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Projet individualisé d’intégration sociale : conditions légales d’une sanction

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 21 juin 2019, R.G. 19/70/A

Mis en ligne le lundi 13 avril 2020


Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 21 juin 2019, R.G. 19/70/A

Projet individualisé d’intégration sociale : conditions légales d’une sanction

Dans un jugement du 21 juin 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons) rappelle que, dans le cadre du contrat de projet individualisé d’intégration sociale, si le bénéficiaire manque à ses engagements, la décision de sanction que peut prendre le C.P.A.S. est soumise à certaines conditions préalables et que leur non-respect est une faute susceptible de donner lieu à l’octroi de dommages et intérêts.

Les faits

A l’âge de 21 ans, un jeune signe avec un C.P.A.S. un contrat relatif à un projet individualisé d’intégration sociale. L’intéressé n’a pas de diplôme de l’enseignement secondaire mais a réussi l’examen d’admission aux études universitaires de premier cycle. Il va, dans le cadre du P.I.I.S. suivre un baccalauréat en sciences humaines et sociales. Quelques semaines après l’entame des études, le C.P.A.S. refuse la poursuite de celles-ci et, s’il maintient le droit au revenu d’intégration sociale dans un premier temps, il va le supprimer rapidement.

Le tribunal du travail a été immédiatement saisi et il a, dans un premier jugement du 29 juillet 2015, autorisé la poursuite des études (pour l’année académique 2014-2015), s’agissant d’une mesure d’équité dispensant le demandeur de l’obligation de disposition au travail. Cette année d’études a été réussie mais non la suivante, ceci lui permettant cependant d’accéder avec dispenses à la troisième année du cycle.

Au mois d’octobre 2016, le C.P.A.S. refuse une nouvelle fois la poursuite des études mains maintient son droit au R.I.S. à la condition qu’il soit disponible sur le marché du travail.

Un deuxième jugement intervient en juin 2017, annulant cette décision et condamnant le C.P.A.S. à payer le R.I.S. pour l’année académique écoulée.

L’intéressé entame alors la troisième année d’études et il sera encore privé du R.I.S. pendant plusieurs mois. Dans le cours de cette année (qui ne sera pas réussie sur le plan des études), un nouveau P.I.I.S. est signé, ce qui lui permet de reprendre, lors de l’année académique suivante, sa troisième année de baccalauréat.

Le C.P.A.S. prend alors une décision en octobre 2018, refusant une nouvelle fois la poursuite des études et soumettant le droit au R.I.S. à dater d’octobre 2018 à une série de conditions très contraignantes, relatives à la disponibilité sur le marché du travail.

Le R.I.S. est ultérieurement refusé et de nouvelles demandes introduites ensuite seront infructueuses.

Un recours est introduit contre la décision d’octobre 2018, celle-ci produisant toujours ses effets au moment où le tribunal statue.

La décision du tribunal

En droit, le tribunal rappelle les conditions de la disposition au travail dans le cadre de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale. Il s’agit d’une condition d’octroi, qui doit être appréciée de manière raisonnable, et ce compte tenu de la situation sociale concrète de l’intéressé. Reprenant les commentaires du Guide social permanent (Guide social permanent, Sécurité sociale : commentaires, partie III, livre I, titre IV, chapitre II, n° 1580 ; M. DUMONT, « La mise à l’emploi », in Actualités de la sécurité sociale, C.U.P., 2004, p. 210), le tribunal rappelle qu’il faut entendre par là une attitude positive, concrétisée par des démarches actives en vue de tenter de se procurer des ressources par un travail et de limiter ainsi sa prise en charge par la collectivité.

Pour ce qui est des études, il faut en examiner l’utilité sociale ainsi que l’aptitude du jeune à réussir celles-ci, un échec ne faisant cependant pas nécessairement obstacle à leur poursuite.

Le tribunal en vient à l’examen concret de ces conditions, concluant qu’une durée de cinq années plutôt que trois n’est pas excessive vu la situation particulière de l’intéressé, dont les conditions d’hébergement sont précaires, qui a vu en outre le R.I.S. suspendu à plusieurs reprises et qui, outre les difficultés relatives à ses moyens de subsistance, n’a aucun soutien familial. Le tribunal conclut dès lors à l’octroi du R.I.S. jusqu’au terme de la session de septembre 2019, date à laquelle la situation devra être réévaluée.

Vu la situation qu’il a vécue, l’intéressé a cependant introduit également une demande de dommages et intérêts, sur pied des articles 1382 et 1383 du Code civil. Il considère que la faute consiste dans le fait pour le C.P.A.S. d’avoir multiplié des décisions de retrait ainsi que de s’être « acharné » sur lui, en prenant des décisions injustifiées et en ne versant pas le revenu d’intégration pendant certaines périodes – pour lesquelles le droit avait cependant été admis.

Pour le tribunal, le fait d’être privé de ressources n’est pas constitutif d’une faute dans le chef du C.P.A.S., la suppression du R.I.S. découlant d’une décision administrative prise en bonne et due forme. Le tribunal retient que, dans ses décisions précédentes, il n’a pas relevé d’attitude fautive ou abusive du Centre. La faute n’est dès lors pas avérée pour cet aspect du dossier. Par contre, pour ce qui est de la suspension du paiement intervenu d’initiative en juillet 2018, au motif pour le C.P.A.S. que l’intéressé restait en défaut de communiquer ses résultats académiques, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 10 du P.I.I.S. signé, le Centre était effectivement autorisé à suspendre le paiement du R.I.S. pendant une période d’un mois en cas de non-respect par l’intéressé de ses obligations. Il relève cependant que la sanction doit obligatoirement être précédée d’une mise en demeure au bénéficiaire et de la possibilité pour celui-ci d’être entendu. La sanction ne peut être appliquée qu’après la notification de la décision.

En l’occurrence, aucune de ces formalités n’a été respectée et le tribunal conclut à un acte arbitraire, posé en dehors de tout cadre légal et procédural. Celui-ci est fautif et la circonstance que le bénéficiaire aurait lui-même provoqué cette suspension en manquant à son devoir de collaboration ne supprime pas la faute. Quant au dommage, il est réel et le tribunal alloue un montant de 250 euros, le R.I.S. ayant été versé entre-temps.

Intérêt de la décision

Ce cas d’application du contrat de projet individualisé d’intégration sociale reprend quelques principes utiles pour ce qui est des étudiants souhaitant entreprendre (ou finaliser) des études en percevant le revenu d’intégration sociale.

Le tribunal y a rappelé que le critère de base pour l’admissibilité d’études (qui ont pour effet de ne plus obliger le bénéficiaire à remplir la condition d’octroi de la disposition au travail) est l’utilité sociale des études, étant qu’il faut apprécier l’augmentation significative des chances de trouver un emploi à la fin de celles-ci, ce qui implique également qu’un titre, un diplôme ou une formation officiellement reconnus soit délivré.

Un deuxième point important – qui ne semble pas contesté en jurisprudence, même s’il a fait problème en l’espèce – est la circonstance qu’un échec ne fait pas nécessairement obstacle à la poursuite des études, dans la mesure où celui-ci ne remet pas en cause l’aptitude globale de l’étudiant à réussir ses études ni sa motivation.

Le jugement rappelle également les obligations du bénéficiaire, telles que définies dans le P.I.I.S., qui est un contrat. Il reprend également celles du C.P.A.S., et plus particulièrement l’obligation, en cas de non-respect par le bénéficiaire de ses engagements, de lui adresser une mise en demeure et de lui permettre d’être entendu avant de prendre une sanction. Cette sanction (suspension d’un mois ou de trois mois en cas de récidive) ne peut intervenir qu’après la notification de la décision à ce dernier.

L’on notera enfin – sans que ceci ne soit le cœur du débat en l’espèce – que le C.P.A.S. a posé, dans ses décisions, diverses obligations en matière de disponibilité sur le marché du travail. Ce critère relève de la réglementation du chômage, le texte de la loi du 26 mai 2002 ne visant quant à lui que la disposition au travail. La question s’est posée de savoir si ces termes sont identiques et, même si la notion de disposition au travail fait l’objet d’appréciations diverses en jurisprudence, il est en tout cas acquis que celle de disponibilité sur le marché de l’emploi ne lui est pas transposable, dans la mesure où elle s’inscrit dans un autre cadre réglementaire et est soumise à des conditions spécifiques.


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