Terralaboris asbl

Commissions versées par un tiers : caractère rémunératoire ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 février 2019, R.G. 2018/AB/222

Mis en ligne le vendredi 29 novembre 2019


Cour du travail de Bruxelles, 7 février 2019, R.G. 2018/AB/222

Terra Laboris

Dans un arrêt du 7 février 2019, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions d’application de l’article 36 de l’arrêté royal d’exécution de la loi du 27 juin 1969, s’agissant, en l’espèce, de commissions versées par une société tierce (société de financement) à des vendeurs de véhicules automobiles au service d’un concessionnaire de la marque.

Les faits

L’O.N.S.S. notifie le 21 janvier 2016 à une société financière liée à un groupe automobile une décision par laquelle elle exige que soient soumises à la sécurité sociale des commissions sur produits financiers payées à des vendeurs de distributeurs de la marque. Pour l’O.N.S.S., ces commissions constituent de la rémunération au sens de l’article 2 de la loi sur la protection de la rémunération du 12 avril 1965. L’Office considère que ces commissions découlent du contrat de travail conclu entre ces travailleurs et les garages de la marque, précisant que la vente d’un véhicule et la conclusion d’un contrat de financement ne peuvent être considérées comme deux activités distinctes, celles-ci intervenant en exécution des contrats de travail liant ces vendeurs au concessionnaire. Les commissions payées par la société financière sont ainsi directement à charge des garages et la société est considérée comme tiers payant au sens de l’article 36 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969. Pour l’Office, il y a dès lors lieu à déclaration, la disposition de l’arrêté royal précisant que (§ 1er) lorsqu’une fraction de la rémunération est payée au travailleur à l’intervention d’un tiers, celui-ci est substitué à l’employeur pour l’accomplissement de toutes les obligations relatives à cette rémunération qui incombent à cet employeur en vertu de l’arrêté royal. Une régularisation est demandée pour la période non prescrite.

Suite à cette notification, la société a réagi via son conseil. Les parties sont restées sur leurs positions respectives et une procédure a été introduite devant le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles, chaque partie introduisant une demande. Pour la société, il s’agit de l’annulation de la décision de l’O.N.S.S. Quant à l’Office, il sollicite par voie reconventionnelle condamnation à 1 euro provisionnel au titre d’arriérés.

Le tribunal a fait droit à la demande de la société par jugement du 12 janvier 2018. L’Office a dès lors interjeté appel, maintenant sa demande de condamnation à un 1 euro provisionnel pour les arriérés, à majorer des accessoires. Pour la société, il s’agit à titre principal de dire pour droit que les montants versés ne remplissent pas les conditions de l’article 2 de la loi sur la protection de la rémunération et ne doivent dès lors pas être soumis à des cotisations de sécurité sociale.

La décision de la cour

La cour tranche d’abord une question de langue, quelques pièces étant déposées en français. La société sollicite en effet l’écartement de ces pièces sur pied de l’article 8 de la loi du 15 juin 1935 relative à l’emploi des langues en matière judiciaire. La cour constate qu’il s’agit essentiellement de procès-verbaux d’audition de travailleurs francophones ainsi que du gérant d’une société concessionnaire et d’un courriel adressé à l’inspecteur social. La cour rejette cette demande, ainsi qu’une demande de traduction, au motif que la langue française est normale là où elle a été utilisée et où la cour du travail domine celle-ci à suffisance.

En ce qui concerne le fond, elle examine longuement les conditions mises par la loi du 27 juin 1969 en son article 14 relatif à la notion de rémunération. Son § 2 fait un renvoi à la notion de rémunération déterminée par l’article 2 de la loi du 12 avril 1965, cette notion pouvant toutefois être élargie ou restreinte par le Roi par arrêté délibéré en Conseil des Ministres. L’article 2 de la loi du 12 avril 1965 renvoie lui-même à la rémunération en espèces ainsi qu’aux avantages évaluables en argent auxquels le travailleur peut prétendre à charge de l’employeur en conséquence du contrat de travail. Il s’agit de la contrepartie du travail fourni et la cour renvoie ici à l’arrêt de la Cour de cassation du 5 janvier 2009 (Cass., 5 janvier 2009, n° S.08.0064.N).

En l’espèce, elle constate que la société de financement fait partie d’un groupe international de sociétés de fabricants et de distributeurs de véhicules de la marque déterminée et que le siège en Belgique de la société est par ailleurs sis à la même adresse que celle qui vend les véhicules et qu’elle propose aux acheteurs (particuliers ou sociétés) qui achètent un véhicule de la marque des produits financiers (financement, assurance voiture, leasing financier et renting, etc.).

L’objet du litige porte sur les commissions et les « incentives » que cette société a octroyées à des vendeurs, qui ont la qualité de travailleurs de concessionnaires de la marque.

La société n’est pas l’employeur de ces vendeurs, ceux-ci étant occupés par un concessionnaire (personne physique ou société) qui exploite un garage de marque et qui n’appartient pas lui-même au groupe de sociétés de celle-ci. La politique commerciale relative à ces campagnes de promotion (« incentive campagnes ») est exposée, s’agissant de paiements en cash ou d’avantages en nature. Il y est notamment précisé, outre le mécanisme d’octroi, que la société de financement délivrera au vendeur à la fin de chaque année fiscale une fiche 281.50.

Il ne s’agit dès lors, pour la société intimée, pas de rémunération en argent ni d’avantages évaluables en argent auxquels le travailleur a droit à charge de son employeur en raison du contrat de travail, au sens de l’article 2 de la loi sur la protection de la rémunération.

La cour examine les conditions mises par la loi, permettant de déterminer si, effectivement, ces sommes relèvent de la notion de la rémunération ou non. Ces conditions sont au nombre de trois.

La première est de savoir s’il s’agit d’une rémunération en argent ou d’avantages évaluables en argent. En l’espèce, les travailleurs ont perçu des commissions en argent.

Pour ce qui est des deux conditions suivantes, elles ont trait à la question de savoir si le travailleur y a droit à charge de son employeur en raison de la relation de travail.

La cour entame son examen par la vérification de l’utilisation du temps de travail, étant entendu que l’activité exercée s’est déployée pendant celui-ci, non seulement pendant l’horaire, mais également dans les locaux de leur employeur, le concessionnaire. Le système supposait donc nécessairement l’accord de l’employeur, les travailleurs effectuant des prestations pour un tiers (la société intimée) pendant leurs heures de travail, pendant lesquelles ils étaient payés par lui.

L’accord de l’employeur est dès lors établi et la cour en retient que, eu égard par ailleurs au contexte de collaboration entre les concessionnaires et le groupe automobile, il n’est pas exclu que, d’une manière ou d’une autre, ces concessionnaires aient été contraints de procéder de la sorte. Elle relève cependant qu’aucune preuve n’est apportée. Toujours est-il que c’est en raison de la relation de travail que le droit aux commissions était acquis.

Reste en cause la question de savoir si les commissions et avantages étaient à charge de leur employeur. La cour retient que le système mis en place constituait assurément une des conditions commerciales conclues entre d’une part le concessionnaire et d’autre part à la fois la société qui octroie la concession et la société de financement, celles-ci faisant partie du même groupe.

La cour va conclure que, conformément à l’arrêté royal d’exécution, en son article 36, il y a lieu de soumettre les montants en cause aux cotisations O.N.S.S.

Intérêt de la décision

Le système mis en place – en toute légalité – comporte l’intervention de trois acteurs juridiques au moins, en sus du travailleur. Celui-ci est au service d’un concessionnaire, qui vend les véhicules d’une marque déterminée, et une société qui fait partie du groupe automobile octroie aux acheteurs des avantages fixés selon des campagnes promotionnelles du groupe.

La question posée à la cour du travail est dès lors de savoir si les commissions versées par la société financière doivent être considérées comme de la rémunération pour les vendeurs.

La cour a répondu très logiquement par l’affirmative.

L’on peut encore renvoyer sur la question à un arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2016 (Cass., 10 octobre 2016, n° S.15.0118.N – précédemment commenté), où celle-ci a relevé en substance que le fait qu’un tiers prend financièrement en charge un avantage accordé au travailleur en raison de son engagement par son employeur (qui ne le prend donc pas en charge lui-même, et ce ni directement ni indirectement) ne change rien au fait qu’il s’agit d’une rémunération au sens de l’article 2 de la loi du 12 avril 1965.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be