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Allocations de chômage et cohabitation

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 décembre 2018, R.G. 2017/AB/519

Mis en ligne le jeudi 31 octobre 2019


Cour du travail de Bruxelles, 20 décembre 2018, R.G. 2017/AB/519

Terra Laboris

Par arrêt du 20 décembre 2018, la Cour du travail de Bruxelles reprend, suite aux décisions rendues par la Cour de cassation les 9 octobre 2017 et 22 janvier 2018, les obligations du bénéficiaire d’allocations de chômage qui se prévaut de l’absence de cohabitation aux fins de revendiquer le statut d’isolé.

Les faits

Madame X., bénéficiaire d’allocations (d’insertion ou de chômage), a perçu celles-ci au taux isolé, sur la base de ses déclarations.

Un contrôle du registre national effectué en décembre 2015 permet à l’ONEm de constater que, depuis 2005, elle n’aurait pas habité seule à l’adresse indiquée, sa grand-mère y étant également domiciliée et d’autres membres de la famille y ayant été inscrits à des époques différentes.

Une décision d’exclusion est prise le 22 février 2016 concernant le statut d’isolé, avec une récupération de l’ordre de 7.800 euros et une exclusion pour une période de treize semaines.

Un recours est introduit.

La demanderesse a été déboutée et elle a interjeté appel.

Position des parties devant la cour

Pour l’appelante, il n’y a pas cohabitation, l’immeuble n’étant pas une maison unifamiliale, mais étant subdivisé en différentes entités. Il y a des boîtes aux lettres distinctes et des compteurs distincts. Elle n’a jamais partagé les mêmes espaces que les membres de sa famille qui y ont résidé, n’ayant, ainsi, notamment jamais habité au rez-de-chaussée avec sa grand-mère. Elle déclare payer un loyer et avoir payé les factures de gaz et d’électricité. En droit, elle renvoie aux arrêts des 9 octobre 2017 et 22 janvier 2018 de la Cour de cassation. A titre subsidiaire, elle fait valoir sa bonne foi.

Pour l’ONEm, il y a lieu de confirmer le jugement, les paiements effectués (200 euros ou 100 euros de loyer) étant largement inférieurs aux loyers habituels et ne pouvant être pris en compte à ce titre, étant à considérer comme une contribution aux charges du ménage. Enfin, il estime que la bonne foi n’est pas établie.

La décision de la cour

La cour reprend le cadre général des catégories de bénéficiaires fixé par l’arrêté royal et en rappelle les définitions.

Sur le plan de la preuve, elle renvoie à la jurisprudence bien établie de la Cour de cassation (dont Cass., 14 mars 2005, n° S.04.0156.F), en vertu de laquelle c’est au travailleur isolé (ou à celui qui a charge de famille) d’établir la catégorie qu’il revendique.

La cour du travail dit se rallier à cette interprétation, qui découle de l’article 110, § 4, et de l’économie générale de cette disposition.

Cependant, s’agissant d’apporter la preuve d’un fait négatif, la cour considère qu’il ne faut pas exiger la même rigueur qu’en cas de fait positif et renvoie en ce sens notamment à la doctrine de J.-F. FUNCK (J.-F. FUNCK, « La situation familiale du chômeur : ses effets sur le droit aux allocations et sur leur montant », in J.-F. NEVEN et S. GILSON, éd. La réglementation du chômage : 20 ans d’application de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, p. 223). En vertu de ces principes, il appartient à l’intéressée d’établir qu’elle avait le statut d’isolée, c’est-à-dire qu’elle ne cohabitait pas.

La cour en vient alors aux deux arrêts de la Cour de cassation récents sur la question (Cass., 9 octobre 2017, n° S.16.0084.N et Cass., 22 janvier 2018, n° S.17.0024.F). L’arrêt en reprend des extraits, le premier ayant souligné qu’il est nécessaire mais non suffisant que les personnes qui vivent ensemble sous le même toit tirent un avantage économique et financier du partage d’un logement, mais qu’elles doivent en outre assumer en commun les tâches, activités et autres questions ménagères (entretien du logement et éventuellement aménagement, lessives, courses, préparation et prise des repas) et apporter éventuellement une contribution financière à cet effet. Dans l’arrêt du 22 janvier 2018, il est précisé, encore, qu’il ne suffit pas que les personnes partagent les principales pièces de vie et les frais d’un même logement, règlent en commun les seules questions relatives au loyer et frais du logement et tirent de ces circonstances un avantage économique et financier.

La cour examine les éléments de l’espèce à la lumière de ces principes, reprenant, sur la base de photos, la description des pièces de vie dans l’immeuble et la prise en charge des factures.

Pour la cour, le seul fait que le premier étage de l’immeuble (où l’intéressée a habité pendant une période de temps) permet une habitation « isolée » ne suffit pas pour décider qu’il n’y a pas eu cohabitation. Il n’est pas établi en l’espèce qu’un bail a été conclu entre les parties ni qu’un loyer ait effectivement été payé. Les montants versés ne peuvent correspondre au coût d’un loyer normal et, pour la cour, si la grand-mère a loué une partie de sa maison à un prix aussi modeste, c’est qu’elle a participé indirectement aux frais de l’intéressée.

La cour conclut de l’ensemble des éléments de fait, et notamment encore d’une consommation anormalement basse de l’énergie (examen des factures), qu’il n’y a pas eu occupation réelle et complète de l’appartement dans lequel l’intéressée disait résider. En application des règles de preuve, celle-ci doit établir qu’il n’y a pas eu de gestion commune des frais du ménage. Or, elle n’apporte aucun élément probant à cet égard. La cour souligne encore que l’intéressée aurait pu, par la production de ses extraits bancaires, établir qu’elle faisait régulièrement seule ses achats personnels (nourriture et entretien du logement).

La preuve n’étant pas rapportée, il ne peut être conclu à l’absence de cohabitation.

La cour en vient ensuite à l’examen de la bonne foi, rappelant les principes à cet égard, étant notamment qu’elle ne s’assimile nullement à l’absence de mauvaise foi ou de manœuvres frauduleuses, mais qu’elle suppose que le chômeur ignorait – et pouvait légitimement ignorer – qu’il n’avait pas droit aux allocations ou au montant de celles qui lui ont été accordées. La cour souligne que la bonne foi implique nécessairement que le chômeur ait effectué les déclarations légalement requises, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Enfin, vu la longueur de la période litigieuse, la sanction d’exclusion pour une période de 13 semaines est justifiée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles fait le lien entre les règles dégagées de longue date par la Cour de cassation en matière de preuve de la catégorie de bénéficiaire (chômeur avec charge de famille, isolé ou cohabitant) et les évolutions jurisprudentielles récentes.

Il en résulte pour la cour que le chômeur doit faire la preuve du statut qu’il revendique et que, eu égard à l’enseignement de la Cour de cassation dans les deux derniers arrêts rendus les 9 octobre 2017 et 22 janvier 2018, il lui appartient d’établir qu’il n’y a pas règlement en commun des questions ménagères, la Cour de cassation ayant expressément posé le principe, dans son arrêt du 9 octobre 2017, que, outre l’existence d’un avantage économique et financier consécutif au partage d’un logement, il faut, pour qu’il y ait cohabitation, que les personnes assument en commun les tâches, activités et autres questions ménagères (la cour donnant comme exemples l’entretien du logement, éventuellement l’aménagement, les lessives, les courses, la préparation et la prise des repas) et qu’elles apportent éventuellement une contribution financière à cet effet.

La question de l’existence d’un avantage économique et financier a encore été précisée dans l’arrêt du 22 janvier 2018, qui a posé le principe que celui-ci n’était pas suffisant pour qu’il y ait cohabitation.


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