Terralaboris asbl

Engagements à durée déterminée par plusieurs structures : même employeur ?

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 4 février 2019, R.G. 17/2.885/A

Mis en ligne le mardi 10 septembre 2019


Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), 4 février 2019, R.G. 17/2.885/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 4 février 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (div. Charleroi) rappelle que la notion de « même employeur » doit valoir pour les contrats à durée indéterminée, et non pour les contrats à durée déterminée, s’agissant d’une notion permettant de déterminer l’ancienneté de service du travailleur en cas de licenciement.

Les faits

Une formateur a été engagé par diverses institutions dans les liens de différents contrats de travail à durée déterminée (ou pour un travail nettement défini). Ces engagements sont intervenus pour différents centres de formation (centres de formation PME, centres IFAPME). Il tombe en incapacité de travail pendant trois semaines dans le courant du premier trimestre 2016. Pendant son absence, une réunion d’évaluation intervient, concluant qu’il y a lieu de repréciser les priorités, d’autres objectifs étant fixés. L’intéressé marque accord avec cette évaluation et la signe.

Six semaines plus tard, une commission d’évaluation se réunit et constate des lacunes, déjà relevées dans l’entretien précédent, lacunes davantage apparentes. Elle décide de ne pas renouveler le contrat à durée déterminée en cours. L’intéressé remet un certificat d’incapacité de travail jusqu’à la fin de la période couverte par celui-ci. Il est informé par l’A.S.B.L. de la fin du contrat à la date prévue, cette résiliation intervenant de plein droit. Celui-ci fait cependant valoir qu’il y a suspension du contrat pour la période correspondante et qu’il comptait reprendre son poste à l’issue de la fin de la période d’incapacité.

Il introduit une procédure contre deux structures, étant d’une part l’A.S.B.L. IFAPME Dinant et l’Institut wallon de formation en alternance et des indépendants et petites et moyennes entreprises (ci-après « Institut wallon de formation »), de l’autre. Il réclame une indemnité compensatoire de préavis ainsi qu’une indemnité pour licenciement abusif.

Une demande reconventionnelle relative à la remise de clés est formée par l’A.S.B.L. IFAPME.

La position des parties devant le tribunal

Pour le demandeur, les différents centres pour lesquels il a presté dépendent de l’Institut wallon de formation et il en conclut qu’il a dès lors toujours travaillé pour le compte de celui-ci, les centres de formation étant des unités d’établissement, avec leur propre organisation et une relative autonomie de fonctionnement, mais dépendant de l’Institut wallon de formation. La rémunération a d’ailleurs évolué en tenant compte de l’ancienneté acquise précédemment. Par ailleurs, il considère que la succession des différents contrats à durée déterminée ne se justifie pas par la nature du travail ou d’autres raisons légitimes et qu’il était en réalité engagé dans les liens d’un contrat à durée indéterminée avec l’Institut wallon de formation, raison pour laquelle il réclame une indemnité de rupture.

Pour ce qui est du caractère abusif du licenciement, le demandeur plaide le lien avec l’incapacité de travail.

Quant aux deux parties défenderesses, l’Institut wallon de formation plaide qu’il n’a jamais été l’employeur de l’intéressé, qui a été engagé par différentes A.S.B.L., et, pour ce qui est de l’IFAPME, elle fait essentiellement valoir que la notion de même employeur est utilisée pour calculer l’ancienneté d’un travailleur et ne peut valoir en cas de contrat à durée déterminée. Subsidiairement, elle plaide que la succession de ses contrats était justifiée par des raisons objectives.

La décision du tribunal

Le tribunal constate en premier lieu que se pose un problème de recevabilité de la demande, dans la mesure où deux entités sont à la cause et qu’il y a lieu de déterminer qui est l’employeur. Il rappelle que celui qui paie la rémunération n’a pas nécessairement cette qualité, un tiers pouvant la payer pour son compte. Il renvoie à la jurisprudence rendue dans l’hypothèse d’enseignants du réseau libre subventionné, où la subvention-traitement est prise en charge par la Communauté française. Ceux-ci ne sont cependant pas l’employeur, chaque établissement, représenté par son P.O., l’étant cependant. Il faut déterminer qui fournissait le travail et exerçait l’autorité sur lui.

Constatant que, pour le demandeur, il y a eu « même employeur » ou « même entreprise » pour l’ensemble des contrats exécutés avec les diverses associations, le tribunal renvoie à l’article 37/4, L.C.T., relatif à l’ancienneté à prendre en compte en cas de licenciement. A l’exception de cette notion, un contrat de travail lie un travailleur et une entité juridique déterminée.

Reprenant la doctrine de C. WANTIEZ et V. VANNES (C. WANTIEZ et V. VANNES, « La notion d’employeur en droit du travail », in Le contrat de travail et la nouvelle économie, Ed. Jeune Barreau de Bruxelles, 2001, pp. 65 et s.), le tribunal donne les hypothèses où il a été fait référence à cette notion. Ainsi, la clause d’essai (en vigueur à l’époque) était valable dès lors que le travailleur avait été au service de plusieurs employeurs juridiquement distincts, lorsque celle-ci était conclue avec le dernier employeur au plus tard au moment de l’entrée en service, et ce même si les employeurs successifs constituaient un « même employeur » pour l’application de l’article 82, L.C.T. Pour ces auteurs, la même interprétation est à donner au contrat à durée déterminée conclu au moment de l’entrée au service d’un employeur, même s’il succède à une période de service effective chez d’autres entités qui constituent ce « même employeur ».

Il en découle pour le tribunal que la notion de même employeur ne vaut pas en cas de contrat à durée déterminée et qu’il y a lieu de retenir comme ayant cette qualité d’employeur l’A.S.B.L. et non l’Institut wallon de formation, l’action dirigée contre lui étant irrecevable.

Sur le fondement, le tribunal rappelle rapidement qu’en cas de contrat à durée déterminée, il n’y a aucune formalité en vue de la résiliation de celui-ci, puisqu’il prend fin automatiquement à la date prévue. Ceci vaut également dès lors qu’il y a eu une suspension de l’exécution, ainsi pour maladie (renvoyant à CLAEYS & ENGELS, Licenciement et démission, Wolters Kluwer, 2015, p. 356).

Enfin, en l’absence de licenciement, il n’y a pas lieu d’examiner le chef de demande relatif au caractère abusif de celui-ci.

Intérêt de la décision

Ce bref jugement du Tribunal du travail du Hainaut aborde un point particulier de la relation de travail, étant la conclusion de divers contrats (apparemment de même nature en ce qui concerne les prestations effectuées) pour divers employeurs juridiquement distincts et poursuivant le même objectif, à savoir la formation – objet des prestations de travail.

Le tribunal a rejeté que l’existence de plusieurs entités juridiques distinctes puisse faire de celles-ci des unités d’établissement d’un même employeur et que puisse être reconnue, pour identifier celui-ci, l’existence de liens organisationnels et financiers avec une structure qui les chapeaute. Le parallèle est fait à juste titre avec la situation des enseignants du réseau lire subventionné de la Communauté française, situation qui a donné lieu à diverses décisions en jurisprudence, celles-ci étant anciennes cependant.

La notion de « même employeur » appartient dès lors uniquement au contrat à durée indéterminée. Rappelons qu’elle y a deux sens, étant d’une part l’ancienneté de service, qui va déterminer la durée du préavis convenable, et l’ancienneté barémique, sur laquelle se fondait en l’espèce le demandeur pour prétendre à l’ancienneté de service.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be