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Conditions de la suppression, de la suspension ou de la réduction d’astreinte

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 24 juillet 2019, R.G. 17/1.764/A

Mis en ligne le vendredi 29 mai 2020


Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), 24 juillet 2019, R.G. 17/1.764/A

Terra Laboris

Par jugement du 24 juillet 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), saisi d’une demande de suppression, de suspension, ou encore de réduction d’astreinte, en rappelle les conditions posées par le Code judiciaire, la seule disproportion entre le montant de l’astreinte accumulée et la valeur de la prestation non effectuée ne pouvant être prise en compte.

Les faits

En 2011, le tribunal du travail a condamné une société à payer une indemnité compensatoire de préavis à une employée et à délivrer un document, étant le décompte de rémunération conforme au jugement. La condamnation a été assortie d’une astreinte de 15 euros par jour jusqu’à la délivrance du document dûment complété, et ce à défaut de délivrance spontanée dans les 15 jours de la signification du jugement.

Le jugement a été rapidement signifié et de nombreux commandements de payer l’astreinte sont intervenus. Ce n’est que 4 ans plus tard que la fiche de rémunération a été délivrée. L’astreinte courant pour la période litigieuse est supérieure à 15.500 euros.

En date du 27 septembre 2017, la société introduit une procédure devant le tribunal du travail, en vue d’obtenir la suppression de l’astreinte. Elle forme des demandes à titre subsidiaire relatives à la suspension ou la réduction de celle-ci, ainsi qu’à des dommages et intérêts.

Position des parties devant le tribunal

La partie demanderesse se fonde essentiellement sur l’impossibilité dans laquelle elle s’est trouvée de satisfaire à la condamnation principale. Les motifs invoqués sont une erreur invincible constitutive d’impossibilité putative, l’acharnement du syndicat intervenu pour l’employée, l’état dépressif de la gérante, ainsi encore que l’inertie du secrétariat social. Elle signale également avoir déposé une plainte contre le permanent syndical et demande avant dire droit qu’il soit sursis dans l’attente de l’issue de la procédure pénale.

La partie défenderesse conteste un lien quelconque avec la procédure concernant le permanent de son organisation syndicale. Pour ce qui est de l’erreur invincible, elle considère que celle-ci ne peut être invoquée à propos de la délivrance d’une fiche de rémunération, insistant sur l’absence de respect de la loi dans le chef de la société. Elle conteste également l’état psychique déficient de la gérante, non autrement étayé.

La décision du tribunal

Le tribunal, saisi d’une demande de surséance à statuer, examine d’abord celle-ci et en rappelle le principe : pour que la surséance trouve à s’appliquer, il faut que l’action publique soit déjà intentée, c’est-à-dire que le magistrat instructeur ou la juridiction répressive soient effectivement saisis. Une plainte suivie d’une simple information du Parquet – en-dehors d’une mise à l’instruction – ne peut justifier la suspension de l’instance civile. Cette règle a été rappelée par le Pr. FETTWEIS (A. FETTWEIS, Manuel de procédure civile, 2e éd., Liège, 1987, pp. 438 et ss.). La Cour de cassation a confirmé à cet égard que, cette règle étant établie parce que le jugement pénal a autorité de la chose jugée à l’égard de l’action civile intentée séparément en ce qui concerne les points communs des deux actions, il faut éviter que, sur ceux-ci, la décision prise par le juge civil contredise celle intervenue au pénal (Cass., 19 mars 2001, Pas., 2001, I, p. 436).

En l’espèce, il y a eu constitution de partie civile entre les mains d’un juge d’instruction. Le tribunal refuse cependant de faire droit à la demande de surséance, au motif que les faits invoqués sont tout à fait étrangers au présent litige.

Sur la question de la révision de l’astreinte, objet essentiel de la demande, le tribunal fixe le cadre légal, étant l’article 1385quinquies du Code judiciaire. Celui-ci prévoit la possibilité de la suppression ou de la suspension de l’astreinte pendant un délai déterminé, ou encore sa réduction si celui à qui elle a été infligée est dans l’impossibilité définitive ou temporaire, totale ou partielle, de satisfaire à la condamnation principale. La chose n’est pas possible si l’astreinte était déjà acquise avant que l’impossibilité ne se produise pour ce qui est de la suppression ou de la réduction. L’on ne peut dès lors faire rétroagir une décision de révision qui interviendrait, et ce à une date antérieure à celle où l’impossibilité d’exécution s’est produite.

Quant à la définition de celle-ci, le tribunal renvoie à la doctrine de O. MIGNOLET (O. MIGNOLET, « La révision de l’astreinte : une impossible équation ? », note sous Cass., 14 octobre 2004, R.C.J.B., 2005, p. 740), qui distingue l’impossibilité effective d’exécuter la condamnation principale et l’impossibilité simplement « putative ». L’impossibilité effective peut être matérielle, juridique, psychologique ou encore morale, tandis que l’impossibilité putative suppose que le condamné pense avoir satisfait, intégralement et à temps, à la condition principale, mais que cette opinion se révèle erronée après l’expiration du délai imparti pour l’exécution de la condamnation.

La même doctrine assimile cette erreur menant à une impossibilité putative à une erreur invincible, s’agissant d’une erreur que toute personne raisonnable et prudente aurait commise dans la même situation. Il faut dès lors prouver l’erreur invincible pour pouvoir invoquer ladite impossibilité putative. Le tribunal rappelle encore qu’il faut une absence totale de faute, volontaire ou non, dans le chef du débiteur et qu’une négligence ne peut être admise.

En l’espèce, les raisons invoquées pour l’erreur invincible, qui sont que l’employeur pensait avoir satisfait intégralement et à temps à la condamnation principale, sont rejetées, eu égard à la teneur de courriels tout à fait explicites émanant de l’organisation syndicale, et ce à 3 ans d’écart.

Pour ce qui est par ailleurs de l’acharnement syndical, celui-ci n’est pas davantage retenu, non plus que l’état de santé déficient de la gérante, qui aurait entravé ses capacités à assumer ses fonctions. Enfin, sur l’inertie du secrétariat social, à supposer qu’elle existe, le tribunal conclut qu’elle ne pourrait constituer qu’une difficulté, ou encore un alourdissement, à exécuter l’obligation principale, mais non une impossibilité.

Les arguments de la société sont dès lors rejetés, celle-ci ayant encore fait valoir qu’il y aurait eu, dans le chef de la travailleuse, une spéculation interdite, s’étant contentée de laisser les astreintes s’accumuler.

Intérêt de la décision

L’espèce tranchée par le tribunal du travail est particulièrement éclairante sur les dangers de l’accumulation d’astreintes.

L’on aura constaté que, s’agissant ici de la délivrance d’un décompte d’indemnités corrigé (un décompte initial ayant été effectué mais ayant été revu suite au jugement rendu par le tribunal du travail), l’inertie de l’employeur a abouti à une condamnation globale de plus de 15.000 euros, et ce pour ce seul document.

La procédure introduite en 2017 et ayant donné lieu au jugement du tribunal du travail du 24 juillet 2019 était fondée sur les possibilités prévues à l’article 1385quinquies du Code judiciaire, qui permet au juge qui a ordonné l’astreinte d’en prononcer la suppression, la suspension ou la réduction, dans certaines conditions.

Le tribunal rappelle les développements doctrinaux sur les conditions requises par cette disposition, et particulièrement la question de l’impossibilité d’exécuter la condamnation principale. Celle-ci peut être effective ou putative. En l’espèce, c’est cette deuxième hypothèse qui était invoquée, s’agissant pour la société de tenter de démontrer qu’elle pensait à tort avoir satisfait intégralement et à temps à la condamnation. La marge de discussion était particulièrement délicate, eu égard aux éléments du dossier.

Le tribunal a rappelé ici qu’en cas d’astreinte, la seule disproportion entre le montant de celle-ci et la valeur de la prestation non effectuée n’est pas une cause de révision et, pour ce qui est de l’impossibilité putative, qu’il doit être recouru à la notion d’erreur invincible, celle-ci devant être établie et la charge de la preuve existant dans le chef de celui qui l’invoque.

L’on a également l’occasion, dans cette même affaire, de rappeler les conditions de la demande de surséance à statuer, qui suppose qu’une action publique soit déjà intentée, un magistrat instructeur ou la juridiction répressive devant effectivement être saisis.


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