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Rupture de la relation de travail d’un membre du personnel statutaire et droit aux allocations de chômage

Commentaire de C. trav. Mons, 12 septembre 2019, R.G. 2018/AM/382

Mis en ligne le lundi 13 avril 2020


C. trav. Mons, 12 septembre 2019, R.G. 2018/AM/382

Rupture de la relation de travail d’un membre du personnel statutaire et droit aux allocations de chômage

Par arrêt du 12 septembre 2019, la Cour du travail de Mons reprend les conditions exigées par la loi du 20 juillet 1991 portant des dispositions sociales et diverses pour qu’un membre du personnel statutaire (en ce compris les enseignants visés par le texte) puisse bénéficier des allocations de chômage suite à la rupture de la relation de travail.

Les faits

Un enseignant statutaire fait, suite à des poursuites pénales, l’objet d’une suspension préventive de ses fonctions. Celle-ci intervient conformément aux dispositions du décret du 1er février 1993 fixant le statut des membres du personnel subsidié de l’enseignement libre subventionné. Les préventions mises à sa charge étant considérées comme établies, un jugement est rendu au pénal.

L’intéressé n’ayant pas perçu son traitement à partir du mois suivant la date à laquelle le jugement est devenu définitif, non plus que les documents requis par la loi du 20 juillet 1991 portant des dispositions sociales et diverses, il demande des renseignements.

La fin de la relation de travail lui est notifiée par un courrier intervenant quelques semaines plus tard. Elle est rétroactive, remontant à la date à laquelle le jugement est devenu définitif. L’autorité déclare avoir fait application de l’article 72, § 1er, 4°, du décret.

Une récupération d’indu pour la période postérieure à cette date est également annoncée.

Le formulaire C4 est envoyé à l’intéressé, qui s’inscrit alors comme demandeur d’emploi, sollicitant les allocations avec effet à la date de rupture. Une demande de reconnaissance de force majeure ou d’impossibilité est introduite (formulaire C54), afin d’obtenir une dérogation au délai d’introduction et une dispense d’inscription comme demandeur d’emploi pour la période en cause.

Le bénéfice des allocations de chômage lui est cependant refusé, la demande d’octroi rétroactif étant de ce fait considérée comme sans objet. Il lui est reproché, sur le plan de l’admissibilité, que, pour ses prestations en qualité d’enseignant pendant une période de 18 ans, les retenues n’avaient pas été effectuées pour la sécurité sociale, dont celles pour le secteur chômage.

L’employeur procède, ensuite, à une déclaration immédiate de l’emploi de sortie et verse les cotisations pour le régime de chômage ainsi que pour le régime AMI pour une période limitée.

La décision de non-admission est cependant maintenue, au motif, cette fois, que n’est pas apportée la preuve de l’inscription de l’intéressé comme demandeur d’emploi dans les 30 jours de la fin de la relation de travail.

Suite au recours introduit devant le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), une décision est rendue, le déboutant. Le tribunal considère qu’il n’y a pas de cas de force majeure ou d’impossibilité d’introduire le dossier dans le respect des dispositions réglementaires.

Appel est interjeté.

La décision de la cour

La cour reprend longuement les exigences posées par la loi du 20 juillet 1991 en ce qui concerne la fin de la relation de travail d’un travailleur statutaire, en vue de son admission au chômage.

Aux fins de pouvoir bénéficier des prestations dans ce secteur (ainsi que dans le secteur A.M.I., y compris le secteur des indemnités et l’assurance maternité), des conditions doivent être remplies, dont celle d’acquérir la qualité de travailleur assujetti à la loi du 27 juin 1969 dans les 30 jours à dater de la fin de la relation de travail. Sont visés par cette obligation tous les travailleurs dont la relation de travail dans un service public ou un autre organisme de droit public prend fin vu la rupture unilatérale par l’autorité ou vu l’annulation, le retrait, l’abrogation ou le non-renouvellement de l’acte de nomination, et qui, du fait de cette relation de travail statutaire, n’étaient pas assujettis aux dispositions de la loi du 27 juin 1969. Sont assimilées les personnes occupées dans des établissements d’enseignement organisé (bénéficiant d’une subvention-traitement ou d’un salaire à charge d’une communauté ou commission communautaire).

La loi prévoit que l’employeur a des obligations précises en cas de fin de relation de travail, étant que, au cours de la dernière journée de travail, il doit délivrer à l’intéressé ou lui faire parvenir par voie recommandée à la poste tous les documents requis par la législation sociale, de même qu’un certificat de licenciement et un avis concernant les formalités à remplir aux fins de faire valoir ses droits.

Les données requises pour le calcul des cotisations doivent être transmises à l’O.N.S.S. ou à l’O.N.S.S.A.P.L.

La cour rappelle que ce mécanisme a donné lieu à une intervention de la Cour constitutionnelle. Celle-ci a en effet été interrogée par deux cours du travail (Liège et Mons) sur la conformité de cette disposition avec les articles 10 et 11 de la Constitution, dans la mesure où elle instaure une différence de traitement entre les agents du secteur public et ceux du secteur privé (ainsi que les travailleurs du secteur public occupés dans les liens d’un contrat de travail), les premiers devant obligatoirement s’inscrire dans les 30 jours de la fin de la relation de travail, au contraire des seconds.

Dans un arrêt rendu le 11 décembre 2002 (C. const., 11 décembre 2002, n° 180/2002), la Cour constitutionnelle a conclu à l’absence de violation.

Elle a considéré, en substance, que des conditions plus rigoureuses avaient pu être exigées par le législateur vu les caractéristiques spécifiques du régime. L’exigence d’inscription dans un délai de 30 jours n’a, en conséquence, pas été considérée comme excessive.

La cour du travail reprend une considération développée par la Cour constitutionnelle, étant que, néanmoins, si un agent fait valoir qu’il n’a pas été à-même, pour des raisons indépendantes de sa volonté, de respecter le délai légal, le juge est tenu de contrôler le bien-fondé des motifs invoqués par lui et de vérifier à quel moment il a satisfait à la condition requise par la loi du 20 juillet 1991 (qui impose à l’autorité employeur la délivrance des documents le dernier jour de la prestation de travail).

Pour la cour du travail, qui renvoie à un commentaire doctrinal (D. ROULIVE, « Evolution récente de la jurisprudence en matière de chômage – examen des arrêts principaux rendus par la Cour de cassation, la Cour de Justice des communautés européennes et la Cour d’arbitrage de 1998 à 2003 », J.T.T., 2004, p. 130), la Cour d’arbitrage (à l’époque) aurait voulu indiquer qu’en cas de violation par l’employeur de ses obligations, et notamment de l’information concernant les formalités qu’il devait accomplir par celui-ci, il peut y avoir, dans le chef du travailleur, un motif valable permettant de justifier l’absence d’inscription dans le délai légal.

En l’espèce, la cour rappelle que, dès qu’il n’a plus reçu son traitement, l’intéressé a réagi et que la fin de la relation de travail lui a été notifiée ultérieurement, et ce avec effet rétroactif. Dès réception, il s’est inscrit comme demandeur d’emploi et a introduit une demande d’allocations.

L’employeur n’a, dans la situation visée, pas respecté les obligations mises à sa charge. Le travailleur n’était par ailleurs pas en mesure de s’inscrire comme demandeur d’emploi ni d’introduire une demande d’allocation tant que la décision de rupture n’était pas notifiée.

Il y a dès lors des raisons indépendantes de sa volonté, qui permettent à la cour de conclure à une force majeure.

La cour admet celle-ci mais ordonne la poursuite de l’instruction du dossier, dans la mesure où les débats ont été limités aux conditions d’admissibilité mais que les conditions d’octroi n’ont pas été abordées.

Intérêt de la décision

Les droits du personnel statutaire en matière d’allocations de chômage font l’objet de règles spécifiques et celles-ci sont dûment rappelées par la cour dans cet arrêt. Elles ont été données par la loi du 20 juillet 1991 portant des dispositions sociales et diverses. Ses articles 7, 9, 10 et 11 constituent le cœur de la matière, s’agissant des obligations de l’autorité employeur lors de la rupture de la relation de travail et des droits du membre du personnel ayant fait l’objet de celle-ci.

L’affaire jugée par la Cour du travail de Mons est également l’occasion de rappeler la décision de la Cour constitutionnelle du 11 décembre 2002, qui a conclu à l’absence de violation des articles 10 et 11 de la Constitution par ces dispositions spécifiques de la loi du 20 juillet 1991, la Cour considérant que le législateur a pu imposer à la catégorie de personnes visée par ce texte des conditions plus rigoureuses, vu notamment l’obligation de faire montre, dans un délai raisonnable suivant la cessation de la relation de travail, de leur volonté de réintégration dans le marché de l’emploi par leur inscription en tant que demandeurs d’emploi. Telle est la justification de l’exigence d’inscription dans un délai de 30 jours, délai qui a été considéré comme n’étant pas excessif.

La Cour constitutionnelle a cependant nuancé sa conclusion, et c’est cet élément auquel la Cour du travail de Mons a égard, en cas d’existence de raisons indépendantes de la volonté du travailleur, circonstances dont l’arrêt du 12 septembre 2019 donne un cas évident d’application, qui est la faute de l’autorité employeur, qui n’a elle-même pas respecté le délai qui lui est imposé par la loi devant permettre au travailleur de s’inscrire dans les 30 jours.


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