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Un patient traité au service des urgences d’un hôpital peut-il mandater celui-ci aux fins de récupérer les frais d’hospitalisation auprès du C.P.A.S. ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 septembre 2019, R.G. 2017/AB/974

Mis en ligne le lundi 13 avril 2020


C. trav. Bruxelles, 10 septembre 2019, R.G. 2017/AB/974

Un patient traité au service des urgences d’un hôpital peut-il mandater celui-ci aux fins de récupérer les frais d’hospitalisation auprès du C.P.A.S. ?

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Dans plusieurs arrêts rendus en date du 10 septembre 2019 (dont un seul est commenté ci-après), la Cour du travail de Bruxelles admet la validité d’un mandat donné par un patient d’un hôpital à cette institution hospitalière afin qu’elle récupère auprès du C.P.A.S. le montant des frais d’hospitalisation, et ce, au besoin, via une procédure judiciaire.

Les faits

Une personne sans domicile fixe est hospitalisée en urgence à la mi-septembre 2016. Le motif de l’admission est « pour raison de santé publique ».

Elle restera à l’hôpital pendant deux mois et demi.

Un document est soumis à sa signature pendant son séjour, étant une convention par laquelle elle donne mandat à l’hôpital, qui l’accepte, de solliciter en son nom la prise en charge de tous les frais liés à son hospitalisation auprès des organismes compétents. De même, elle charge le mandataire, qui l’accepte, d’introduire en son nom tous recours administratif et/ou judiciaire contre la (ou les) décision(s) qui refuserai(en)t cette prise en charge.

L’hôpital présente la facture des frais d’hospitalisation au C.P.A.S. de la commune où la personne est identifiée comme s’y trouvant habituellement. Le C.P.A.S. refuse d’intervenir.

Un recours est introduit au nom de la personne, représentée par l’hôpital, celui-ci ayant fait choix d’un conseil pour les actes de procédure.

En première instance, le Tribunal du travail de Bruxelles déboute la partie demanderesse, considérant que l’action est irrecevable.

L’hôpital interjette appel.

La demande de la partie appelante

L’hôpital entend voir réformer le jugement entrepris afin que soit mise à néant la décision du C.P.A.S. A titre subsidiaire, il demande qu’une question soit posée à titre préjudiciel à la Cour constitutionnelle, à propos de l’article 728 du Code judiciaire, qui règle la représentation en justice.

La décision de la cour

La cour examine dans un premier temps la question de la recevabilité de la demande originaire, et ce sur pied des articles 17 et 704, § 2, du Code judiciaire. Elle constate que le patient a intérêt à contester la décision prise par le C.P.A.S. et à revendiquer l’exécution de son droit subjectif à obtenir le bénéfice de l’aide sociale.

La requête a été déposée conformément au prescrit de l’article 704, § 2, du Code judiciaire. Cette disposition n’exige pas qu’elle soit signée par l’assuré social. Elle peut dès lors l’être par un mandataire et être déposée par celui-ci.

En outre, l’inscription au rôle général peut, conformément à l’article 716 du Code judiciaire, être faite à la requête d’un porteur de pouvoir.

Dès lors que la requête est introduite sur pied de l’article 704, § 2, du Code judiciaire, le tribunal vérifie l’existence du mandat pour ce. Il pourra également le faire en cours de procédure et vérifier que le justiciable a manifesté son intention claire de le saisir. Cette vérification doit être opérée pour vérifier qu’une requête soit signée et déposée par un tiers sans qualité ou à l’insu du requérant.

Dès lors qu’une contestation existerait, la cour renvoie à l’article 848 du Code judiciaire, qui traite du désaveu. Le patient n’ayant en l’espèce pas désavoué l’acte de l’hôpital, cette disposition ne peut davantage être invoquée par le C.P.A.S., puisqu’il n’a pas agi en ce sens.

La cour conclut à cet égard à l’existence d’un mandat dûment donné, dans la mesure où le requérant avait intérêt et qualité pour agir, et où, par conséquent, son mandataire, qui le représente, l’a également.

La cour en vient à l’examen des articles 440 et 728 du Code judiciaire. Elle renvoie à la doctrine (H. BOULARBAH, A. BERTHE et B. BIEMAR, « Le contrat de mandat et la procédure civile : questions choisies », Le mandat dans la pratique, Larcier, 2014, pp. 100 et 101), qui rappelle la distinction entre le mandat ad litem et le mandat ad agendum.

Dans l’hypothèse du mandat ad litem (dont la cour relève qu’il est le plus souvent mais pas exclusivement confié à un avocat), il s’agit d’accomplir des actes de procédure nécessaires à l’action. Dans ce cas de figure, le représentant ne devient pas partie au procès. Par contre, il l’est dans le mandat ad agendum. Ce mandat peut avoir pour mission la représentation d’une partie en justice, mais son objet est ici l’exercice de l’action. Le représentant devient partie au procès (au « sens formel », par opposition à la partie au « sens matériel », qui est seule titulaire du droit subjectif en cause). La cour rappelle le cadre légal de la représentation, soulignant que ces deux formes ne sont pas exclusives l’une de l’autre. Ce mécanisme de la représentation est valable et l’on peut y recourir dans de multiples hypothèses. Quant au mandataire, il peut s’agir de toute personne physique ou morale. Seul est exclu l’agent d’affaires, expressément visé par l’article 728, § 3, du Code judiciaire.

En l’espèce, l’hôpital est le mandataire ad agendum de son patient et il a mandaté son avocat pour le représenter dans l’instance, avec un mandat ad litem. En vertu de l’article 440 du Code judiciaire, la validité du mandat est présumée.

Pour ce qui est de l’objet du mandat, il entre dans l’objet social de l’hôpital, puisque celui-ci dispose des pouvoirs les plus étendus, en vertu de ses statuts, dans l’exercice de sa mission hospitalière. En outre, le mandat d’agir pour le compte de l’un de ses (anciens) patients lui permet de réaliser ses objectifs, qui sont notamment d’assurer une médecine de qualité et d’atteindre l’équilibre financier durable requis.

La cour examine encore les articles 1165 et 1167 ainsi que 1131 et 1133 du Code civil, qui gèrent la question de la validité et de l’opposabilité aux tiers des conventions. En l’occurrence, la cause de la convention n’est pas illicite. Si le droit à l’aide sociale est attaché à la personne (et que l’on pourrait prétendre que les actes qui sont à ce point liés à la personne répugnent à faire l’objet d’un mandat, selon la doctrine de P. WERY, Droits des contrats. Le mandat, Larcier, 2000, p. 83), l’on ne peut déduire pour autant que ce droit ne peut faire l’objet d’un mandat pour permettre à la personne qui doit en bénéficier d’être effectivement et concrètement remplie de son droit. Il ne s’agit pas d’une action oblique. La loi du 8 juillet 1976 prévoit d’ailleurs que la demande d’aide sociale peut être faite par un tiers « désigné par écrit », ce qui permet également l’hypothèse du mandataire.

Le mandat peut être conclu dans l’intérêt commun du mandant et du mandataire, ce qui est certes le cas en l’espèce.

La cour ajoute que le mobile de l’hôpital n’est pas illicite, notamment vu sa mission, son caractère d’absence de but lucratif et le fait qu’il n’entre pas dans son rôle de prendre en charge l’aide sociale due aux indigents, ce qui est de la mission des C.P.A.S.

Pour ce qui est de l’intervention du C.P.A.S., elle rappelle les principes généraux en matière d’aide sociale et de dignité humaine, renvoyant notamment aux principes contenus dans l’arrêt de la Cour de cassation du 14 octobre 2013 (Cass., 14 octobre 2013, n° C.13.0117.F). L’obligation du C.P.A.S. d’assurer l’aide sociale sous la forme de la prise en charge de frais d’hospitalisation n’est pas abandonnée à une demande d’intervention de sa part ou à une enquête sociale, ou encore à une décision du Conseil de l’aide sociale préalable aux soins, et ce lorsque l’urgence de ceux-ci empêche ces demande, enquête ou décision.

La tâche du C.P.A.S. est de vérifier que le patient n’est pas en mesure d’assumer lui-même la charge financière de ces frais dans le respect de la dignité humaine.

La cour fait dès lors droit à l’appel et met à néant la décision prise par le Centre.

Intérêt de la décision

La Cour du travail de Bruxelles a rendu trois arrêts, à la même date, sur la question (R.G. 2018/AB/753, 2017/AB/974 et 2017/AB/975).

Si la motivation de ces arrêts varie dans les éléments d’appréciation de fait (les situations examinées étant forcément distinctes), ce sont les mêmes principes qui reviennent dans les motifs de la décision.

La spécificité de ces affaires (qui concernent toutes le même hôpital) est d’avoir à la base le mandat signé par le patient et, ensuite, en cas de refus du C.P.A.S., de voir l’hôpital autorisé à introduire une action au nom du patient avec une représentation (ad agendum) de l’institution elle-même. Celle-ci fait en sus choix d’un conseil pour la représenter dans les actes de procédure.

L’intérêt de ces arrêts est d’avoir pris position sur ce type de litige, qui est récurrent, et à propos duquel les incertitudes étaient nombreuses. Il suffit de se référer au jugement a quo, qui, quant à lui, a rejeté la demande au motif de son irrecevabilité.


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