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Décès d’un bénéficiaire d’une pension de retraite dans l’année suivant le mariage et droit du conjoint survivant à une pension de survie

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 20 août 2019, R.G. 2012/AL/414

Mis en ligne le jeudi 26 mars 2020


C. trav. Liège (div. Liège), 20 août 2019, R.G. 2012/AL/414

Terra Laboris

Décès d’un bénéficiaire d’une pension de retraite dans l’année suivant le mariage et droit du conjoint survivant à une pension de survie

Par arrêt du 20 août 2019, la Cour du travail de Liège (division Liège) clôture l’examen d’une demande d’octroi d’une pension de survie dans le chef d’une veuve ayant été mariée depuis moins d’un an mais pouvant – peut-être – bénéficier des exceptions à cette condition légale, le décès étant en l’occurrence susceptible d’être dû à un accident survenu après le mariage.

Les faits

Un couple, vivant en concubinage depuis plusieurs années, se marie en septembre 2010. L’époux décède deux mois plus tard. Il bénéficiait d’une pension de retraite salariée. L’épouse sollicite une pension de survie. L’O.N.P. (à l’époque) prend une décision le 26 janvier 2011, accordant une pension de survie temporaire sur une durée d’un an, vu que le mariage n’avait pas eu une durée d’une année et qu’elle ne remplissait pas les conditions dérogatoires (naissance d’un enfant, présence d’un enfant à charge pour lequel des allocations familiales étaient perçues, décès résultant d’un accident survenu après le mariage ou encore causé par une maladie professionnelle elle-même survenue ou aggravée après le mariage).

La cause du décès est expliquée par la veuve comme étant une allergie médicamenteuse survenue inopinément.

Les décisions de la cour

L’arrêt du 24 septembre 2013

Dans un premier arrêt du 24 septembre 2013, la cour s’est attachée à la définition d’accident au sens de la disposition légale, étant qu’il faut entendre par là un « événement imprévu malheureux ou dommageable », le décès n’étant pas un accident lui-même mais bien une conséquence de l’accident. Pour ce qui est de l’imprévisibilité de l’événement, il n’est pas requis que celle-ci soit absolue, ce qui reviendrait à réduire la notion d’accident à quelques cas exceptionnels. Par ailleurs, pour être imprévu, le fait ne doit pas être survenu dans le cours normal des choses attendues. Pour ce qui est de la législation « pensions », la cour a précisé que l’accident devait être un « événement étranger à l’organisme de la victime », sous peine de considérer comme accident tout événement dommageable pour celle-ci, ce que le législateur n’a pas voulu.

La cour a admis que soit déposé le dossier médical.

L’arrêt du 27 mai 2014

Dans un deuxième arrêt, du 27 mai 2014, une expertise a été ordonnée, l’expert devant dire si le décès du mari était dû, selon le plus haut degré de probabilité et au vu des connaissances médicales actuelles, en tout ou en partie, à l’ingestion du médicament en cause. Dans l’affirmative, il était demandé à l’expert de dire, toujours selon les mêmes critères au niveau de la probabilité et des connaissances médicales, si le décès provoqué par l’ingestion de ce produit était imprévisible, c’est-à-dire qu’il n’était pas survenu dans le cours normal des choses attendues ou pouvant être attendues.

L’arrêt du 2 août 2019

L’expert ayant déposé son rapport, la cour reprend l’examen du dossier dans son arrêt du 20 août 2019. Elle reprend de très larges extraits du rapport d’expertise, l’expert s’étant livré à de nombreuses analyses et ayant pris en compte un dossier médical extrêmement circonstancié, contenant des rapports de différents spécialistes. Il conclut que le médicament peut être à la base du décès et que, dans la mesure où celui-ci a été ingéré depuis des années, le décès paraissait imprévisible et n’entrait pas dans le cours normal des choses attendues ou pouvant l’être.

Après avoir résumé les conclusions de l’expert, la cour revient au cadre légal théorique. Elle procède à un rappel de la condition liée à une durée minimale d’un an de mariage, condition qui a fait l’objet de plusieurs interventions de la Cour constitutionnelle et qui a été régulièrement abordée par les juridictions du travail. Sur ce point, la cour du travail conclut que la vie commune antérieure au mariage est sans conséquence sur le droit, que le décès survienne dans le mois du mariage ou juste avant l’écoulement du délai d’un an.

Il y a lieu, en conséquence, d’en venir à la notion d’accident. Sur ce, la cour renvoie à l’arrêt qu’elle a rendu le 24 septembre 2013, soulignant que la définition qu’elle a donnée – à savoir que, dans la législation « pensions », l’accident doit être un événement étranger à l’organisme de la victime – rejoint une définition donnée par la Cour du travail de Liège autrement composée (C. trav. Liège, sect. Namur, 17 juin 2008, Chron. D. S., 2009, pp. 500 et ss.). La notion d’accident permettant au conjoint survivant d’échapper à la condition minimale d’un an de mariage doit, comme toute exception, s’entendre de manière restrictive.

La cour renvoie à un autre arrêt, rendu celui-ci par la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 17 février 2010, R.G. 2008/AB/51.428), qui a considéré qu’il est pertinent de se référer à la notion d’accident du travail, sachant toutefois qu’aucune présomption n’est prévue dans la matière des pensions. Le demandeur doit donc établir la preuve du lien entre l’événement soudain et ses conséquences.

Revenant sur les motifs décisoires contenus dans ses deux arrêts du 24 septembre 2013 et du 27 mai 2014, la cour pose le problème juridique à résoudre comme suit : dans la mesure où l’ingestion du médicament peut être l’événement requis si le lien causal est établi avec le décès en tout ou en partie, le décès doit être imprévisible, c’est-à-dire qu’il ne peut s’inscrire dans le cours normal des choses attendues ou pouvant l’être.

La cour se penche dès lors sur les travaux de l’expert. Celui-ci a admis que le médicament peut être considéré avec un haut degré de probabilité comme étant le déclencheur de l’atteinte cutanée qui a précédé la décompensation hépatique et, partant, comme étant le déclencheur possible de l’insuffisance hépatique brutale. Pour l’expert, une réaction cutanée liée à la prise du médicament semble probable, vu l’absence d’autres prises de médicaments susceptibles d’entraîner une telle réaction.

Pour la cour, cependant, cette analyse ne répond pas à l’exigence du constat d’un haut degré de probabilité au vu des connaissances médicales actuelles, dès lors qu’il est précisé en prémisses que la cause de l’éruption cutanée ne peut être déduite d’une photographie, que cette éruption peut être la conséquence de la prise du médicament lui-même bien toléré pendant de nombreuses années non pas spontanément mais en concomitance avec, par exemple, une infection qui pourrait modifier transitoirement l’immunité et entraîner une réaction auto-immune au médicament jusqu’alors bien toléré.

A supposer que la première causalité constatée soit étudiée plus avant et qu’elle soit retenue avec un haut degré de probabilité au vu des connaissances médicales actuelles, il faudrait encore constater, avec la même exigence, que cette réaction cutanée serait elle-même la cause de la décompensation hépatique brutale.

Sur cette question, pour l’expert, le cas de figure est possible mais la cour considère que l’ensemble des réserves qu’il a émises dans sa discussion (relatives notamment aux causes des insuffisances hépatiques, liées à un phénomène déclenchant, étant un facteur précipitant) ne permettent pas de retenir, avec le plus haut degré de probabilité et au vu des connaissances médicales actuelles, même partiel ou indirect, un lien de causalité entre l’ingestion du médicament et le décès. Le constat fait par l’expert selon lequel le lien est théoriquement possible ne correspond pas à l’exigence de certitude requise. La cour relève encore que les conclusions de l’expert ne sont pas conformes à la motivation précise de son analyse.

Elle confirme le jugement.

Intérêt de la décision

La question posée à la cour du travail de Liège, en cette affaire, a nécessité diverses décisions, aux fins d’obtenir les éléments indispensables sur le plan médical pour rencontrer les exigences légales.

Dans cette affaire, quoique mariée depuis moins d’un an, la veuve aurait en effet pu passer outre la condition de la durée du mariage si un des cas d’exception avait été rencontré, dont celui de l’accident survenu après ce mariage.

Telle est la justification des investigations médicales poussées dans le dossier.

La cour du travail se réfère, dans son arrêt, à une décision de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 17 février 2010, R.G. 2008/AB/51.428 – précédemment commenté), qui a repris la définition à retenir de l’accident au sens de cette disposition légale. Il s’agit en effet d’un concept tout à fait spécifique, la loi visant un « accident postérieur à la date du mariage ».

L’on notera encore que, pour cette matière, la cohabitation de fait n’intervient pas dans l’appréciation de l’exigence de durée d’un an du mariage. Sur la question, l’on peut encore relever deux arrêts de la Cour constitutionnelle à propos de la cohabitation légale avant le mariage, étant les arrêts rendus le 22 mai 2014 (n° 83/2014) et 15 mars 2011 (n° 39/2011).


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