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Réclamation de dommages et intérêts par du personnel statutaire et compétence des juridictions du travail

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 10 janvier 2019, R.G. 16/5.247/A

Mis en ligne le lundi 14 octobre 2019


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 10 janvier 2019, R.G. 16/5.247/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 10 janvier 2019, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) rappelle que les juridictions du travail sont compétentes sur pied de l’article 578, 7°, du Code judiciaire, pour les contestations civiles résultant d’une infraction aux lois et arrêtés relatifs à la réglementation du travail et aux matières qui relèvent de la compétence du tribunal du travail, s’agissant en l’espèce d’une demande d’octroi de dommages et intérêts introduite par du personnel communal, eu égard au non-respect d’un barème revendiqué.

Les faits

Un agent communal recruté en janvier 1978 a fait toute sa carrière auprès du même employeur. Celle-ci a évolué, l’intéressé étant au départ engagé à titre temporaire et étant nommé à titre définitif en 1981. Il suit alors des cours professionnels de l’enseignement secondaire inférieur et est muté vers un autre service, où il est occupé comme ouvrier qualifié.

La Ville qui l’emploie procède à une révision générale des barèmes en 1996 et une échelle barémique déterminée lui est attribuée. Quatre ans plus tard, la Ville modifie le statut pécuniaire du personnel communal non enseignant. Une autre échelle est accessible par évolution de carrière sous certaines conditions (évaluations, ancienneté plus ou moins longue selon qu’il n’a pas acquis – ou, au contraire, qu’il a suivi – une formation complémentaire). Une disposition dérogatoire transitoire est prévue, et ce pour les agents en fonction au 30 juin 1994, étant que l’ancienneté pécuniaire acquise lors de la mise en place du statut entre en ligne de compte pour l’évolution de la carrière.

Ultérieurement, en 2010, les conditions générales d’accès aux emplois sont coordonnées par le Conseil communal et des règles de promotion sont fixées. La même année, un appel aux candidatures est lancé pour l’examen d’accession par promotion à un grade d’ouvrier qualifié dans le cadre des dispositions transitoires prévues. L’intéressé remplit ces conditions. Il est alors promu à ce grade et bénéficie d’une autre échelle barémique.

Une contestation survient quant à la valorisation de l’ancienneté pécuniaire acquise et celle-ci est portée par le demandeur ainsi que par d’autres agents devant le Ministre des pouvoirs locaux et de la Ville. Il considère devoir bénéficier d’une autre échelle barémique, supérieure.

Les parties ne s’accordent pas, la Ville considérant que l’ancienneté acquise dans une fonction d’un autre grade, dans un emploi dont le profil de fonction est totalement distinct de celui du nouveau grade ne peut être valorisé.

Le Ministre des pouvoirs locaux considère que la mesure litigieuse doit être appliquée pendant toute la carrière. La Ville décide par délibération de son Collège communal de ne pas suivre cet avis.

Une procédure est dès lors introduite devant le Conseil d’Etat d’abord (l’intéressé se désistant cependant de l’instance) et devant le tribunal du travail ensuite.

Position des parties

La question à trancher est en premier lieu celle de la compétence du tribunal. Les parties sont en effet contraires quant à celle-ci, la partie demanderesse estimant le tribunal du travail compétent et la défenderesse considérant que le juge compétent est le tribunal de première instance.

Le demandeur se fonde sur l’article 578, 7°, du Code judiciaire, considérant qu’il y a une contestation civile résultant d’une infraction aux lois et arrêtés relatifs à la réglementation du travail, en l’espèce la loi du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération. Celle-ci s’applique au personnel des services publics en vertu de son article 1er.

Le tribunal renvoie à la doctrine du Pr DE LEVAL, qui a cité comme exemple une demande de dommages et intérêts pour retenue illicite sur la rémunération. La jurisprudence admet également cette compétence sur pied de l’article 578, 7°, et le tribunal renvoie ici notamment à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 3 juin 1989 (C. trav. Bruxelles, 3 juin 1989, J.J.T.B., 1989, p. 251).

Il est également renvoyé aux sanctions pénales en cas de non-respect de l’article 9 de la loi sur la protection de la rémunération (sanction initialement contenue à l’article 42 de la même loi et, aujourd’hui, à l’article 162 C.P.S.). Il s’agit d’une infraction réglementaire.

La décision du tribunal

Le tribunal va trancher uniquement la question de sa compétence, renvoyant à la doctrine de E. HANNAY (E. HANNAY, Droit et contentieux de la fonction publique, la contractualisation de la fonction publique en Belgique, Comparaison sommaire des régimes statutaire et contractuel, « Les principales différences de régime », pp. 209 et s.). Cet auteur a abordé les questions de compétence judiciaire en cas de litige entre un agent et son employeur, le critère de distinction étant l’objet de l’action. Il reprend les matières relevant de la compétence du Conseil d’Etat. En ce qui concerne le tribunal de première instance, il bénéficie de la plénitude de juridiction (article 568 C.J.). Le tribunal du travail, qui connaît des contestations relatives aux contrats de louage de travail, connaît notamment des infractions à la loi du 16 mars 1971 sur le travail, à celle du 8 avril 1965 sur les règlements de travail et à celle du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération.

Le tribunal reprend par ailleurs un large extrait d’un ouvrage de F. MASSON (F. MASSON, Droit et contentieux de la fonction publique, Droit et protection de la rémunération, VII Le contentieux, pp. 450 et s.). Cet auteur confirme également la compétence du tribunal du travail, en vertu de l’article 578, 7°, du Code judiciaire, lorsqu’il est saisi d’une demande de paiement d’arriérés de rémunération fondée sur la loi du 12 mai 1965, et ce même si elle émane d’un agent statutaire. C’est l’objet de la demande qui détermine le juge compétent. L’auteur précise que la demande peut être requalifiée et justifier ainsi le renvoi vers le tribunal de première instance.

Selon F. MASSON, une étape supplémentaire a été franchie après un arrêt de la Cour du travail de Mons du 19 septembre 2005 (C. trav. Mons, 19 septembre 2005, C.D.S., 2008, p. 528, note J. JACQMAIN), qui a estimé qu’est une contestation civile résultant d’une infraction au sens de l’article 578, 7°, toute demande qui révèle une infraction à la législation relative à la réglementation du travail et aux matières relevant de la compétence du tribunal du travail, et ce même si la demande n’est pas expressément fondée sur cette infraction. Il est encore précisé que, la compétence d’attribution ayant un caractère d’ordre public, la Cour du travail de Mons y avait examiné sa compétence au regard d’une base légale qui n’était pas invoquée à l’appui de la demande mais qui aurait pu l’être.

Le tribunal se déclare dès lors compétent pour connaître du litige, dont l’objet est une demande d’octroi de dommages et intérêts aux fins de compenser le préjudice subi vu le non-paiement de la rémunération afférente à l’échelle barémique revendiquée.

Intérêt de la décision

Dans ce jugement, qui ne vide pas la saisine du tribunal, est abordée une importante question de compétence, s’agissant de personnel statutaire introduisant un litige en paiement non d’arriérés de rémunération mais de dommages et intérêts consécutifs au non-paiement de la rémunération qu’ils estimaient due.

Que les juridictions du travail soient compétentes pour une infraction à la loi du 12 avril 1965 relative à la protection de la rémunération n’est pas neuf. Le rappel fait à l’arrêt de la Cour du travail de Mons du 19 septembre 2005 est cependant très judicieux, vu l’objet de la demande tel que libellé dans l’acte introductif.

Le Pr JACQMAIN fit une brève note sous cet arrêt, rappelant que l’affaire concernait la question du « statut du personnel » des institutions publiques de crédit, les difficultés étant survenues lors de la privatisation de celles-ci. Il précise qu’un des intérêts de l’espèce était l’objet d’une action civile naissant d’une infraction à la loi du 12 avril 1965, qui fonde la compétence des juridictions du travail. Renvoi était fait à une contribution précédente dans la même publication (J. JACQMAIN, « La prescription dans les relations entre les autorités publiques et leur personnel : le puits sans fond ? », C.D.S., 2005, p. 369).


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