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Mariage avec un étranger non U.E. et droit au supplément d’allocations familiales pour famille monoparentale en cas d’absence du conjoint sur le territoire

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 16 septembre 2019, R.G. 16/3.414/A

Mis en ligne le vendredi 29 mai 2020


Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), 16 septembre 2019, R.G. 16/3.414/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 16 septembre 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons) renvoie à l’enseignement de la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 22 janvier 2015, pour l’interprétation à donner à l’article 45 L.G.A.F., dans l’hypothèse où un allocataire se trouvant sur le territoire est séparé de fait de son conjoint non U.E., qui n’a pas encore obtenu les autorisations nécessaires pour le rejoindre.

Les faits

Un père vit avec ses deux enfants et perçoit des allocations familiales au taux majoré, en qualité de famille monoparentale.

Il se marie en 2014 avec une ressortissante tunisienne, et ce en Tunisie. Il omet d’informer l’institution de sécurité sociale (O.N.S.S.A.P.L. – actuellement O.R.P.S.S.) du changement de la situation familiale. Ceci est cependant chose faite un an et demi plus tard, vu l’inscription de l’épouse au registre de la population. Lui est alors notifiée une décision par laquelle le supplément pour famille monoparentale lui est retiré depuis le 1er janvier 2015, sauf s’il devait faire parvenir un jugement accordant des résidences séparées. Il est annoncé que le supplément pour famille monoparentale peut néanmoins être payé pendant une période de six mois (éventuellement prorogeable) s’il n’est pas légalement encore possible de cohabiter avec le conjoint étranger ou si celui-ci a déjà introduit une demande de visa pour regroupement familial.

Des indications sont également données en ce qui concerne les conditions de paiement du supplément, étant que le visa doit avoir été demandé auprès d’un poste diplomatique ou consulaire belge à l’étranger, que le conjoint étranger ne contribue pas aux charges du ménage, le droit au supplément cessant au moment où la demande de regroupement sera approuvée par l’Office des étrangers ou au moment où le conjoint résidera en Belgique. L’intéressé est invité à remplir un formulaire, qu’il renvoie avec la mention « isolé ». Il déclare en effet qu’aucune demande de visa n’a été introduite à ce moment. La décision est confirmée et une demande de récupération d’indu lui est adressée. Quinze jours plus tard, l’intéressé reprend contact avec l’Office et communique une demande de visa introduite en vue du regroupement familial. Il bénéficie dès lors de nouveau du supplément. Six mois plus tard, aucune information n’ayant été donnée par lui quant aux suites intervenues, le droit au supplément est suspendu.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail.

Le jugement du tribunal

Le tribunal examine d’abord la recevabilité de l’action, au motif que le recours a été formé sept mois après la décision. Celle-ci stipule erronément que l’attention de l’intéressé était attirée sur le fait qu’il disposait d’un délai de cinq ans pour intenter un recours. Le tribunal en conclut que le délai de recours ne pouvait commencer à courir, vu l’absence des mentions requises par la Charte de l’assuré social.

Pour ce qui est de la motivation de la décision, le tribunal constate que c’est en vain que le demandeur critique celle-ci au motif du non-respect de l’article 3 de la loi du 29 juillet 1991. Examinant les éléments de droit et de fait, il conclut que deux décisions rendues (dont l’une est la confirmation de l’autre) répondent aux conditions légales.

Quant au fondement de la demande, l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 22 janvier 2015 a conclu à l’absence de violation des articles 10 et 11 de la Constitution, dans l’interprétation selon laquelle un supplément d’allocations familiales pour famille monoparentale est accordé à un allocataire marié mais séparé de fait de son conjoint (celui-ci étant empêché, faute des autorisations requises, d’entrer sur le territoire belge), même si le mariage n’a pas été suivi d’une cohabitation, lorsque la séparation des époux apparaît de la consultation du registre national ou d’autres documents officiels et que l’époux (à l’étranger) ne dispose pas de revenus propres qui l’obligeraient à contribuer aux charges du mariage.

Pour avoir droit au supplément, le demandeur doit remplir trois conditions cumulatives, étant que (i) il doit être, en tant qu’allocataire, marié à un étranger non-ressortissant de l’U.E., (ii) le visa pour regroupement familial n’est pas encore accordé et (iii) le conjoint étranger ne dispose pas de revenus propres.

Dans les faits, vu l’absence d’information du mariage d’une part et de demande de visa pour regroupement familial après le mariage de l’autre, la suppression du droit est confirmée pour la période allant jusqu’à l’introduction de cette demande. Vu celle-ci, le droit a été rouvert pour le futur.

Le tribunal constate que, plus de six mois après la demande d’introduction, le visa a été refusé et qu’à cet égard, le droit ne pouvait être suspendu pour toute la période, dans la mesure où l’institution de sécurité sociale a justifié cette suspension vu les délais imposés dans le cadre de la loi du 15 décembre 1980 pour statuer sur l’octroi de visa. Pour lui, il n’y a aucune base légale à procéder de la sorte, chaque dossier devant être examiné selon ses spécificités propres. Le refus ne pouvait donc porter pour la période qui s’est écoulée jusqu’à la décision de l’Office des étrangers.

Le tribunal ordonne une réouverture des débats en ce qui concerne les montants.

Intérêt de la décision

Cette affaire pose la question du droit à un supplément d’allocations familiales pour famille monoparentale.

La particularité de l’espèce est le mariage avec une ressortissante d’un pays non-membre de l’U.E., ressortissante qui n’a pas rejoint immédiatement son époux, allocataire, qui a deux enfants à charge depuis plusieurs années.

Le tribunal rappelle les conditions cumulatives d’octroi de ce supplément en cas d’allocataire marié mais séparé de fait, l’une de celles-ci étant que le visa pour regroupement familial n’a pas (encore) été accordé. Pendant toute cette période, le droit au supplément est dès lors acquis, dans la mesure où cet allocataire est marié à un étranger non-ressortissant de l’U.E. et que ce conjoint étranger ne dispose pas de revenus propres.

Dans son jugement, le tribunal a rappelé les développements faits par la Cour constitutionnelle à propos de l’article 41 L.G.A.F. dans son arrêt du 22 janvier 2015 (n° 6/2015), où elle a conclu à la compatibilité de l’article 41 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, dans l’hypothèse où il est interprété comme signifiant que le supplément d’allocations est accordé à l’allocataire marié mais séparé de fait lorsque son conjoint, faute des autorisations requises, est empêché de le rejoindre sur le territoire, même si le mariage n’a pas été suivi d’une cohabitation, lorsque la séparation apparaît de la consultation du registre national ou ressort d’autres éléments officiels et que l’époux séjournant à l’étranger n’a pas de revenus propres l’obligeant à contribuer aux charges du mariage selon ses facultés. Cette dernière condition – dont la réalisation est malaisée à établir – est conforme au principe général selon lequel le supplément est accordé dans les hypothèses de famille monoparentale, considérée comme famille à un seul revenu.


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