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Restriction à la liberté de circulation : un cas en matière de prestations pour personnes handicapées

Commentaire de C.J.U.E., 24 octobre 2019, Aff. n° C-35/19 (BU c/ ETAT BELGE)

Mis en ligne le jeudi 14 mai 2020


Cour de Justice de l’Union européenne, 24 octobre 2019, Aff. n° C-35/19 (BU c/ ETAT BELGE)

Terra Laboris

Par arrêt du 24 octobre 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne répond à une question posée par le Tribunal de première instance de Liège sur la contrariété avec l’article 45 du T.F.U.E. de l’article 38, § 1er, 4° (dans sa version applicable à l’époque), du C.I.R., vu les règles qu’il contient en matière d’exonération fiscale d’allocations pour personnes handicapées, le droit belge exigeant, pour qu’il y ait exonération, que ces prestations soient servies par le Trésor public belge.

Les faits

Une personne d’origine américaine, vivant en Belgique depuis 1973 et ayant la nationalité belge depuis 2009, travaillait aux Pays-Bas en 1996 lorsqu’elle fut victime d’un accident du travail en Belgique. Elle fut licenciée suite à cet accident. Prestant aux Pays-Bas, elle bénéficie de la sécurité sociale néerlandaise. Lui ont été octroyées des indemnités en vertu de la Wet arbeidsongeschiktheid (WAO), étant des indemnités d’incapacité de travail, ainsi que des indemnités d’un fonds de pension pour fonctionnaires, l’Algemeen Burgerlijk Pensioenfonds (ABP).

L’administration fiscale lui a notifié en 2016 un avis de rectification de sa déclaration d’impôt, les indemnités perçues ayant le statut de pension sur le plan fiscal et étant dès lors imposables.

Ces indemnités étant exonérées d’impôt en Belgique et constituant par ailleurs non des pensions mais des indemnités pour personnes handicapées, elle introduisit une réclamation. Les indemnités ABP ont été imposées, situation que l’intéressée a acceptée. Celle-ci a cependant maintenu sa position pour les indemnités WAO.

La réclamation fut rejetée par l’administration fiscale belge, qui maintint la qualification de celles-ci comme des « indemnités d’incapacité de travail ».

Un recours a été introduit devant le Tribunal de première instance de Liège, qui a constaté que lesdites indemnités sont destinées à compenser la perte de revenus liée au handicap et qu’elles sont déterminées par référence au salaire au moment de l’accident. Elles ont pour but d’inciter les personnes souffrant d’un handicap à travailler dans la mesure où leur capacité résiduelle le leur permet, et ce via l’octroi d’une indemnité destinée à compenser la perte de revenus liée à cette réduction de capacité.

La juridiction nationale, à savoir le Tribunal de première instance de Liège, a considéré que la réglementation belge était susceptible d’entraver la libre circulation des travailleurs, vu la différence de traitement induite entre les indemnités pour personnes handicapées perçues par les résidents belges selon qu’elles sont payées par la Belgique ou par un autre Etat membre de l’Union.

Une question préjudicielle a dès lors été postée à la Cour de Justice.

La question préjudicielle

Cette question vise l’article 38 du C.I.R. (§ 1er, 4°, dans sa version applicable aux faits) : viole-t-il les articles 45, 56 T.F.U.E. et suivants en ce qu’il n’exonère fiscalement les allocations pour personnes handicapées que si elles sont payées par l’Etat belge en vertu de la législation belge, créant ainsi une discrimination entre le contribuable résident belge selon qu’il perçoit des allocations payées par l’Etat belge (exonérées) et celui qui perçoit des allocations destinées à compenser un handicap payées par un autre pays membre de l’Union (non exonérées) ?

La décision de la Cour

La Cour constate en premier lieu que le principe de la libre prestation de services n’est pas directement visé par le litige, au contraire de celui du droit à la libre circulation des travailleurs. L’intéressée a en effet exercé pendant plusieurs années une activité professionnelle dans un Etat membre autre que celui de sa résidence. Elle relève dès lors du champ d’application de l’article 45 T.F.U.E. (la Cour renvoyant à l’arrêt JACOB et LENNERTZ du 14 mars 2019, Aff. n° C-174/18).

Sur le fond, la Cour procède, comme à son habitude, par le rappel des principes importants dégagés dans sa jurisprudence. Ainsi, bien que la fiscalité directe relève de la compétence des Etats membres, elle rappelle que ces derniers doivent exercer celle-ci dans le respect du droit de l’Union (C.J.U.E., 23 janvier 2014, COMMISSION / BELGIQUE, Aff. n° C-296/12). Les Etats ne peuvent dès lors pas appliquer des mesures contraires aux libertés de circulation telles que garanties par le Traité F.U.E.

Elle poursuit en faisant le point sur la législation belge en matière fiscale, étant que celle-ci prévoit que seules les indemnités pour personnes handicapées payées par le Trésor public sont exonérées d’impôt. Sont donc exclues les indemnités payées par un autre Etat membre que la Belgique.

Il y a dès lors une différence de traitement avérée.

Renvoyant, outre à son arrêt JACOB et LEENERTZ ci-dessus, à l’arrêt IMFELD et GARCET (C.J.U.E., 12 décembre 2013, Aff. n° C-303/12), elle souligne que le T.F.U.E., en son article 45, s’oppose à une réglementation nationale qui établit une différence de traitement fiscale entre les couples de citoyens résidant sur le territoire belge en fonction de l’origine de leurs revenus, et ce vu l’effet dissuasif que cette différence peut avoir sur l’exercice des libertés garanties par le Traité.

Examinant, ensuite, si la restriction constatée est justifiée, la Cour reprend les principes encore une fois dégagés dans l’arrêt JACOB et LEENERTZ du 14 mars 2019. Elle conclut, du fait de la carence de l’argumentation appropriée du Gouvernement belge sur ce point, à l’absence de justification, précisant cependant qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier.

Elle répond dès lors que l’article 45 s’oppose à cette réglementation, dès lors qu’elle ne prévoirait pas de justification à cet égard, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer.

Intérêt de la décision

Ce nouvel arrêt de la Cour de Justice, limpide quant à l’application des principes fondamentaux du droit de l’Union européenne, fait différents rappels à l’arrêt rendu le 14 mars 2019 en matière de pension.

Cet arrêt (précédemment commenté) répondait également à une question posée par le Tribunal de première instance de Liège et concluait à la non-conformité des règles d’imposition belges relatives aux revenus exonérés en vertu de conventions internationales préventives de la double imposition, celles-ci pouvant avoir pour effet de priver des contribuables d’une partie du bénéfice des avantages octroyés par la loi, et ce en l’occurrence dans l’hypothèse de la perception d’une pension étrangère exonérée.

La question qui avait été posée à la Cour de Justice sur le fondement de l’article 39 T.U.E. portait sur l’article 155 du C.I.R. Le tribunal avait constaté que son application avait pour conséquence qu’une pension luxembourgeoise soit incluse dans le calcul de l’impôt belge servant d’assiette pour l’octroi d’avantages fiscaux prévus par la loi belge alors qu’elle devrait ne pas en faire partie en raison de leur exonération totale voulue par une convention bilatérale et que le bénéfice de ceux-ci était en partie perdu, réduit ou accordé dans une moindre mesure que si les requérants avaient tous deux des revenus d’origine belge.

La Cour a repris, dans cet arrêt du 14 mars 2019, d’autres jalons de sa jurisprudence, qui rappelle à chaque fois que, si les Etats membres sont libres, dans le cadre (de cette affaire jugée le 14 mars 2019) de conventions bilatérales tendant à éviter les doubles impositions, de fixer les facteurs de rattachement aux fins de la répartition de la compétence fiscale, ils ne peuvent cependant pas prendre des mesures contraires à la liberté de circulation et que, même dans le cadre de conventions bilatérales, il y a lieu de se conformer aux règles de l’Union. Dans cette affaire aussi, il était constaté que le Gouvernement belge ne présentait aucune justification qui pourrait être examinée, et la Cour de Justice de conclure, comme dans la présente affaire, que l’article 45 T.F.U.E. s’oppose à cette réglementation.


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