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Réduction des cotisations de sécurité sociale : que faut-il entendre par « engagement d’un nouveau travailleur » ?

Commentaire de Cass., 13 mai 2019, n° S.18.0039.N

Mis en ligne le vendredi 29 novembre 2019


Cour de cassation, 13 mai 2019, n° S.18.0039.N

Terra Laboris

Dans un arrêt de principe du 13 mai 2019, la Cour de cassation donne l’interprétation à réserver à l’article 344 de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002, en vertu duquel il n’y a pas de réduction de cotisations de sécurité sociale si le travailleur nouvellement engagé remplace un travailleur qui était actif dans la même unité technique d’exploitation au cours des quatre trimestres précédant l’engagement.

Objet du pourvoi

Le pourvoi est formé contre un arrêt de la Cour du travail d’Anvers (division Anvers) rendu le 14 octobre 2016 (non disponible du Juridat).

Le pourvoi contient un seul moyen et la Cour va retenir, comme l’avait fait M. l’Avocat général VANDERLINDEN dans ses conclusions, la seconde branche de celui-ci.

Le pourvoi

La seconde branche du pourvoi repose sur l’interprétation à donner à l’article 344 de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002. La question posée porte sur le point de savoir comment déterminer si un travailleur nouvellement engagé remplace effectivement un travailleur qui était actif dans la même unité technique d’exploitation au cours des quatre trimestres précédant l’engagement.

L’avis de M. l’Avocat général

M. l’Avocat général rappelle que la disposition n’est pas récente et que, hors quelques modifications de texte, elle figurait déjà à l’article 117, § 2, de la loi-programme du 30 décembre 1988.

Il reprend les termes des deux dispositions, dont le libellé est quasi-identique, mais retient qu’existe une différence, certains éléments figurant dans le texte précédent (essentiellement l’article 116) n’ayant pas été repris dans la loi de 2002. Cette disposition précisait ce qu’il fallait entendre par « augmentation du personnel ». M. l’Avocat général renvoie à un arrêt rendu le 10 décembre 2007, à propos de l’ancienne loi-programme du 30 décembre 1988, où, après avoir rappelé les articles 115, 115bis et 116 de la loi, la Cour de cassation avait considéré que : « Il suit de ces dispositions que le nouvel engagement ne donne droit au bénéfice de la dispense des cotisations patronales de sécurité sociale que s’il crée réellement un emploi et que l’augmentation nette de l’effectif du personnel requise est appréciée à la lumière du total des travailleurs occupés par l’employeur et de la masse salariale à 100% déclarée par celui-ci, sans distinction des statuts des travailleurs ou de la nature de leurs prestations ».

M. l’Avocat général rappelle ainsi que la loi de 1988 contenait deux critères, qui devaient être pris en considération pour pouvoir bénéficier de la réduction des cotisations, étant d’une part le nombre total de personnel occupé et d’autre part la masse salariale à 100% déclarée. Ces conditions ne sont reprises ni dans la loi ni dans son arrêté d’exécution. Pour M. l’Avocat général, l’aspect de la masse salariale ne peut, à défaut de constituer le seul fondement légal retenu, être pris en considération, non plus que le régime de travail pendant la période de référence, à défaut de dispositions légales en ce sens.

Il en résulte que le seul critère qui peut être retenu est l’augmentation du cadre du personnel. Dès lors qu’il y a un remplacement pendant la période de référence, il n’y a pas augmentation nette du nombre de personnel occupé et la réduction des cotisations sociales ne peut être accordée. M. l’Avocat général reprend encore les instructions administratives, qui prévoient le comptage par « têtes ». Il s’agit du personnel inscrit dans le registre du personnel, et ce indépendamment des travailleurs à temps partiel ou à temps plein. Seul le nombre total de membres du personnel compte et ne peuvent intervenir ni l’aspect de la masse salariale ni le régime de travail.

Il conclut à la cassation.

La décision de la Cour

La Cour reprend les dispositions pertinentes de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002, étant ses articles 335, alinéa 1er, 342, alinéa 1er, 343, § 1er, et 344.

Elle conclut qu’il ressort de cette dernière disposition qu’un nouvel engagement ne donne pas lieu aux réductions de cotisations lorsqu’il ne va pas de pair avec une création réelle d’emploi. Pour déterminer si le nouvel engagé remplace un travailleur qui était actif dans la même unité technique d’exploitation au cours des quatre trimestres précédant l’engagement, il y a lieu de faire une comparaison entre la consistance du personnel de cette unité technique au moment de l’entrée en service du nouvel engagé d’une part et le nombre maximal de personnel occupé dans cette unité technique dans le cours des quatre trimestres précédant cet engagement d’autre part.

Ce n’est que si la consistance du personnel dans l’unité technique d’exploitation au moment de l’entrée en service du nouvel engagé est augmentée et qu’il est satisfait également aux autres conditions légales que la réduction de cotisations sera accordée.

La Cour précise encore que, pour l’application de l’article 344 de la loi-programme, la cour du travail n’a pas pris en compte l’augmentation du personnel, mais uniquement le volume de travail effectué par les travailleurs et que, de ce fait, elle ne justifie pas sa décision en droit.

L’arrêt est ainsi cassé.

Intérêt de la décision

C’est à notre avis la première décision de la Cour de cassation sur la question, même si elle a été amenée dans un arrêt précédent repris par M. l’Avocat général dans ses conclusions – arrêt rendu le 10 décembre 2007 –, à statuer dans le cadre de la loi-programme du 30 décembre 1988.

Cet arrêt du 13 mai 2019 sera un arrêt de principe, la Cour y ayant donné l’interprétation à réserver à l’article 344 de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002, puisque que ne figurent plus dans le texte actuel les critères retenus par les mécanismes antérieurs.

L’importance de l’arrêt n’échappera dès lors pas.

Dans ses conclusions, M. l’Avocat général avait encore précisé que l’article 344 a fait l’objet d’une modification par la loi-programme du 22 décembre 2003 (article 50) et que les travaux préparatoires ne réservent que peu d’explications sur la question.

Ces dispositions font par ailleurs l’objet de contestations régulières, mais sur un autre point, étant la notion d’unité technique d’exploitation.

L’on peut à cet égard rappeler un arrêt de la Cour de cassation du 29 avril 2013 (Cass., 29 avril 2013, n° S.12.0096.N), qui a considéré que, pour l’application de l’article 344 de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002 autorisant l’octroi temporaire d’une réduction groupe-cible des cotisations de sécurité sociale, il faut examiner à la lumière des critères socio-économiques s’il y a unité technique d’exploitation. Il faut vérifier si l’entité qui occupe le travailleur nouvellement engagé a des liens sociaux et économiques avec celle qui, au cours des 12 mois précédant le nouvel engagement, a occupé un travailleur qui est remplacé par le nouveau. La circonstance qu’un travailleur licencié est engagé quelques mois plus tard par un autre employeur n’empêche pas qu’il y a lieu de prendre ce travailleur en compte lors de l’examen de l’éventuelle existence du lien social recherché.

Dans la jurisprudence de fond récente, l’on peut encore renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 21 février 2018 (C. trav. Bruxelles, 21 février 2018, R.G. 2016/AB/1.083 – précédemment commenté), de même qu’à un autre arrêt de la même cour du 16 juin 2016 (C. trav. Bruxelles, 16 juin 2016, R.G. 2015/AB/59 – également précédemment commenté).


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