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Communication des motifs par voie non recommandée

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Huy), 17 juin 2019, R.G. 18/161/A

Mis en ligne le vendredi 30 août 2019


Tribunal du travail de Liège (division Huy), 17 juin 2019, R.G. 18/161/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 17 juin 2019, le Tribunal du travail de Liège (div. Huy) rappelle les conditions cumulatives figurant à l’article 52 § 3 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, permettant l’exclusion du paiement du salaire garanti.

Les faits

Une infirmière au service d’une maison de repos tombe en incapacité de travail pour une période de deux semaines suite à un accident survenu alors qu’elle participait à un rallye automobile. Elle y était co-pilote de son frère.

L’employeur refuse le paiement du salaire garanti au motif que l’incapacité de travail est due à un accident de la vie privée, celui-ci étant survenu dans le cadre de l’exercice d’un sport dangereux et d’une manifestation organisée et non purement récréative.

Par un courrier ultérieur lui est notifié son licenciement moyennant prestation d’un préavis de six semaines.

Une discussion intervient entre les parties à propos du salaire garanti, l’employeur faisant valoir que la manifestation était sponsorisée et qu’elle pouvait donner lieu à l’octroi de trophées.

L’employée demande, ultérieurement, à connaître les motifs de son licenciement. La réponse, donnée par un bureau de consultance spécialisé, fait état de nonchalance, mise en danger des patients, mauvaise exécution des consignes, absence d’esprit d’équipe…

L’employeur fait également état d’entretiens oraux ainsi que d’un entretien formel qui aurait eu lieu quatre mois environ avant le licenciement.

Une procédure est introduite en paiement d’une part du salaire garanti et d’autre part de sommes en application de la CCT 109, étant la sanction civile prévue à la CCT ainsi que l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.

La décision du tribunal

Le tribunal examine en premier lieu le droit au salaire garanti.

Celui-ci est prévu à l’article 52 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. Le §3 de cet article prévoit cependant qu’il n’est pas dû si l’incapacité de travail est due à un accident survenu à l’occasion d’un exercice physique pratiqué au cours d’une compétition ou exhibition sportive pour lesquelles l’organisateur perçoit un droit d’entrée et pour lesquelles les participants reçoivent une rémunération sous quelque forme que ce soit.

Il y a dès lors deux conditions cumulatives pour le tribunal, à savoir la perception d’un droit d’entrée ainsi que celle d’une rémunération quelle que soit la forme de celle-ci.

Ceci ne peut viser, malgré le libellé large de la disposition, qu’un avantage pouvant être qualifié de rémunératoire. Pour ce qui est de la définition de la rémunération, le tribunal retient qu’il y a ici une exception au principe du paiement du salaire garanti et qu’il y a dès lors lieu d’interpréter la notion de rémunération de manière stricte. Renvoyant à la fois à la loi du 3 juillet 1978, à celle du 12 avril 1965 et encore au Code des impôts sur les revenus, il conclut que la rémunération est toujours un avantage obtenu à l’occasion de l’exercice d’une activité professionnelle.

En l’espèce, le tribunal constate que le rallye automobile faisait l’objet d’un droit d’entrée perçu par l’organisateur de la manifestation, ce qui emporte que la première condition est remplie.

Pour ce qui est la seconde, le règlement de la manifestation ne prévoit l’octroi d’aucune somme ou avantage en nature aux participants mais uniquement l’octroi de coupes aux premiers classés. Pour le tribunal, une coupe n’est pas une rémunération au sens de l’article 52 §3, la rémunération devant avoir une valeur financière, que ce soit en espèces ou en nature. La coupe est un symbole et n’a pas de valeur marchande.

Pour ce qui est des sponsors, il retient que les autocollants placés sur le véhicule renvoient essentiellement à des associations actives dans le domaine du rallye et qu’il ne s’agit pas de sponsors à proprement parler.

Enfin, une société de garage (gérée par l’oncle de la demanderesse) étant intervenue dans l’organisation de la manifestation, il s’agit uniquement d’une aide technique pour la question de pneus (montage et équilibrage). Contrairement à ce qu’affirme l’employeur, cette intervention en nature ne peut constituer une rémunération, puisque cette notion se rapporte toujours à l’exercice d’une activité professionnelle.

Le salaire garanti ne pouvait dès lors être refusé.

Le tribunal en vient ensuite aux chefs de demandes fondées sur la CCT n° 109.

Pour ce qui est de l’amende civile, il rappelle l’article 7 de la CCT qui prévoit en son § 1er l’octroi de cette amende non seulement si l’employeur ne communique pas les motifs concrets mais également s’il les communique sans respecter l’article 5. Il en découle que tout non respect de l’article 5 est sanctionné par le paiement de cette amende. La seule exception est la communication spontanée des motifs concrets (ce qui n’est pas le cas en l’espèce). En l’occurrence, les motifs concrets n’ont pas été donnés par courrier recommandé, condition prévue à cet article. Le tribunal considère que, cette disposition n’étant pas respectée, l’amende civile est due.

Enfin, pour ce qui est du licenciement manifestement déraisonnable, le tribunal rejette le chef de demande, considérant qu’il doit se livrer à un contrôle marginal et ne peut substituer purement et simplement son appréciation à celle de l’employeur.

Celui-ci a en effet déposé des attestations de membres du personnel (deux infirmières en chef, une auxiliaire de soins et la responsable des ressources humaines). Celles-ci sont concordantes en ce qui concerne les griefs faits à l’intéressée. Il relève encore que ces attestations ne répondent pas au prescrit du Code judiciaire mais qu’elles sont sincères, datées et signées et ne sont contredites par aucun élément probant.

Intérêt de la décision

Sur la première question, le Tribunal du travail de Liège (div. Huy) a ici l’occasion de rappeler les conditions d’exclusion du paiement du salaire garanti, conformément à l’article 52 § 3 LCT. La question de la participation à une manifestation sportive est ici en cause et le tribunal relève à cet égard que sont exigées deux conditions cumulatives. En outre, pour ce qui est de la notion de rémunération, il faut retenir un lien nécessaire avec l’exercice d’une activité professionnelle.

La seule gratification d’une coupe ou d’un autre trophée n’est pas constitutive d’octroi d’un avantage rémunératoire.

Le tribunal relève un second point d’intérêt, étant la question (débattue) de l’effet de la lettre de l’employeur donnant les motifs concrets du licenciement, lorsque cette lettre n’a pas été envoyée par voie recommandée.

La jurisprudence est divisée sur cette question, une partie admettant que dès que la lettre a atteint son objectif, il faut considérer que la formalité est remplie, aucune sanction de nullité n’étant prévue par le texte. Le Tribunal du travail de Liège (div. Huy) opte pour sa part pour ne application stricte de la disposition, au motif que si la CCT impose à l’employeur d’envoyer les motifs par voie recommandée, il y a ainsi un équilibre entre les obligations formelles auxquelles le travailleur doit se conformer pour bénéficier des garanties de la CCT n° 109 et les formalités imposées à l’employeur lorsqu’il répond à cette demande.


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