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Notion de premier engagement et d’U.T.E.

C. trav. Liège (div. Namur), 22 août 2019, R.G. 2018/AN/138

Mis en ligne le jeudi 26 mars 2020


C. trav. Liège (div. Namur), 22 août 2019, R.G. 2018/AN/138

Terra Laboris

Notion de premier engagement et d’U.T.E.

Par arrêt du 22 août 2019, la Cour du travail de Liège (division Namur) dégage les critères pertinents dans l’examen de l’existence d’une unité technique d’exploitation constituée par deux sociétés, écartant par ailleurs les critères indifférents.

Les faits

Une société A exploite une pharmacie dans une agglomération dépendant d’une commune du Namurois. Une autre société exploite une pharmacie dans une commune proche. Des changements d’actionnariat sont intervenus en 2008, une troisième société C ayant acquis la quasi-totalité des parts de la société B, et, en 2012, la totalité des parts de la société A. En 2013, la société A a fermé son officine et a entrepris les démarches administratives en vue de la transférer dans une autre commune proche. Ceci a été autorisé à partir du troisième trimestre 2016, l’exploitation de l’officine ayant débuté à ce moment. La société A demande alors à pouvoir bénéficier des réductions de cotisations « premiers engagements » pour deux engagements intervenus fin août.

La procédure

L’O.N.S.S. a supprimé, par une décision du 14 mars 2017, les réductions de cotisations « premiers engagements » accordées à la société pour les troisième et quatrième trimestres 2016, au motif qu’il s’agissait d’une seule unité technique d’exploitation et que les travailleurs engagés par elle remplaçaient des travailleurs occupés précédemment au sein de l’autre.

La société a pour sa part demandé en cours de procédure la restitution des cotisations supplémentaires payées suite à cette décision.

Par jugement du 18 juin 2018, le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) a fait droit à la demande de la société et a annulé la décision de l’O.N.S.S., admettant le droit pour la demanderesse aux réductions des cotisations.

L’O.N.S.S. interjette appel.

La position des parties devant la cour

La position de l’O.N.S.S.

L’O.N.S.S., appelant, fait valoir que les nouveaux travailleurs ne peuvent remplacer des travailleurs actifs dans la même unité technique d’exploitation. Il faut une réelle création d’emploi. En l’occurrence, les critères économiques et sociaux amènent l’Office à conclure que la société A et la société B forment ensemble une seule U.T.E., de telle sorte qu’il n’y a pas de création nette d’emploi.

Les critères sur lesquels il s’appuie sont les suivants :

  • La même S.P.R.L. (société C) est gérante et administratrice des sociétés A et B ;
  • Elle en détient 100% des parts pour l’une et 99,2% pour l’autre, ce qui fait que l’actionnariat est identique et le bénéficiaire économique également. Il n’y a pas de société ou entité concurrente ;
  • La création d’une nouvelle activité est indifférente dès lors que l’U.T.E. est identique et que la somme des travailleurs occupés n’a pas augmenté ;
  • Au moins une travailleuse est commune aux deux entités ;
  • L’objet de l’activité est identique : officine pharmaceutique ;
  • Ces officines sont proches et sont susceptibles de viser la même clientèle.

La position de la société

La société conteste l’unité technique d’exploitation unique. Elle plaide qu’elle n’a pas créé deux entités en vue de bénéficier des réductions de cotisations, l’officine nouvelle étant par ailleurs totalement indépendante socialement et économiquement de l’autre société et ne partageant qu’une seule employée, qui a souhaité se rapprocher de son domicile et a de ce fait intégré la société A. Elle n’a quant à elle pas bénéficié des réductions de cotisations. Quant à la clientèle, elle est distincte, les deux officines étant éloignées de plus de vingt kilomètres et chacune disposant d’un pharmacien responsable, d’un équipement propre ainsi que d’un grossiste, comme ceci est imposé par la réglementation. De même, sont différents les assureurs, les horaires, les formes juridiques et les politiques de prix.

La décision de la cour

La cour procède au rappel des dispositions pertinentes de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002, ainsi que des principes régulièrement dégagés par la Cour de cassation dans sa jurisprudence à propos des conditions imposées quant à l’exigence d’un nouvel engagement ainsi qu’à la notion d’unité technique d’exploitation en la matière. Il ressort notamment d’un arrêt du 1er février 2010 (Cass., 1er février 2010, n° S.09.0017.N) qu’il faut examiner si l’entité qui occupe le travailleur nouvellement engagé est socialement et économiquement interdépendante de l’entité qui occupait le travailleur qu’il remplace.

La cour passe ensuite à l’examen des critères retenus dans le cas d’espèce.

Elle écarte d’abord l’argument tiré de la continuité économique et sociale, cette question étant indifférente. L’existence de l’unité technique d’exploitation s’apprécie en effet au regard des critères socio-économiques, c’est-à-dire eu égard à l’interdépendance sociale et économique entre les deux entités en cause. De même, est indifférente la volonté de recourir à deux entités juridiques distinctes pour obtenir des réductions de cotisations.

Quant aux critères pertinents, la cour les passe en revue. L’identité d’actionnariat est avérée, une seule personne détenant en (quasi) totalité les deux entités juridiques en cause, qui ont le même bénéficiaire économique. La gérante et administratrice-déléguée est la société C. Pour la cour, ces deux premiers éléments constituent un lien très fort, tant sur le plan social qu’économique. Elle relève également qu’existe un travailleur salarié commun aux deux et, pour ce qui concerne ce dernier, la volonté de se rapprocher de son domicile ou d’autres raisons de convenance personnelle sont indifférentes. De même, la circonstance que les réductions ne sont pas demandées pour lui.

Enfin, est retenue l’identité d’activités (et non le fait qu’il s’agirait d’activités proches ou similaires), puisqu’il s’agit de l’exploitation d’une pharmacie, et ce d’ailleurs dans un contexte géographique (et rural) déterminé.

Vu l’ensemble de ces éléments, la cour accueille l’appel de l’O.N.S.S. et réforme le jugement du Tribunal du travail de Dinant.

Intérêt de la décision

Les indices retenus par l’O.N.S.S., dans cette affaire, ont été pris en compte par la cour du travail pour aboutir à la conclusion de l’existence d’une unité technique d’exploitation.

L’on notera, sur la question, l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 29 avril 2013 (Cass., 29 avril 2013, n° S.12.0096.N), qui a dégagé des critères importants. La Cour y a en effet conclu que, pour l’application de l’article 344 de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002 autorisant l’octroi temporaire d’une réduction groupe-cible des cotisations de sécurité sociale, il faut examiner à la lumière des critères socio-économiques s’il y a unité technique d’exploitation. Il faut vérifier si l’entité qui occupe le travailleur nouvellement engagé a des liens sociaux et économiques avec celle qui, au cours des 12 mois précédant le nouvel engagement, a occupé un travailleur qui est remplacé par le nouveau. La circonstance qu’un travailleur licencié est engagé quelques mois plus tard par un autre employeur n’empêche pas qu’il y a lieu de prendre ce travailleur en compte lors de l’examen de l’éventuelle existence du lien social recherché.

Sur la même question, pour laquelle les juridictions du travail sont régulièrement saisies, l’on peut encore relever un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 21 février 2018 (C. trav. Bruxelles, 21 février 2018, R.G. 2016/AB/1.083 – précédemment commenté), qui a repris les critères à vérifier pour la reconnaissance de l’U.T.E. La cour du travail a précisé que la loi-programme (I) du 24 décembre 2002 ne définit pas la notion d’unité technique d’exploitation, non plus que celle qui l’a précédée, qui était une loi-programme du 30 décembre 1988. Il n’y a pas de référence aux législations en matière d’élections sociales (avec renvoi à Cass., 29 avril 2013, n° S.12.0096.N). Il faut vérifier l’existence d’une telle U.T.E. à la lumière de critères socio-économiques : l’entité qui occupe le travailleur nouvellement engagé a-t-elle des liens sociaux et économiques avec celle qui, au cours des douze mois précédant le nouvel engagement, a occupé un travailleur qui est remplacé par le nouveau travailleur ?

L’importance des éléments de fait dégagés par l’O.N.S.S. dans l’affaire tranchée par la Cour du travail de Liège le 22 août 2019 n’échappera dès lors pas, s’agissant de rencontrer tous les éléments de la définition, tant sur le plan économique que social.


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