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Délai de contestation d’une décision de guérison sans séquelles suite à un accident du travail : nature

Commentaire de C. trav. Mons, 14 mai 2019, R.G. 2018/AM/318

Mis en ligne le vendredi 21 février 2020


Cour du travail de Mons, 14 mai 2019, R.G. 2018/AM/318

Terra Laboris

Par arrêt du 14 mai 2019, la Cour du travail de Mons reprend l’évolution législative relative à la nature de ce délai, qui a été aligné sur ceux de l’article 69 de la loi : il s’agit d’un délai de prescription et non plus d’un délai préfix.

Les faits

Un accident du travail étant survenu le 18 novembre 2008, l’assureur-loi de l’employeur a indemnisé la victime dans le cadre de l’incapacité temporaire pendant trois mois. Cinq mois plus tard, suite à l’avis de son médecin-conseil, il procède à la guérison sans séquelles. L’assureur affirme avoir notifié cette décision en date du 31 juillet 2009. L’intéressé conteste avoir reçu celle-ci.

En 2014, ce dernier fait valoir une aggravation de son état en relation causale avec l’accident. L’assureur mandate dès lors son médecin-conseil, qui a recours à un sapiteur. La conclusion médicale est que la cause de l’état de l’intéressé réside dans des facteurs psychogènes et dans un élément de sursimulation. L’assureur lui écrit dès lors que, vu les nouveaux examens médicaux, le contenu de la lettre du 31 juillet 2009 est confirmé. Cette notification date du 8 avril 2014.

Une citation est lancée le 30 mars 2017, aux fins de faire fixer judiciairement les séquelles de l’accident. Par jugement du 30 juillet 2018, le Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière) conclut à l’irrecevabilité de l’action, au motif de non-respect du délai prévu à l’article 72, alinéa 2, de la loi du 10 avril 1971.

L’intéressé interjette appel.

La position des parties devant la cour

L’appelant fait grief au premier juge d’avoir considéré que la preuve était rapportée de la notification de la décision de guérison sans séquelles en date du 31 juillet 2009. Vu la décision prise le 8 avril 2014, il considère avoir cité dans le délai de l’article 69, alinéa 5, de la loi. Par ailleurs, si – quod non – il fallait admettre que le délai a débuté à la date de l’accident (18 novembre 2008), la prescription aurait été interrompue par de nombreux examens médicaux, ceux-ci constituant une reconnaissance de principe du droit. Enfin, subsidiairement, au cas où il serait admis que la décision du 31 juillet 2009 avait été régulièrement notifiée, il estime que l’action devait être requalifiée d’action en aggravation.

Pour l’assureur, il y a lieu de débouter l’intéressé en tant que sa demande serait une action en fixation des séquelles de l’accident. Il s’agit en réalité d’une action en aggravation des conséquences de celui-ci, action introduite au-delà du délai de révision. Pour examiner cette aggravation, l’assureur demande la désignation d’un expert. Subsidiairement, il conclut à l’irrecevabilité de la demande, vu le non-respect de l’article 69 de la loi.

La décision de la cour

La cour fixe le cadre légal comme suit. La loi du 21 décembre 2013 portant des dispositions diverses urgentes en matière de législation sociale a modifié l’article 72 de la loi. Son alinéa 2 a été supprimé. Avant cette modification, le texte prévoyait que la victime ou ses ayants droit pouvai(en)t intenter une action en justice contre la décision de guérison sans incapacité permanente de travail dans les trois ans qui suivent la date de notification visée à l’article 24.

Peu auparavant, par arrêt du 18 juin 2009 (C. const., 18 juin 2009, n° 102/2009), la Cour constitutionnelle avait mis un terme à la discussion relative à la nature du délai de trois ans applicable en cas de contestation de la décision de guérison sans séquelles.

De manière générale, l’article 69 de la loi, concernant les actions en paiement des indemnités, prévoit un délai de prescription, alors que l’article 72, alinéa 1er (concernant une révision des indemnités fondée sur une modification de la capacité de travail de la victime) était assorti d’un délai préfix. Pour la Cour constitutionnelle, l’action en contestation de cette décision n’est pas une demande en révision mais s’apparente à une action en paiement d’indemnités, de sorte que la différence n’était pas raisonnablement justifiée.

En conséquence, la loi du 21 décembre 2013 a abrogé l’alinéa litigieux et a complété l’article 69 en prévoyant que, dans les cas visés à l’article 24, alinéa 1er, (guérison sans séquelles), l’action en paiement des indemnités se prescrit par trois ans à dater de la notification de la décision.

Pour ce qui est de la notification de la décision, il s’impose, en vertu de l’article 24, alinéa 1er, de la loi sur les accidents du travail, dès lors qu’il y a eu incapacité temporaire de plus de sept jours, de notifier selon les modalités prévues par le Roi. Si l’incapacité excède trente jours, la décision de guérison doit être justifiée par certificat médical, rédigé par le médecin de la victime ou le médecin-conseil de l’entreprise d’assurances.

Le mode de notification est prévu à l’arrêté royal du 9 octobre 2003, selon que l’incapacité a été de plus sept jours (nécessité d’une lettre distincte, celle-ci valant comme date de prise de cours du délai visé à l’article 72) ou de plus de trente jours (certificat à rédiger sur un modèle fixé par le Roi par l’un ou l’autre des deux médecins ci-dessus et obligation de notifier la décision à la résidence principale de la victime, sauf dérogation à sa demande). Il n’est pas exigé que la notification intervienne par lettre recommandée. La charge de la preuve de la notification incombe cependant à l’assureur. Celle-ci peut être apportée par présomptions répondant aux conditions de l’article 1349 du Code civil.

En l’espèce, la cour constate que la décision supposée avoir été notifiée le 31 juillet 2009 mais dont la notification est contestée n’a entraîné aucune réaction de l’intéressé, en ce compris dans les premiers écrits de procédure. La cour retient qu’elle a été envoyée, vu l’absence de contestation, et que, par conséquent, la citation est intervenue en-dehors du délai de trois ans.

Elle rejette par ailleurs l’argument tiré des examens médicaux, ceux-ci n’étant pas une cause d’interruption, dans la mesure où ils ont été effectués sous réserves et, par ailleurs, au-delà du délai de trois ans.

En conclusion, la demande doit s’analyser en une demande d’aggravation après le délai de révision, étant la demande prévue à l’article 9 de l’arrêté royal du 10 décembre 1987 relatif aux allocations accordées dans le cadre de la loi sur les accidents du travail. Celle-ci peut entraîner le droit à une allocation d’aggravation, à la condition que celle-ci soit définitive et que le taux d’incapacité après celle-ci soit d’un minimum de 10%.

La cour désigne, dès lors, un expert avec une mission spécifique dans le cadre de l’aggravation prévue par cette disposition.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons rappelle l’intervention de la Cour constitutionnelle, qui, dans son arrêt du 18 juin 2009, a mis un terme à la distinction opérée jusqu’alors pour ce qui est du délai d’introduction d’une demande en contestation d’une décision de guérison sans séquelles, eu égard à la règle générale de l’article 69 de la loi.

Le principe est, en effet, pour toutes les indemnités allouées dans le cadre de la loi du 10 avril 1971, de retenir un délai de prescription de trois ans. Celui-ci peut être interrompu selon les voies ordinaires, mais également par une lettre recommandée, mode d’interruption spécifique à la matière. La loi ayant prévu que, dans l’hypothèse d’une décision de guérison sans séquelles, le délai d’introduction de la demande en paiement des indemnités (soit la contestation de la décision de guérison sans séquelles) étant un délai préfix, la Cour constitutionnelle a estimé que ni la nature contractuelle du lien qui l’unit à son employeur, ni la nature des tâches effectuées dans le secteur privé, ni la procédure d’indemnisation des accidents du travail, ni enfin le caractère privé des sociétés d’assurances qui interviennent dans ce secteur ne permettent de justifier qu’un délai préfix soit imposé au travailleur du secteur privé victime d’un accident du travail qui entend contester la décision de guérison sans incapacité permanente prise par l’assureur à son sujet (la cour reprenant ici les éléments d’appréciation qu’elle retient généralement lorsqu’elle procède à la comparaison avec le système de réparation dans le secteur public).

La cour a précisé qu’il en va d’autant plus ainsi que les actions en paiement des indemnités prévues par l’article 69 sont assorties d’un délai de prescription, tandis que le délai préfix de l’article 72 concerne la demande en révision des indemnités fondée sur une modification de la capacité de travail de la victime survenue en conséquence d’un événement postérieur à l’accident. Dès lors que l’action en contestation de la guérison sans incapacité permanente n’est pas une demande en révision mais s’apparente à une action en paiement d’indemnités, il n’est pas raisonnablement justifié que celle-ci soit assortie d’un délai préfix et non d’un délai de prescription.

La chose n’est plus débattue depuis.

L’on constate – comme dans la présente espèce – que la combinaison des règles (article 72 et article 24) peut encore poser problème dans la pratique. L’assureur ne s’y est pas mépris, ayant envisagé séparément l’hypothèse de la demande de paiement d’indemnités et celle de demande d’une allocation d’aggravation introduite après l’expiration du délai de révision.


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