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Le congé de paternité suspend-il le préavis à prester ?

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 4 mars 2019, R.G. 17/3.004/A

Mis en ligne le jeudi 30 janvier 2020


Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), 4 mars 2019, R.G. 17/3.004/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 4 mars 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) conclut par la négative, le congé de paternité ne figurant pas dans les causes légales de suspension du préavis prévues par la loi du 3 juillet 1978.

Les faits

Un chauffeur-livreur au service d’une société de transport est licencié en décembre 2016 après avoir reçu un avertissement un mois plus tôt, relatif à des manquements contractuels (menaces d’abandon du véhicule, absence de déchargement de colis, etc.).

Le licenciement intervient avec préavis à prester. Concomitamment, il a remis des certificats médicaux et des incidents opposent les parties en ce qui concerne la justification légale de l’absence. Ceci amène l’organisation syndicale à intervenir et à faire une mise au point. L’intéressé, qui avait été victime d’un accident du travail à ce moment, n’a pas pu prester normalement, ayant bénéficié ensuite pendant deux semaines d’un congé de paternité. Il envisage de reprendre le travail à ce moment afin de prester le préavis qui lui a été notifié. L’employeur lui signale alors que, pour le premier jour, il « imputera » un jour de vacances annuelles et qu’il sera mis au chômage économique ensuite, soit une suspension totale de son contrat pendant cette période, le préavis devant commencer à l’issue de celle-ci.

Avant la fin de la période correspondant au chômage économique, la société envoie alors un courrier constatant que le préavis se serait terminé deux semaines auparavant. Les documents de sortie sont annoncés.

Le travailleur, en désaccord avec la computation des journées de préavis, introduit une procédure, réclamant un complément d’indemnité compensatoire et une indemnité sur base de la C.C.T. n° 109.

La décision du tribunal

Le tribunal examine en premier lieu les périodes invoquées par l’employeur comme étant de nature à entraîner la suspension totale de l’exécution du préavis. Les dispositions de la loi du 3 juillet 1978 sont rappelées, étant essentiellement l’article 37/7 et l’article 38. Le premier prévoit notamment qu’en cas de congé donné par l’employeur avant ou pendant la suspension, le délai de préavis ne court pas pendant celle-ci. En vertu de l’article 38, il est prévu que le délai ne court pas davantage en cas de congé donné par l’employeur avant ou pendant la cause de suspension.

Le tribunal renvoie à la doctrine en ce qui concerne les possibilités de donner congé, étant que les deux parties peuvent mettre un terme au contrat pendant la suspension de l’exécution du contrat de travail, que celle-ci intervienne pour cause de vacances annuelles, de repos de maternité (et périodes assimilées par les articles 41 à 45 de la loi sur le travail), de détention préventive, d’incapacité de travail, d’intempéries, ou encore de manque de travail résultant de causes économiques.

Une réserve est faite en ce qui concerne la travailleuse enceinte, dans l’hypothèse où le congé émane de l’employeur, étant qu’elle bénéficie d’une protection spéciale (le tribunal renvoyant à W. VAN EECKHOUTTE et V. NEUPREZ, « Compendium social – Droit du travail – 2017-2018 », tome 3, 2017, Kluwer, p. 2363).

Selon la même doctrine, la règle selon laquelle le délai de préavis cesse de courir ne s’applique que dans les cas où la loi prévoit la suspension du délai de préavis, étant les situations ci-dessus, et non d’autres hypothèses de suspension. Il est renvoyé à un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 30 juin 2015 (C. trav. Bruxelles, 30 juin 2015, J.T.T., 2015, p. 445) pour une suspension conventionnelle et à un ancien arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 1970 (Cass., 9 octobre 1970, Arr. Cass., 1971, p. 134) pour un cas de grève. La prolongation du délai de préavis résulte d’office de la suspension du contrat, même si le travailleur a droit à son salaire garanti pendant celle-ci, le tribunal citant ici un arrêt de la Cour suprême du 18 novembre 2002 (Cass., 18 novembre 2002, R.W., 2003-2004, p. 263).

En l’espèce, le préavis, d’une durée de six semaines, devait prendre cours le 26 décembre 2016. Le travailleur a été en incapacité suite à l’accident du travail jusqu’au 30 mars 2017, entraînant dès lors une suspension pendant la période correspondante. Pour les deux semaines suivantes (congé de paternité), le tribunal considère que ce congé n’a pas suspendu le préavis. Le travailleur ayant reçu pour instruction de reprendre le travail à l’issue de ces deux semaines, soit le 14 avril, le tribunal retient qu’il y a vacances annuelles (un jour) et chômage économique (pour la période du 18 avril au 12 mai). Il y a dès lors une nouvelle suspension du contrat. L’employeur ayant considéré que le préavis se serait terminé le 28 avril, soit pendant la période de chômage économique, le tribunal conclut que la demande est fondée, dans la mesure où seule une période de deux semaines (congé de paternité) n’a pas suspendu l’exécution du contrat. Est dès lors allouée une indemnité de quatre semaines.

Pour ce qui est du licenciement manifestement déraisonnable, le tribunal constate que les motifs ont été communiqués et il rappelle les règles de preuve, dans cette hypothèse. Il retient le caractère « particulièrement abstrait » de la motivation, qui se réfère de manière générale à des « faits du même genre que ceux dénoncés ». Cependant, vu qu’un avertissement est intervenu un mois avant le licenciement et que plus aucun fait n’est survenu dans l’intervalle, il alloue une indemnité, vu l’absence de faits de nature à justifier le licenciement. Le montant alloué est de l’ordre de 7.000 euros, sans que la hauteur de l’indemnité ne soit autrement détaillée.

Le jugement ordonne, enfin, une réouverture des débats à propos d’autres postes (arriérés de rémunération et indemnités R.G.P.T.).

Intérêt de la décision

Le tribunal rappelle l’effet des causes de suspension du contrat de travail sur l’exécution du préavis ainsi que les hypothèses permettant cette suspension. En vertu de la loi, il y a suspension dans une série d’hypothèses déterminées : il s’agit des causes légales, prévues aux articles 28, 1°, 2° et 5°, de la loi (pour les vacances annuelles, le repos de maternité et situations assimilées par les articles 41 à 45 de la loi sur le travail et détention préventive), ainsi que 31 (incapacité de travail), 50 (intempéries) et 51 ou 77/4 (chômage économique).

Le tribunal constate que le congé de paternité n’est pas visé dans dispositions et l’assimile dès lors à une période de préavis prestée. Aucune suspension ne peut être retenue pour la période correspondante.

Ce jugement est à notre connaissance le premier rendu sur la question.


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