’il s’oppose à ce que le régime fiscal belge, en son article 155 du C.I.R., qu’il soit fait abstraction ou application d’une Circulaire de 2008, ait pour conséquence que la pension luxembourgeoise soit incluse dans le calcul de l’impôt belge servant d’assiette pour l’octroi d’avantages fiscaux prévus par la loi belge, alors qu’elle devrait ne pas en faire partie en raison de leur exonération totale voulue par la Convention de 1970 et que le bénéfice de ceux-ci (quotités exemptées d’impôt, épargne à long terme, dépenses payées avec des titres-services, économie d’énergie dans l’habitation, sécurisation, libéralités) soit en partie perdu, réduit ou accordé dans une moindre mesure que si les requérants avaient tous deux des revenus d’origine belge.

La décision de la Cour

La Cour commence par rappeler le principe de la libre circulation des travailleurs, en vertu duquel tout citoyen de l’Union qui a exercé une activité professionnelle dans un Etat membre autre que celui de sa résidence relève du champ d’application de l’article 45, T.F.U.E. La question préjudicielle ne précisant pas la nature de l’activité exercée au Luxembourg, la Cour précise que, s’il devait s’agir d’une activité salariée, le fondement de la question serait l’article 45, T.F.U.E., relatif à la liberté de circulation elle-même, mais que, si l’activité était non salariée, il s’agirait d’une question de liberté d’établissement visée à l’article 49, T.F.U.E. Sur le fait qu’il puisse s’agir de la liberté d’établissement et non de la liberté de circulation – la question étant examinée uniquement à partir de ce deuxième point –, la Cour précise que la solution n’affecterait pas la substance de la réponse.

Dans une jurisprudence constante, la Cour a eu l’occasion de rappeler que, si les Etats membres sont libres, dans le cadre de conventions bilatérales tendant à éviter les doubles impositions, de fixer les facteurs de rattachement aux fins de la répartition de la compétence fiscale, ils ne peuvent prendre des mesures contraires à la liberté de circulation. Même dans le cadre de conventions bilatérales, il y a lieu de se conformer aux règles de l’Union.

En ce qui concerne l’exercice d’une activité, la Cour rappelle qu’elle a jugé que l’Etat membre de résidence doit accorder au contribuable la totalité des avantages fiscaux liés à sa situation personnelle et familiale. Celui-ci ne peut pas faire perdre à un contribuable une partie du bénéfice de la quotité du revenu exonéré d’impôt et de ses avantages fiscaux personnels, eu égard au fait qu’il a également perçu, pendant l’année considérée, des rémunérations dans un autre Etat membre qui y ont été imposées sans que soit prise en compte sa situation personnelle et familiale (C.J.U.E., 12 décembre 2002, Aff. n° C-385/00, DE GROOT).

Ce sont les principes qu’il y a lieu d’appliquer en l’espèce. Le Royaume de Belgique est l’Etat membre de résidence des requérants et c’est à lui d’accorder la totalité des avantages fiscaux liés à leur situation personnelle et familiale.

Pour ce qui est des réductions d’impôt au titre de quotité exemptée, celles-ci ont été admises par la Cour comme étant des avantages liés à la situation personnelle et familiale. Sur ce point, la Cour conclut que la réglementation fiscale belge n’est pas conforme à sa jurisprudence.

Pour les autres réductions d’impôt (épargne à long terme, titres-services, etc.), celles-ci peuvent également être considérées comme liées à la situation personnelle et familiale des requérants, mais la Cour précise le contexte dans lequel la notion s’inscrit, en renvoyant à sa jurisprudence (C.J.U.E., 18 juillet 2007, Aff. n° C-182/06, LAKEBRINK et PETERS-LAKEBRINK) selon laquelle l’Etat membre de résidence doit examiner la capacité contributive personnelle des contribuables aux fins d’accorder d’éventuels avantages fiscaux. Il ne peut s’agir par là, comme le soutient l’Etat belge, d’avantages qui poursuivent une finalité sociale en permettant de garantir au contribuable un minimum vital non soumis à l’impôt répondant ainsi à une nécessité sur le plan social.

Pour la Cour, pour déterminer si les intéressés ont été indûment privés du bénéfice intégral des avantages fiscaux liés à leur situation personnelle et familiale, autre que la quotité exemptée – qui a été admise –, il faut vérifier si ces avantages sont liés à leur capacité contributive personnelle. La Cour constate que de telles réductions d’impôt sont destinées à inciter le contribuable à effectuer des dépenses et des investissements ayant un impact sur cette capacité, et elles peuvent dès lors être liées à la situation personnelle et familiale, au sens ci-dessus. La Cour retient également que les requérants en tant que couple ont subi un désavantage, vu qu’ils n’ont pas pleinement bénéficié de ceux auxquels ils auraient eu droit s’ils avaient tous deux eu des revenus belges uniquement.

Il y a en conséquence une différence de traitement fiscal, qui n’est pas conforme au droit de l’Union, étant susceptible de produire un effet dissuasif sur l’exercice par les citoyens européens des libertés garanties par le Traité, dont la libre circulation. Une telle mesure est susceptible d’entraver cette libre circulation et ne pourrait être admise que si elle a un objectif légitime compatible avec le droit de l’Union et si elle est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général.

En l’occurrence, la Cour constate que le Gouvernement belge ne présente aucune justification qui pourrait être examinée. Il en découle, pour la Cour, et ce sur la base de l’examen du litige sur pied de l’article 45, T.F.U.E., que celui-ci s’oppose à cette réglementation, le couple, qui réside en Belgique et dont l’un perçoit une pension dans un autre Etat membre (pension exonérée d’imposition dans le premier Etat en vertu d’une Convention internationale) étant privé d’une partie du bénéfice des avantages fiscaux octroyés par celui-ci.

Intérêt de la décision

Si le cadre du litige dans lequel la Cour de Justice a répondu le 14 mars dernier à la question préjudicielle posée par le Tribunal de première instance de Liège a un fondement fiscal, son intérêt est évident pour les praticiens du droit social et, en outre, pour les bénéficiaires de pension perçue dans un autre Etat membre que celui de leur résidence.

La Cour de Justice a souligné que, en fonction de la nature de l’activité exercée à l’étranger, il s’agirait de se référer à l’article 45 (liberté de circulation) ou 49 (liberté d’établissement) du Traité, retenant cependant que sa conclusion serait identique dans les deux hypothèses.

Le critère à retenir pour répondre à la question de la prise en compte dans les revenus taxables en Belgique de la pension perçue dans un autre Etat membre est de déterminer la « situation personnelle et familiale » retenue par le législateur national dans l’octroi d’avantages fiscaux. Comme la Cour le souligne (considérant 30), l’inclusion des revenus d’origine étrangère exonérés dans le calcul du taux d’imposition belge, dans le calcul de l’impôt belge et dans l’assiette pour l’octroi d’avantages fiscaux, relève de la règle d’autonomie fiscale de la Belgique et n’est pas en elle-même contraire à la liberté de circulation, dans la mesure où elle n’emporte pas de traitement discriminatoire contraire au droit de l’Union. Cependant, ce mode de calcul est susceptible de faire perdre à des contribuables une partie du bénéfice des avantages fiscaux qui leur auraient été pleinement octroyés si l’ensemble des revenus avait été d’origine belge et si les réductions d’impôt avaient été appliquées uniquement sur ces revenus (ou encore si une Circulaire de 2008 – non applicable en l’espèce – pouvait être invoquée).

Le mode de calcul est critiqué en ce sens que les réductions d’impôt sont imputées sur une base qui inclut à la fois les revenus d’origine belge non exonérés et les revenus d’origine étrangère exonérés et en ne déduisant qu’ultérieurement de l’impôt la part représentée par ces derniers dans le montant total des revenus taxables.


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