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Gérant de société et associé actif : quid de l’assujettissement au statut social ?

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Verviers), 5 avril 2019, R.G. 18/337/A

Mis en ligne le vendredi 7 février 2020


Tribunal du travail de Liège (division Verviers), 5 avril 2019, R.G. 18/337/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 5 avril 2019, le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) rappelle la distinction entre la situation d’un mandataire de société (gérant) et celle d’un associé actif au regard de l’obligation d’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants.

Les faits

Un travailleur indépendant est affilié à une caisse d’assurances sociales en qualité d’associé actif d’une S.P.R.L. depuis 2004. Celle-ci a été déclarée en faillite en 2009. Entre-temps, une autre a été constituée, dans laquelle il possède 60 parts sociales sur 100 et a été désigné en qualité de gérant à durée illimitée. La démission de l’intéressé est actée au registre du commerce en 2016, celui-ci cédant les 90 parts sociales qu’il détient alors.

Auparavant, il a constitué une autre S.P.R.L., dans laquelle il détenait 10 parts sociales sur 100. Il en a acquis 10 supplémentaires en cours de route et cède celles-ci également. Les deux démissions sont quasi-concomitantes. Dans le même temps, il signale à sa caisse qu’il a mis un terme à son activité d’indépendant, communiquant la déclaration de cessation relative à la deuxième société.

La caisse considère cependant qu’il reste redevable de cotisations sociales. Elle décerne une contrainte.

Une procédure est dès lors introduite, par citation du 18 avril 2018.

Position des parties

Le demandeur considère que, les cotisations étant réclamées pour sa situation par rapport à la deuxième société, il ne détenait que 10 parts sociales sur 100 (celles-ci et les autres acquises ayant été cédées en totalité en 2016). Il fait valoir par ailleurs qu’il n’a jamais exercé de mandat de gérant et n’a jamais été associé actif, ses revenus provenant de la société pour laquelle il avait précisément la qualité de gérant et non pour celle à la cause.

La décision du tribunal

Le tribunal renvoie aux principes de l’A.R. n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants. Il rappelle que la définition du travailleur indépendant est sociologique, trois conditions devant être remplies pour qu’il y ait obligation d’assujettissement, étant (i) qu’une activité professionnelle doit être exercée, étant une activité poursuivie dans un but de lucre, même si en fait elle ne produit pas de revenus, (ii) que celle-ci doit s’exercer en l’absence d’un lien de subordination et (iii) qu’elle doit être localisée en Belgique.

Il rappelle encore la présomption fiscale d’assujettissement relative aux revenus que l’activité peut générer, le critère sociologique prévalant par rapport au critère fiscal, principe dégagé en jurisprudence depuis très longtemps. Le tribunal renvoie ici à plusieurs arrêts de la Cour de cassation et de cours du travail (dont Cass., 26 janvier 1987, n° 7663 et C. trav. Mons, 28 septembre 1994, J.T.T., 1995, p. 73).

Pour ce qui est de la situation spécifique du mandataire de société, existe une présomption réfragable (article 3, § 1er, alinéa 4). Celle-ci concerne les personnes désignées comme mandataires ou qui, sans l’être, exercent un mandat. Il y a présomption d’exercice de l’activité professionnelle en qualité de travailleur indépendant.

Le tribunal rappelle encore le mode de renversement de celle-ci, étant que le travailleur indépendant peut établir le caractère non régulier de l’activité, ou encore la gratuité du mandat.

En ce qui concerne la preuve de la gratuité, celle-ci est abordée à l’article 2 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967, qui dispose qu’elle peut ressortir d’une disposition statutaire ou, à défaut, d’une décision de l’organe compétent pour fixer les rémunérations des mandataires.

Cette preuve ne peut cependant être admise (§ 3 de l’article 2) lorsque des revenus visés à l’article 30, 2°, C.I.R. découlent du mandat ou lorsque l’association ou la société verse des cotisations ou des primes pour la constitution d’une pension complémentaire de mandataire.

Pour ce qui est du statut de l’associé actif, celui-ci n’est par contre pas expressément visé à l’arrêté royal n° 38. Le tribunal renvoie, dès lors, à l’apport de la jurisprudence sur la question, dont l’arrêt de la Cour de cassation du 26 janvier 1987 déjà cité, qui en a apporté la définition : c’est celui qui, non seulement, détient une part du capital et en recueille les fruits, mais qui encore exerce au sein de la société une activité non salariée dans le but de faire fructifier ce capital, qui lui appartient en partie. Il est en tant que tel soumis au statut sans qu’il soit requis qu’il ait perçu des bénéfices et que l’activité exercée au service de la société ait la nature d’une gestion ou d’une direction au sens étroit de ces termes (cette précision venant d’un arrêt du 15 septembre 1980 – Cass., 15 septembre 1980, Pas., 1981, I, p. 47).

La gratuité du mandat n’implique donc pas que l’intéressé ne puisse être considéré comme associé actif (C. trav. Mons, 14 décembre 2012, R.G. 2011/AM/450, renvoyant à C. trav. Mons, 22 octobre 2003, R.G. 17.405).

Enfin, pour qu’il y ait but de lucre, il n’est pas exigé qu’il y ait eu perception effective de revenus.

Le tribunal examine, ensuite, les éléments du dossier à la lumière de ces principes, rappelant encore qu’il n’existe pas de présomption liée à la qualité d’associé actif. La caisse doit, pour cette situation, non seulement prouver que l’intéressé a bien cette qualité, mais également qu’il exerce une activité dans le but de faire fructifier le capital investi. En l’espèce, il constate que

  • l’assujettissement sur la base du critère fiscal est inapplicable (absence de perception de revenus) ;
  • il y a absence de preuve de la qualité de gérant de la société ;
  • l’intéressé ne détenait que 20 parts sociales sur 100 – parts cédées en septembre 2016 ;
  • il y a absence de preuve de l’exercice d’une activité professionnelle effective.

Il n’y a dès lors pas lieu à assujettissement pour ce qui est de cette société.

Par contre, pour la première, dans la mesure où n’est pas établie l’absence d’activité habituelle (ni même l’absence de but de lucre dans le chef de la société), de même qu’un lien contractuel ou statutaire de subordination, l’activité étant par ailleurs localisée en Belgique, les trois critères de départ sont réunis. Le tribunal examine ainsi si le mandat a été exercé effectivement, étant qu’il doit s’agir d’une activité régulière et habituelle, le mandataire devant exercer un contrôle actif sur la gestion et étant tenu de se tenir informé à tout instant de la situation sociale.

Soulignant encore que l’exercice de l’activité professionnelle est une question de fait, le tribunal examine les éléments de l’espèce. Il en conclut que l’intéressé avait à la fois la qualité de gérant et d’associé actif et qu’il devait, dès lors, être assujetti pour la période concernée.

Reste un dernier point, étant la question de la solidarité de la S.P.R.L. pour laquelle aucune activité n’a été retenue au sens du statut social. Le tribunal renvoie à l’article 15, § 1er, alinéa 3, de l’arrêté royal, qui dispose notamment que les personnes morales sont tenues solidairement au paiement des cotisations et des amendes administratives, dont leurs associés ou leurs mandataires sont redevables.

La Cour de cassation (Cass., 6 juin 1988, n° 4933) considère à cet égard que le texte est clair et que cette solidarité vaut pour toutes les cotisations sociales dues par les associés ou mandataires, quelle que soit la diversité des activités de ceux-ci. Ce principe est confirmé dans toute la jurisprudence. Le tribunal relève encore que l’article 15, § 1er, alinéa 3, ne limite pas les effets de la solidarité qu’il impose.

Intérêt de la décision

La question de l’assujettissement des gérants de société et associés actifs est régulièrement soumise aux juridictions du travail vu l’existence de présomptions d’exercice d’une activité indépendante et la possibilité de faire valoir, par son renversement, l’absence d’activité.

La particularité de l’espèce tranchée est la relation de l’indépendant à qui des cotisations sont réclamées vis-à-vis (essentiellement) de deux S.P.R.L., qui ont été actives pendant la même période et dans lesquelles l’intéressé a joué un rôle non négligeable. Le tribunal a examiné successivement la situation juridique du demandeur par rapport à chacune des deux sociétés, partant de la double prémisse que le statut peut être celui de mandataire (gérant), ou encore d’associé actif. Il a rappelé les règles applicables à chacun de ces deux cas, soulignant que la caisse ne bénéficie d’aucune présomption pour la qualité d’associé actif et qu’elle doit dès lors non seulement rapporter la preuve de cette qualité, mais aussi de l’exercice d’une activité par l’associé.

L’on peut renvoyer sur cette question à la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 10 août 2018, R.G. 2017/AB/834), notamment.

Le jugement rappelle par ailleurs la définition de l’associé actif dans une société de personnes à responsabilité limitée, étant qu’il doit s’agir d’une personne qui y exerce une activité dans le but de faire fructifier le capital qui lui appartient en partie. Elle est dès lors considérée comme travailleur indépendant.


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