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Convention de collaboration indépendante entre un médecin et un hôpital : la rupture à 65 ans est-elle discriminatoire ?

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 15 mars 2019, R.G. 17/1.290/A

Mis en ligne le mardi 28 janvier 2020


Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), 15 mars 2019, R.G. 17/1.290/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 15 mars 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) examine la question de savoir si la rupture automatique d’une convention de collaboration entre un médecin et un hôpital à l’âge de 65 ans, qui constitue une distinction directe, peut être dûment justifiée au sens de la loi du 10 mai 2007. En l’espèce, il retient une justification sur pied de son article 12.

Les faits

Une médecin spécialiste indépendante a presté au sein d’une intercommunale de santé publique dans le cadre de conventions de collaboration conclues avec la S.P.R.L. dont elle est gérante.

Trois conventions ont été signées successivement, la dernière étant à durée indéterminée. A l’approche de l’âge de 65 ans, l’intéressée fait part de sa volonté de poursuivre ses activités et propose de redévelopper celles-ci. Le chef de service de l’institution transmet à sa hiérarchie un avis négatif émanant du staff des médecins, déclinant la proposition d’engager l’intéressée sous contrat de « médecin senior ». Vu cet avis défavorable, il lui est confirmé que son activité prendra fin pour limite d’âge en tant qu’associée à la date de 65 ans.

Cette décision est contestée, l’intéressée considérant que l’article 45 du Règlement général médical sur laquelle elle est fondée est contraire à la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination. Elle demande une indemnisation, celle-ci étant de l’ordre de 580.000 euros. Vu l’absence de règlement amiable, une procédure est introduite devant le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi).

Position de la demanderesse devant le tribunal

L’intéressée estime qu’il y a violation de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, le règlement invoqué par l’hôpital lui étant inopposable et – à supposer qu’il le soit – étant discriminatoire. Elle fonde l’évaluation de son dommage sur l’article 18 de la loi.

La décision du tribunal

Le tribunal examine les dispositions applicables, étant celles de la loi du 10 mai 2007, dont le principe est d’interdire toute forme de discrimination dans les relations de travail, en ce compris le travail indépendant, la loi s’appliquant notamment à la rupture des relations de travail.

Pour ce qui est d’une discrimination fondée sur l’âge, celle-ci peut être justifiée, soit sur pied de l’article 8 de la loi, soit de son article 12. L’article 8 vise les exigences professionnelles essentielles et déterminantes, une caractéristique déterminée liée à l’âge étant essentielle et déterminante en raison de la nature des activités ou du contexte dans lequel celles-ci sont exécutées. L’exigence doit reposer sur un objectif légitime et être proportionnée à celui-ci. Quant à l’article 12, la justification peut intervenir en cas d’objectif légitime de politique de l’emploi, du marché du travail ou de tout autre objectif légitime comparable, pour autant que les moyens de le réaliser soient appropriés et nécessaires.

Sur le plan de l’indemnisation, le préjudice peut être réparé en application du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle. Au choix de la victime, il s’agira soit d’une somme forfaitaire, soit d’un dommage réellement subi, dommage que – dans cette hypothèse – la victime doit prouver.

Le tribunal examine ensuite la réglementation interne, qui prévoit que les activités dans l’hôpital cessent au dernier jour du mois dans lequel le médecin a atteint l’âge de 65 ans. Des prolongations exceptionnelles peuvent intervenir, par périodes annuelles, à l’initiative du Comité et sur proposition du Conseil médical dans certaines hypothèses. Ces hypothèses supposent que des conditions soient respectées (accord des deux tiers des membres du service, activité à temps partiel, absence de gestion dans le service, port du titre de « senior », etc.). Il s’agit de prolongations annuelles renouvelables.

Le tribunal reprend la loi coordonnée sur les hôpitaux et autres établissements de soins (loi du 10 juillet 2008). Celle-ci fixe le principe selon lequel les hôpitaux doivent élaborer une réglementation générale régissant leurs rapports juridiques avec les médecins, ainsi que les conditions d’organisation et les conditions de travail, en ce compris les conditions financières.

Ce règlement est opposable à la demanderesse, étant élaboré sur la base de la loi. Les conventions signées y font d’ailleurs référence.

Le tribunal en vient ainsi à l’examen de la disposition de ce règlement relative à la cessation des fonctions. Celle-ci contient un principe (fin des activités à 65 ans) et une exception (prolongation d’un an, renouvelable cinq fois, entraînant ainsi une fin d’activités à 70 ans maximum).

Pour le tribunal, une telle clause n’aurait pu exister dans un contrat de travail, s’agissant d’une clause résolutoire liée à l’âge. Il renvoie à l’article 36 de la loi du 3 juillet 1978 selon lequel sont nulles les clauses prévoyant que le fait d’avoir atteint l’âge de la pension légale ou conventionnelle mette fin au contrat. L’intéressée est donc dans une situation moins favorable que si elle avait été liée à l’hôpital dans le cadre d’un contrat de travail.

Par ailleurs, la fin du contrat de collaboration intervenant automatiquement à 65 ou 70 ans peut être considérée comme une distinction liée à l’âge. Elle vise de la même manière tout médecin lié avec l’hôpital par une convention de collaboration. La demanderesse est dès lors dans la même situation que ceux-ci.

Le tribunal retient encore que de telles clauses se rencontrent régulièrement dans les réglementations internes aux hôpitaux (renvoyant à des décisions de jurisprudence à cet égard).

Il examine, dès lors, si la distinction est justifiée. L’intéressée offrait des prestations médicales spécifiques, à savoir au sein de la revalidation fonctionnelle de l’institution. Le tribunal retient que la Cour du travail de Bruxelles a eu à juger un cas similaire (C. trav. Bruxelles, 26 juillet 2013, R.G. 2013/CB/2), où elle a rappelé que le juge vérifie au cas par cas si telle caractéristique donnée constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante. Pour ce qui est d’une distinction directe fondée sur l’âge, elle ne constituera pas une discrimination lorsqu’elle est raisonnablement justifiée, conformément aux critères de l’article 12. Il s’agissait en l’espèce d’un médecin diabétologue traitant des malades chroniques bénéficiant de conventions I.N.A.M.I.

Le tribunal reprend de longs extraits de cet arrêt de la cour du travail, qui insiste sur la nécessité d’assurer l’équilibre des générations et de garantir la continuité des soins. La cour y a conclu que la discrimination était en l’espèce intervenue suite à une brusque décision de mettre fin aux activités du médecin et, surtout, eu égard aux modalités de cette rupture, qui s’était accompagnée d’un préavis de sept mois, mais sans tenir compte des conventions I.N.A.M.I. en cours ainsi que d’accords qui auraient dû intervenir à propos du suivi des patients concernés.

Le tribunal examine, ensuite, les justifications qui lui sont présentées et conclut que les dispositions litigieuses présentent en l’espèce une certaine logique. Il considère qu’une certaine mixité des âges est sans doute nécessaire dans une équipe médicale, motif donné dès le départ et figurant d’ailleurs dès l’élaboration du projet de budget, où il avait été souligné que le rajeunissement du staff semblait une réelle nécessité.

Il conclut qu’il y a dès lors lieu de s’écarter du cas tranché par la Cour du travail de Bruxelles, la demanderesse ne présentant aucun argument qui tendrait à démontrer que, dans son cas particulier, les motifs objectifs et raisonnables de justification présentés par l’institution ne tiennent pas. Son départ est intervenu dans une situation où il y avait une forte proportion de médecins « senior » dans son service et, par ailleurs, elle ne plaide pas la pénurie de personnel ou autres difficultés quant à la qualité des soins. Pour le tribunal, la distinction fondée sur l’âge est justifiée.

Surabondamment, il lui est fait grief d’avoir fixé son préjudice à l’équivalent de cinq années de revenus bruts, le tribunal considérant qu’elle ne peut d’une part fixer celui-ci que sur le montant net et, d’autre part, qu’elle n’a pas l’assurance d’avoir pu travailler jusqu’à septante ans, le dommage étant un dommage futur d’un caractère incertain qui ne pourrait être réparé que par la perte d’une chance.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail du Hainaut examine les critères de justification d’une distinction directe, étant la rupture automatique d’un contrat de collaboration indépendante à l’âge d’ouverture du droit à la pension de retraite.

Le tribunal rappelle que la distinction peut être justifiée et procède à l’examen de cette justification. L’on notera que celle-ci repose en l’espèce essentiellement sur des éléments de fait, étant constaté que la pyramide des âges au sein du personnel médical entraînait une sous-représentation des jeunes médecins, le constat ayant été posé précédemment de la nécessité du rajeunissement des cadres. Le motif en l’espèce est sincère, puisqu’il avait déjà été émis avant la rupture de la convention de collaboration. Le tribunal retient en outre d’autres éléments factuels, étant essentiellement l’avis défavorable du service, au motif que l’intéressée ne remplissait pas les critères de prolongation de carrière exigés par la réglementation.

La question de la justification de la distinction directe est, comme l’a rappelé la Cour du travail de Bruxelles dans l’arrêt auquel le tribunal fait longuement référence, une question d’appréciation de fait selon les circonstances de la cause.


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