Terralaboris asbl

Résolution judiciaire et octroi de dommages et intérêts : conséquences sur le plan social

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Verviers) 11 mars 2019, R.G. 13/348/A et 13/687/A

Mis en ligne le mardi 30 juillet 2019


Tribunal du travail de Liège (division Verviers) 11 mars 2019, R.G. 13/348/A et 13/687/A

Terra Laboris

Par jugement du 11 mars 2019, le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) rappelle que, dans le cadre d’une procédure de résolution judiciaire, les dommages et intérêts alloués ne sont pas considérés comme de la rémunération et ne peuvent, dès lors, être soumis à des cotisations de sécurité sociale.

Objet du litige

L’O.N.S.S. introduit une action devant le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) aux fins d’obtenir la condamnation d’une société au paiement de cotisations de sécurité sociale sur un montant de 170.000 euros alloué par une décision de la Cour du travail de Liège (section Neufchâteau) dans le cadre d’une demande de résolution judiciaire du contrat de travail liant un employé à celle-ci. L’O.N.S.S. considère qu’il s’agit d’une indemnité compensatoire de préavis déguisée, se fondant sur les termes de l’arrêt de la cour du travail, qui a fixé le montant des dommages et intérêts « en prenant comme base de calcul l’indemnité compensatoire de préavis ». Le montant correspondant à cette indemnité, de l’ordre de 206.500 euros, a été ventilé par la cour en 51.500 euros au titre de préjudice moral et 155.000 euros au titre de préjudice matériel. La cour a estimé qu’il y avait lieu de déduire de ceux-ci les revenus de remplacement perçus pendant une période de 15 mois.

L’O.N.S.S. a introduit son action contre la société et celle-ci s’est retournée contre son ancien travailleur. Les causes sont jointes et le tribunal les examine en conséquence ensemble.

La décision du tribunal

La question posée gravite autour des articles 14, §§ 1er et 2, de la loi du 27 juin 1969 et 23, alinéa 1er, de celle du 29 juin 1981. Le tribunal rappelle la notion de rémunération à laquelle il est renvoyé, notion figurant à l’article 2 de la loi du 12 avril 1965. La réglementation O.N.S.S. prévoit une exception par rapport à la loi sur la protection de la rémunération, dans la mesure où elle dispose en son article 19, § 2 (disposition de l’arrêté royal du 28 novembre 1969), que ne constituent pas de la rémunération les indemnités dues au travailleur lorsque l’employeur ne respecte pas ses obligations légales, contractuelles ou statutaires. Figure dans le texte une exception à l’exception, pour quatre hypothèses, étant (i) la rupture irrégulière du contrat de travail par l’employeur, (ii) la rupture unilatérale du contrat de travail pour les délégués du personnel, (iii) de même pour les délégués syndicaux et (iv) la cessation du contrat de travail d’un commun accord.

Renvoyant à la doctrine de M. DAVAGLE (M. DAVAGLE, « La résolution judiciaire du contrat de travail », Ors., 2008, 1-13), le tribunal rappelle qu’un dédommagement accordé en cas de résolution judiciaire n’est pas rémunératoire au sens de la loi du 12 avril 1965, ne s’agissant pas de la contrepartie du travail fourni. Pour cet auteur, dès lors que les dommages et intérêts compensent la perte de la rémunération du travailleur, ils ne font l’objet d’aucune retenue de cotisations de sécurité sociale. Il en est autrement des retenues de précompte professionnel, ces indemnités étant obtenues « en raison ou à l’occasion de la cessation ou de la rupture du contrat de travail ». Par ailleurs, le précompte professionnel n’est dû que sur la partie du montant des dommages et intérêts qui compense la perte de salaire. Il n’y a pas de retenue fiscale sur un dédommagement moral. Le tribunal prend comme exemple le cas du salarié mis dans l’impossibilité d’exécuter ses prestations par la faute de son employeur. Il n’y a pas de rémunération, mais le préjudice peut être compensé par l’octroi de dommages et intérêts sur la base du droit commun. Ceux-ci ne sont pas passibles de cotisations de sécurité sociale, même si, s’agissant d’avantages auxquels le travailleur a droit en raison de son engagement, ils constituent une rémunération protégée.

Renvoyant à la doctrine de Mme KEFER (F. KEFER, « L’assujettissement des travailleurs à la sécurité sociale », Guide juridique de l’entreprise, 2e éd., p. 43), le tribunal cite, au titre d’indemnités qui ne constituent pas de la rémunération, l’indemnité pour licenciement abusif, celle allouée à certains travailleurs bénéficiant d’une protection contre le licenciement, les dommages et intérêts alloués à l’occasion de la résolution judiciaire, ainsi que ceux en cas de violation d’une clause de stabilité d’emploi. Le tribunal précise que le cas de la résolution judiciaire doit figurer parmi les hypothèses visées à l’article 19, § 2, 2°, de l’arrêté royal, au titre d’indemnités dues au travailleur lorsque l’employeur ne respecte pas ses obligations légales, contractuelles ou statutaires. Il s’agit en effet d’une rupture du contrat prononcée par le juge et non d’une telle rupture qui serait le fait de l’employeur (hypothèse figurant comme une des exceptions à l’exception, c’est-à-dire reprise à l’article 9, § 2, 2°, de l’arrêté royal au titre de rupture irrégulière du contrat de travail par l’employeur).

Enfin, le juge considère que la référence à l’indemnité compensatoire de préavis est sans importance, le montant alloué ayant été ventilé en dommage matériel et moral et ayant fait l’objet d’une réduction, eu égard à la perception de revenus de remplacement pendant une période déterminée.

Le tribunal rejette, en conséquence, la demande de l’O.N.S.S.

Intérêt de la décision

Dans ce bref jugement, le tribunal du travail aborde la question de la nature de l’indemnité allouée en cas de résolution judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur, au motif d’un manquement grave de celui-ci.

Le débat ne porte plus, au présent stade, sur la rupture elle-même, l’O.N.S.S. s’étant, après que la cour du travail eût vidé sa saisine, emparé du cas pour tenter d’obtenir, sur les dommages et intérêts eux-mêmes, des cotisations de sécurité sociale.

Le tribunal, reprenant les principes en la matière, aboutit assez logiquement à la conclusion qu’il ne peut être question de cotisations de sécurité sociale sur des dommages et intérêts, et ce même si le mode de calcul s’est pour partie inspiré du montant qui eût été dû si la condamnation avait porté sur une indemnité compensatoire de préavis.

Dans ce cas de figure – comme d’ailleurs rappelé dans le jugement –, la rupture n’est pas le fait de l’employeur mais celle du juge. De ce fait, celui-ci ne peut être saisi que sur pied du droit commun, étant l’article 1184 du Code civil, et ne peut allouer – s’il fait droit à la demande – que des dommages et intérêts correspondant au préjudice subi. Si ceux-ci sont souvent alignés sur l’équivalent de l’indemnité compensatoire de préavis, l’on constate en l’espèce qu’il a été procédé à une réduction de ces dommages et intérêts eu égard à des revenus de remplacement (vraisemblablement secteur A.M.I.) perçus pendant une période précédant la date où la résolution judiciaire a été prononcée.

L’on rappellera encore que si, dans la présente espèce, il a pu assez facilement être conclu que les cotisations de sécurité sociale ne trouvent pas à s’appliquer, les montants accordés ne constituant pas de rémunération, le cas de figure de la résolution judiciaire comporte des aléas, sur le plan de la réparation du préjudice subi suite à la rupture. En effet, même si l’on prend en compte l’indemnité compensatoire de préavis comme référence, ce choix laisse non résolue la question de la couverture sociale pendant la période correspondante. La quote-part patronale de cotisations de sécurité sociale (qui eût permis – avec la quote-part du travailleur – d’accorder une couverture sociale pendant la période correspondant à l’indemnité compensatoire de préavis) est négligée. Certes, celle-ci ne revient pas au travailleur mais la figure juridique implique que, de ce fait, malgré l’octroi d’un capital déterminé, subsiste un préjudice au niveau des prestations de sécurité sociale auxquelles le travailleur aurait pu prétendre, dont sur le plan de la pension.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be