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Standstill et allocations d’insertion : un nouvel arrêt de la Cour du travail de Liège

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 25 mars 2019, R.G. 2017/AL/441

Mis en ligne le lundi 23 septembre 2019


Cour du travail de Liège (division Liège), 25 mars 2019, R.G. 2017/AL/441

Terra Laboris

Par arrêt du 25 mars 2019, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle la méthodologie à suivre en vue de vérifier le respect de l’article 23 de la Constitution, s’agissant du respect de l’obligation de standstill qu’il contient.

Les faits

A la fin de ses études, terminées par un master en 2014, Mme D. s’inscrit le 20 septembre de cette année comme demandeuse d’emploi auprès du FOREm. Son stage d’attente démarre, dès lors, à ce moment. Elle atteint l’âge de 25 ans le 27 octobre 2014.

Suite à l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation relative à l’article 36 de l’arrêté royal organique, il est alors exigé notamment que, pour bénéficier des allocations d’insertion (admissibilité), le bénéficiaire ne doit pas avoir atteint l’âge de 25 ans au moment de la demande (âge précédemment fixé à 30 ans). La demande d’allocations intervient après le délai légal, soit le 17 septembre 2015. Le bénéfice des allocations d’insertion lui est alors refusé.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège). Celui-ci fait droit à la demande par jugement du 13 juin 2017, écartant l’application de l’arrêté royal du 30 décembre 2014 en application de l’article 159 de la Constitution. L’intéressée est réintégrée dans ses droits aux allocations d’insertion.

Entre-temps, elle a suivi des formations complémentaires et a trouvé un emploi.

L’ONEm interjette appel.

La décision de la cour

La cour rappelle la modification intervenue dans le texte de l’article 36 de l’arrêté royal, étant essentiellement l’abaissement de l’âge maximal à 25 ans.

Elle répond point par point à de nombreux griefs faits par la partie intimée à la modification intervenue dans la réglementation.

Le premier point examiné par la cour est la notion d’urgence, lorsque l’avant-projet d’arrêté a dû être soumis à la section de législation du Conseil d’Etat. La cour admet que l’urgence était, à l’époque, rencontrée, et ce essentiellement au motif que seul un avis rendu dans les cinq jours permettait l’entrée en vigueur de la réglementation nouvelle à la date du 1er janvier 2015, ce qui était un des motifs invoqués, de nature budgétaire.

Elle passe ensuite à la question du standstill, principe dont elle fait un rappel complet : l’article 23 de la Constitution est le siège en droit interne d’un mécanisme qui peut aussi trouver sa source dans des textes supranationaux, l’effet dit de « standstill » étant également appelé « effet cliquet ».

La matière du chômage étant régie par un arrêté royal, c’est le pouvoir exécutif qui est débiteur de l’obligation du respect de standstill à l’égard des bénéficiaires. Cette obligation s’oppose à ce que l’autorité compétente réduise sensiblement le degré de protection offert par la législation applicable, sans qu’existe, pour ce faire, de motifs liés à l’intérêt général.

La cour du travail renvoie à l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 5 mars 2018 (Cass., 5 mars 2018, n° S.16.0033.F), qui a rejeté un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Liège ayant écarté la disposition défavorable à l’assuré social, pour ce motif. La question visait la limitation dans le temps des allocations d’insertion. Pour la Cour de cassation, la cour du travail pouvait considérer que la disposition qui limitait l’octroi dans le temps de celles-ci avait réduit sensiblement le niveau de protection de l’assuré social dans son droit au travail et à la sécurité sociale.

La cour passe ensuite en revue les divers arrêts rendus par la Cour constitutionnelle, dans lesquels elle a été saisie de la question, ainsi que la doctrine (dont D. DUMONT, « Section 6. Peut-on défaire les mises en œuvre du droit à la sécurité sociale ? L’effet de standstill, ou le versant négatif du droit à la sécurité sociale », in Questions transversales en matière de sécurité sociale, Bruxelles, Larcier, 2017, p. 79).

Elle dégage ensuite la méthodologie à suivre dans l’examen de l’éventuelle violation de ce principe.

La première étape est de vérifier si l’assuré social a ou non ressenti, du fait de la modification de la législation applicable, une réduction sensible (ou significative, selon la Cour constitutionnelle) de son degré de protection antérieur, sans qu’il y ait lieu de s’interroger à cette étape du raisonnement sur la question de savoir si la dignité humaine est mise à mal. Le recul significatif doit s’envisager au regard de l’article 36 de l’arrêté royal organique tel qu’il existait au moment de l’entrée en vigueur de l’arrêté royal modificatif (30 décembre 2014). Il faut ensuite examiner s’il existe pour ce faire des motifs appropriés et nécessaires liés à l’intérêt général et, enfin, si de tels motifs existent, il faut vérifier si le recul infligé est proportionné aux motifs d’intérêt général. La preuve incombe à l’auteur de la norme et non aux destinataires de celle-ci.

En l’espèce, la régression sensible est constatée.

Quant à l’existence de motifs appropriés et nécessaires liés à l’intérêt général, la cour considère les objectifs légitimes (insertion des jeunes travailleurs de plus de 25 ans sur le marché du travail), au motif qu’ils étaient appropriés et nécessaires.

Pour ce qui est du contrôle de proportionnalité, elle rappelle la position du Conseil d’Etat, qui s’était inquiété de la constitutionnalité du projet d’arrêté et avait recommandé de rédiger un rapport au Roi aux fins d’y justifier également si nécessaire les mesures envisagées. Ceci n’a pas été fait.

Elle en vient à l’examen du préjudice subi, constatant que, si le droit aux allocations d’insertion est ouvert à la condition que le demandeur n’ait pas atteint 25 ans, ceci exclut du bénéfice de ce régime « les étudiants brillants qui prolongent leurs études » ainsi que « les étudiants moyens qui font un cursus supérieur avec l’un ou l’autre accro ». Sont également visés un échec en secondaire ou une année à l’étranger avant ou après les études, facteurs de nature à contribuer à l’exclusion. Ceci va incontestablement, pour la cour, avoir une incidence sur le choix des études.

Elle déplore également l’absence de mesures transitoires, qui auraient pu être prises pour des personnes ayant entamé leur stage d’attente sous l’ancien régime (comme l’intéressée). L’exclusion du bénéfice des allocations de toute une catégorie d’âge constitue une violation des attentes légitimes de ces jeunes et celles-ci doivent être mises en balance avec l’avantage que l’Etat en retire. Sur la question cet avantage, la cour recherche si l’objectif (de nature budgétaire et tendant à favoriser l’insertion des jeunes sur le marché du travail) est proportionné aux inconvénients imposés aux jeunes travailleurs concernés.

Elle déplore ici n’avoir reçu que de maigres informations, l’objectif (double) étant fort peu élaboré, ce qu’elle considère comme particulièrement fâcheux eu égard à la mise en garde de la section de législation du Conseil d’Etat. Le fait que les allocations en cause ne sont pas contributives n’est pas pertinent dans l’examen de la situation de ces jeunes. L’ONEm reste d’ailleurs silencieux sur les objectifs qui ont été atteints par la mesure prise.

En conclusion, la cour écarte l’article 36 dans sa mouture depuis la modification par l’arrêté royal du 30 décembre 2014. Elle considère l’appel non fondé et confirme le jugement dans toutes ses dispositions (sous une réserve, étant que la condamnation à ouvrir le droit de l’intéressée aux allocations d’insertion doit être vérifiée sous la réserve du respect des autres conditions d’octroi).

Intérêt de la décision

Dans ce bel arrêt, particulièrement fouillé, la Cour du travail de Liège fait le point sur l’application du principe de standstill dans les matières de sécurité sociale, via le rappel de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, et s’attache particulièrement à l’examen de la question régulièrement posée en matière de chômage, étant d’une part la limitation des allocations d’insertion dans le temps et, d’autre part, l’abaissement de l’âge maximal pour remplir la condition d’admissibilité à celles-ci.

La jurisprudence rendue sur la question devient assez substantielle, tant au niveau des juges du fond que de la Cour de cassation. Cette dernière a rendu un arrêt très attendu en date du 5 mars 2018 (Cass., 5 mars 2018, n° S.16.0033.F – précédemment commenté), arrêt qui avait confirmé la conclusion de la décision de la Cour du travail ayant conclu à une violation de l’article 23 de la Constitution par l’article 63, § 2, de l’arrêté royal, suite à la première modification réglementaire intervenue.


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