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Prestations de survie perçues indûment : règles d’interruption de la prescription

C. trav. Bruxelles, 9 mai 2019, R.G. 2018/AB/80

Mis en ligne le jeudi 26 mars 2020


C. trav. Bruxelles, 9 mai 2019, R.G. 2018/AB/80

Terra Laboris


Prestations de survie perçues indûment : règles d’interruption de la prescription

Dans un arrêt du 9 mai 2019, la Cour du travail de Bruxelles renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation pour ce qui est à la fois du point de départ du délai de prescription en cas de demande de remboursement de prestations de pension perçues indûment et de la durée du délai lui-même.

Les faits

Une ressortissante néerlandaise, qui a séjourné en Belgique pendant 25 ans entre les années 1972 et 1997 et était à ce moment mariée à un pilote occupé sur le territoire, a demandé, en juin 2011, sa pension de retraite, tenant également compte de sa situation, alors, d’ex-épouse. Cette pension lui a été accordée depuis le 1er septembre 2000. Son ex-conjoint est décédé en 2014 et, à ce moment, elle a sollicité le bénéfice d’une pension de retraite en tant que travailleuse.

A l’occasion de l’instruction de cette demande, il est apparu qu’elle bénéficiait aux Pays-Bas de droits en matière de pension. Par courrier du 6 novembre 2015, l’institution de sécurité sociale néerlandaise compétente a confirmé la perception d’une pension de vieillesse (pension accordée aux Pays-Bas sur la base du séjour et non sur celle d’une occupation). Il s’est avéré que cette pension avait été octroyée depuis le 1er août 2004, année où l’intéressée atteint l’âge de 65 ans.

Le SPF prit alors une décision, en janvier 2016, refusant la demande de pension de retraite introduite en 2014, ainsi que le droit à toute pension de retraite, au motif que, pendant les années de mariage – années pendant lesquelles l’ex-conjoint avait été occupé en tant que salarié –, elle bénéficiait elle-même d’une pension dans un autre système. Il y a dès lors eu révision de la décision d’octroi initiale, et ce à partir du 1er août 2004, vu la perception de la pension néerlandaise. Les montants perçus depuis, supérieurs à 30.000 euros, ont été réclamés.

Un recours a été introduit devant le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles, recours dans le cadre duquel le SPF forma, par voie reconventionnelle, une demande en vue du remboursement de cette somme.

Le tribunal jugea, par décision du 22 décembre 2017, le recours partiellement fondé. Il annula la décision en ce qu’elle portait sur l’exclusion du droit à une pension à partir du 1er août 2004, tenant compte de la prescription. La demande reconventionnelle fut admise, mais de manière limitée dans le temps.

La position des parties devant la cour

Le SPF, appelant, a limité son appel à la question du remboursement des pensions à son estime payées indûment. Il a en conséquence abandonné la question de la révision des droits en matière de pension ainsi que le refus de la nouvelle demande. Ces questions ne font dès lors plus l’objet des débats. Cependant, se pose la question de la prescription pour ce qui est de la demande de remboursement.

L’appelant rappelle que le premier juge a limité la période non prescrite à trois ans. Il estime qu’il est en droit cependant de réclamer le remboursement à partir de 2004. Il se fonde sur l’article 21, § 3, alinéa 2, de la loi du 13 juin 1966 selon lequel lorsque le paiement indu trouve son origine dans l’octroi ou la majoration d’un avantage accordé par un pays étranger ou d’un avantage dans un autre régime que celui visé par le texte (article 21, § 1er), l’action en répétition se prescrit par six mois à compter de la date de la décision octroyant ou majorant cet avantage. Le SPF renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation, selon laquelle les termes « à compter de la date de la décision » impliquent que soit prise en compte la notification de la décision à l’organisme de paiement. En l’espèce, pour le SPF, le point de départ du délai de prescription est le 14 décembre 2015, date à laquelle il a eu connaissance de la pension néerlandaise. En outre, le SPF fait valoir que l’article 21, § 3, envisage trois situations distinctes, qui doivent être examinées séparément, et qu’en l’espèce, il y a lieu de faire application de l’article 21, § 3, alinéa 2, uniquement, relatif à l’octroi ou l’augmentation d’un avantage à l’étranger. Dans cette hypothèse, les alinéas 1 et 3 du § 3 ne trouvent pas à s’appliquer.

Pour l’intimée, il y a prescription, le SPF n’ayant pas interrompu celle-ci valablement. L’institution l’a en effet avisée le 21 janvier 2016 de sa décision de remboursement, mais la première lettre recommandée n’a été envoyée que le 18 octobre 2016, c’est-à-dire plus de six mois après. Elle ne pouvait dès lors être interruptive de prescription. Elle conteste en outre que le dépôt de la requête d’appel soit un acte interruptif valant pour toute la durée de la procédure. Elle critique également la position du SPF en ce qui concerne le point de départ. Au cas où un remboursement pourrait être exigé, celui-ci devrait être limité, selon elle, à la période du 21 juin 2015 au 21 janvier 2016 (application de l’article 23, § 3, alinéa 1er, de la loi). N’ayant par ailleurs pas posé d’acte frauduleux, elle estime ne pas devoir se faire appliquer l’article 21, § 3, alinéa 3.

La décision de la cour

La cour en vient, en premier lieu, à l’article 21, § 3, de la loi du 13 juin 1966, dont elle rappelle les termes, ajoutant la teneur du § 4 selon lequel, outre les cas prévus au Code civil, la prescription est interrompue par la réclamation des paiements indus notifiés au débiteur par lettre recommandée à la poste ou par la décision rectificative dûment notifiée à l’intéressé par l’autorité administrative chargée de la fixation des droits (ou encore par l’exécution des retenues d’office en application de l’article 1410, § 4, du Code judiciaire).

La prescription doit être interrompue dans un délai de six mois après le dernier acte de recouvrement.

La cour examine ensuite les arrêts de la Cour de cassation sur la question rendus à propos de l’alinéa 2 (dont Cass., 3 novembre 2003, n° S.03.0045.N). Pour la Cour, cette disposition doit être comprise comme signifiant que, dans cette hypothèse, le délai de prescription commence à courir à partir de la notification de la décision étrangère à l’Office des pensions. En outre, dans un arrêt ultérieur du 12 décembre 2005 (Cass., 12 décembre 2005, n° S.04.0172.F), rendu à propos de l’application du délai triennal, la Cour a jugé que, lorsqu’il est fait application de la règle y contenue, en cas de non-respect de l’obligation dans le chef du bénéficiaire de faire une déclaration, le juge doit vérifier si ce dernier savait ou devait savoir qu’il n’avait pas droit aux prestations.

Appliquant ces principes dans le cas d’espèce, la cour admet une interruption de la prescription par la lettre envoyée le 21 janvier 2016, ce qui rend admissible la demande de remboursement des prestations à partir du 21 juillet 2015 (ou du 21 janvier 2013).

La cour considère qu’il y a lieu de faire application du délai de trois ans, rappelant notamment l’obligation notifiée dans la décision du 20 septembre 2001 d’informer l’Office de l’octroi d’autres prestations (détaillées à la disposition) non cumulables. Cette déclaration a été signée par l’intéressée. Le fait qu’elle a perçu une pension néerlandaise automatiquement ne change rien à son obligation, même si cette pension a été accordée sur la base de son séjour aux Pays-Bas. La bonne foi de l’intéressée n’est pas retenue.

Le jugement est dès lors confirmé, les prestations devant être remboursées à partir du 21 janvier 2013.

Intérêt de la décision

Cet arrêt renvoie notamment à l’arrêt de la Cour de cassation du 12 décembre 2005, dans lequel celle-ci a statué sur un pourvoi formé sur la base des articles 21, § 3 (spécialement alinéas 1er et 3), de la loi du 13 juin 1966, ainsi que 1er, alinéa 2, de l’arrêté royal du 31 mai 1993, relatif aux déclarations à faire en matière de subventions et allocations de toutes natures qui sont en tout ou en partie à charge de l’Etat (cet intitulé étant devenu, depuis la modification introduite par la loi du 7 juin 1994 : « arrêté royal concernant les déclarations à faire en matière de subventions, indemnités et allocations »). La Cour a été amenée à se prononcer sur la version applicable tant avant qu’après la modification législative.

Elle a accueilli le pourvoi, cassant l’arrêt qui avait considéré, pour conclure à l’application du délai de prescription de cinq ans à l’époque, que la bénéficiaire ne peut se retrancher derrière son ignorance des dispositions applicables car elle est censée connaître les lois en vertu de l’adage « nul n’est censé ignorer la loi », et ce sans examiner si les circonstances propres à la cause établissent qu’elle savait ou devait savoir ne plus avoir droit à la pension de survie dont elle bénéficiait. Cet arrêt viole les dispositions visées au moyen.

La prescription « allongée » peut dès lors intervenir, à la condition qu’il soit avéré que le bénéficiaire des prestations payées indûment savait ou devait savoir (dans les circonstances propres à la cause) qu’il ne pouvait plus avoir droit à la prestation dont il bénéficiait et qui lui est réclamée.


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