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Traitement du cancer du sein chez un homme et remboursement I.N.A.M.I.

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 4 février 2019, R.G. 17/2.299/A

Mis en ligne le vendredi 27 septembre 2019


Tribunal du travail de Liège, division Liège, 4 février 2019, R.G. 17/2.299/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 4 février 2019, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) fait droit à la demande introduite par un homme d’obtenir le remboursement de traitements suite à un cancer du sein, au motif de l’existence d’une discrimination directe au sens de la loi du 10 mai 2007 dans les dispositions pertinentes de l’arrêté royal du 21 décembre 2001, qui réservent le remboursement de ces traitements aux femmes ménopausées, les hommes étant exclus.

Les faits

M. B., âgé de 65 ans à l’époque des faits, souffre d’un cancer du sein. Celui-ci a nécessité une intervention chirurgicale ainsi qu’un traitement par chimiothérapie et hormonothérapie complémentaire.

Le traitement habituel est contrindiqué, eu égard à la survenue d’une thrombose veineuse. Il doit dès lors suivre deux autres traitements, l’un qui simule les actions d’une hormone (gonadolibérine) et l’autre qui inactive une enzyme (aromatase).

Dans la nomenclature, ces traitements ne sont remboursés que pour le cancer du sein chez les femmes. En conséquence, l’organisme assureur rejette sa demande d’intervention et renvoie vers le Fonds de solidarité de l’I.N.A.M.I.

Dans une décision rendue en mars 2017, celui-ci fait savoir que les conditions cumulatives de la loi du 14 juillet 1994 permettant son intervention ne sont pas rencontrées. Le médecin spécialiste traitant réagit, rappelant que ledit traitement est recommandé par toutes les sociétés oncologiques internationales et qu’il a été validé par un colloque multidisciplinaire.

L’I.N.A.M.I. maintenant sa position, l’intéressé introduit une procédure devant le tribunal du travail. L’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes se joint à lui dans le cadre d’une intervention volontaire.

Objet de la demande

Le recours est introduit contre deux décisions de l’organisme assureur refusant la prise en charge des deux spécialités (médicaments considérés hors critères I.N.A.M.I.) ainsi que contre deux décisions de l’I.N.A.M.I. prises par le Collège des médecins directeurs du Fonds spécial de solidarité.

La décision du tribunal

Le tribunal aborde en premier lieu une question de recevabilité, dans la mesure où le recours serait, pour l’I.N.A.M.I., introduit plus de 3 mois après leur notification.

Il conclut à la recevabilité des recours, au triple motif de l’absence de date certaine des notifications (absence de recommandés), l’absence de preuve par l’organisme assureur de la prise de connaissance des décisions en cause par le demandeur, ainsi que eu égard au dispositif de l’article 14 de la Charte de l’assuré social, qui est relatif à l’exigence d’information, exigence qui – si elle n’est pas rencontrée – ne fait pas courir le délai de recours.

Le tribunal rappelle le champ d’application de la loi du 10 mai 2007, étant qu’elle couvre notamment la protection sociale, incluant ainsi la sécurité sociale et les soins de santé. Il constate qu’il y a en l’espèce une distinction directe dans l’arrêté royal du 21 décembre 2001 fixant les procédures, délais et conditions en matière d’intervention de l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités dans les coûts des spécialités pharmaceutiques. En effet, à l’époque des faits, il visait spécifiquement le remboursement de ces spécialités au fait d’être une femme (pré ou péri-ménopausée et justifiable d’un traitement hormonal).

Pour l’I.N.A.M.I., l’exclusion dans la nomenclature est justifiée. Il serait en effet démontré que l’efficacité et la sécurité du traitement (hormonothérapie) ne sont pas prouvées chez l’homme. Une étude est déposée, étude de l’E.O.R.T.C. (European Organisation for Research and Treatment of Cancer).

Le tribunal en reprend un extrait, soulignant qu’il ne voit pas, dans les conclusions de cette organisation, confirmation de la position de l’I.N.A.M.I. relative à l’absence d’efficacité du traitement chez un homme atteint du cancer du sein. Seules des restrictions existent, ne rendant nullement le traitement inapplicable.

S’agissant d’une discrimination directe, qui n’est pas justifiée par l’I.N.A.M.I., le tribunal considère que les dispositions en cause de l’arrêté royal du 21 décembre 2001 sont illégales et il les écarte.

Il conclut qu’il faut faire droit à la demande de condamnation de la mutuelle à prendre en charge le remboursement de ces traitements. L’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes reçoit 1 euro symbolique au titre de dédommagement. Enfin, il conclut que la demande d’intervention du Fonds spécial de solidarité ne doit pas être examinée, eu égard à ce qui précède.

Intérêt de la décision

Cette disposition de l’arrêté royal du 21 décembre 2001 contient, comme le relève à juste titre le tribunal, une discrimination directe. Celle-ci pourrait être admise si elle était justifiée et le tribunal conclut que tel n’est pas le cas.

Rappelons à cet égard l’arrêt rendu par la Cour du travail de Mons le 27 avril 2017 (C. trav. Mons, 27 avril 2017, R.G. 2016/AM/66 – précédemment commenté), dans lequel la cour avait conclu, à propos d’un autre traitement (Féméra), que la position de l’I.N.A.M.I. était justifiée. La cour avait abordé la question à partir de la discrimination indirecte et s’était prononcée essentiellement sur le terrain médical. Rappelant la Directive n° 79/7/CEE, elle avait vérifié l’existence d’une discrimination indirecte fondée sur le genre, mécanisme dans lequel il s’agit de déterminer si une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre affecte dans la réalité une proportion nettement plus élevée de personnes d’un sexe. Pour l’organisme assureur, en l’espèce, l’exclusion du remboursement aux hommes était justifiée, dans la mesure où la réalisation des trois critères requis (critères objectifs raisonnablement proportionnés au but poursuivi) n’avait pu être vérifiée sur le plan scientifique. Nous avions relevé que la question pouvait faire l’objet d’un examen à partir d’une discrimination directe, dans la mesure où le texte ne prévoit expressément le remboursement que si la spécialité est administrée pour le traitement d’un cancer du sein chez une femme ménopausée et non chez un homme.


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