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Limitation dans le temps d’allocations d’insertion aux chômeurs âgés – violation du principe de standstill

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 février 2019, R.G. 2017/AB/479

Mis en ligne le lundi 29 juillet 2019


Cour du travail de Bruxelles, 20 février 2019, R.G. 2017/AB/479

Terra Laboris

Dans un arrêt du 20 février 2019, la Cour du travail de Bruxelles confirme la jurisprudence selon laquelle, s’agissant d’une chômeuse âgée de plus de 50 ans, la limitation des allocations d’insertion dans le temps, qui a pour effet de la priver de tout revenu, constitue un recul sensible de sa protection sociale, qui n’est pas justifié : il y a lieu en conséquence d’écarter la disposition de l’arrêté royal organique modificative.

Les faits

Née en 1958, Mme C., titulaire d’un diplôme d’architecte d’intérieur depuis 1982, preste de manière irrégulière, sous statut d’indépendant ou de salarié, jusqu’en 2014. Lors d’une de ses premières occupations (salariée à temps partiel), lui avait été remis un document C4 temps partiel, l’employeur l’invitant à renvoyer également des formulaires C3 à temps partiel à la fin de chaque mois. Ces faits datent de 1988.

Par la suite, elle exerça une activité d’indépendante, à laquelle elle mit fin en 2001, vu des problèmes de santé. Elle bénéficia, à partir de 2003, à nouveau d’allocations d’attente en qualité de chômeur complet et fit, à partir de 2008, l’objet d’une procédure d’activation. Il fut décidé, dans le cadre de celle-ci, qu’après une première évaluation négative, elle avait (deuxième entretien) fait les efforts suffisants.

Intervint ensuite l’arrêté royal du 28 décembre 2011, qui modifia la réglementation et, notamment, instaura une limitation dans le temps du droit de percevoir des allocations d’insertion (36 mois). La limitation prenant cours le 1er janvier 2012, elle était alors âgée de 54 ans. Elle vivait seule avec ses deux enfants, dont elle avait la charge.

En octobre 2013 une nouvelle évaluation de ses efforts en vue de chercher un travail fut négative. Une décision intervint le 17 décembre 2013, l’excluant du bénéfice des allocations d’insertion pendant six mois, et ce jusqu’au 22 juin 2014. Un recours fut introduit devant le tribunal du travail.

A l’issue de la période, la conclusion d’une nouvelle évaluation fut encore négative et une deuxième décision d’exclusion fut prise pour, de nouveau, une période de six mois, soit jusqu’au 22 décembre 2014. Un recours fut également introduit contre celle-ci.

Le 20 février 2015, Madame C. fut informée par une lettre laconique de son organisme de paiement qu’elle « (n’avait) plus droit aux allocations de chômage à partir du 1er novembre 2015. Salutations distinguées ».

L’ONEm, auprès de qui elle effectua une démarche, confirma qu’elle était venue demander des informations et qu’il a été mis fin aux allocations sur la base de son âge. Un nouveau recours fut introduit, cette fois contre la décision du 20 février 2015 de l’O.P.

La procédure

Les trois recours ont été joints par le tribunal.

Dans son jugement du 18 octobre 2016, celui-ci confirme la première décision mais annule la deuxième, l’ONEm étant ainsi condamné au paiement des allocations d’insertion pour la période de 6 mois (23 juin 2014 – 22 décembre 2014). Sur la question de l’octroi d’allocations en 1988, il retient que l’intéressée remplit toujours les conditions en tant que jeune travailleur ayant terminé ses études (sauf celles de la période d’attente). A cette date, l’intéressée était âgée de moins de 30 ans. Etant dans la situation d’un temps partiel involontaire, elle pouvait obtenir des allocations à temps plein. Elle n’a pu bénéficier de ce régime qu’en sa qualité de jeune ayant terminé des études, régime plus avantageux.

Le tribunal conclut, quant au fond, que, pour la période faisant l’objet de la deuxième évaluation, les efforts sont suffisants. Il rouvre les débats pour ce qui est de la troisième décision, eu égard à la modification de l’article 63, § 2, de l’arrêté royal organique et de l’incidence de l’article 23 de la Constitution sur cette modification.

Un deuxième jugement est rendu le 21 avril 2017 et le tribunal y constate que l’ONEm ne prouve pas que la limitation temporelle était en l’espèce appropriée et même nécessaire au regard du motif d’intérêt général invoqué par l’ONEm, de même encore qu’il n’établit pas que cette modification n’emporterait pas des conséquences disproportionnées pour la substance du droit atteint. C’est le principe du standstill. En conséquence, il écarte la disposition nouvelle en application de l’article 159 de la Constitution.

Appel est interjeté de cette décision.

La décision de la cour

La cour rappelle longuement les principes et garanties découlant de l’article 23 de la Constitution, en matière de sécurité sociale. Elle renvoie également à l’arrêt de la Cour du travail de Liège du 6 novembre 2018 (C. trav. Liège, div. Namur, 6 novembre 2018, R.G. 2017/AN/172), dont elle reprend des larges extraits : s’agissant de la validité d’un acte de l’autorité législative ou réglementaire, c’est celle-ci ou la partie qui invoque son acte légal ou réglementaire qui a la charge de la preuve du respect de l’obligation de standstill. Dès lors que l’action de l’autorité est contestée ou au moins dès lors qu’un recul de protection sociale est établi, celle-ci doit démontrer qu’elle a agi légalement et dans le respect des normes de niveau supérieur qui s’imposent à elle.

La cour reprend ensuite les contours de la modification intervenue, eu égard à la réduction du niveau de protection offert par la norme.

Elle examine les arguments de l’ONEm, quant à la justification du degré de protection sociale en cause, constatant que l’Office se réfère au préambule de l’arrêté royal du 28 décembre 2011. Les motifs qui y sont visés (réalisation d’un objectif budgétaire et programme de relance de l’emploi) ont été invoqués pour justifier l’absence d’avis du Conseil d’Etat. Pour la cour, ils n’ont pas été invoqués dans le préambule pour justifier la réduction de la protection sociale par des motifs liés à l’intérêt général. Elle examine néanmoins si ceux-ci sont appropriés et nécessaires à la réalisation des objectifs et conclut que l’ONEm procède par affirmations abstraites, sans aucun élément tangible dans le cadre d’une appréciation in concreto. Les motifs ne sont pas appropriés à la cause et aucune pièce n’est déposée, qui viendrait confirmer le bien-fondé de la limitation.

La cour constate encore que l’intéressée a cotisé et qu’elle aurait pu bénéficier, depuis 1988, d’allocations de chômage réduites, ce qui n’a pas été le cas. Elle s’attache ensuite à l’examen de la catégorie d’âge visée et note qu’il y a eu insertion de l’intéressée sur le marché du travail, celle-ci ayant dû mettre fin à ses activités suite à des problèmes de santé. Enfin, elle n’a pas accès au revenu d’intégration sociale, de telle sorte qu’elle est sans revenus, le recul de la protection sociale à son égard étant ainsi totalement disproportionné par rapport aux motifs allégués.

La cour confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

La question de la limitation des allocations d’insertion a, actuellement, été examinée par diverses cours du travail ainsi que par la Cour de cassation. Dans son arrêt du 5 mars 2018 (Cass., 5 mars 2018, n° S.16.0033.F), celle-ci a validé un arrêt rendu par la Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) le 10 février 2016, qui avait, dans le cas d’une chômeuse âgée ayant travaillé comme assistante de prévention et de sécurité, décidé que la limitation dans le temps des allocations d’insertion prévues par l’arrêté royal du 28 décembre 2011 violait l’effet de standstill consacré par l’article 23 de la Constitution. La Cour avait conclu que cet arrêt avait décidé légalement que l’article 63, § 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 appliqué à l’intéressée était contraire à l’article 23 et qu’en procédant au contrôle du respect de l’obligation de standstill imposée au Roi par cette disposition constitutionnelle, l’arrêt de la cour du travail ne violait ni l’article 7, § 1er, alinéa 3, de l’arrêté royal du 28 décembre 1944 ni le principe général du droit à la séparation des pouvoirs (cet arrêt est précédemment commenté).


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