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Accident du travail dans le secteur public : rémunération de base de l’incapacité permanente

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 janvier 2020, R.G. 2019/AB/424

Mis en ligne le lundi 29 juin 2020


Cour du travail de Bruxelles, 6 janvier 2020, R.G. 2019/AB/424

Terra Laboris

Dans un arrêt du 6 janvier 2020, la Cour du travail de Bruxelles confirme sa position sur la question de la rémunération de base de l’incapacité permanente dans le secteur public : la rémunération à prendre en compte est la rémunération désindexée, la rente devant quant à elle être calculée avec le coefficient de réindexation.

Rétroactes

Suite à un accident du travail survenu en octobre 2011, un agent d’un C.P.A.S. introduit une procédure devant les juridictions du travail afin qu’il soit statué sur les séquelles de celui-ci. Suite à l’expertise judiciaire ordonnée, le tribunal du travail entérine les conclusions de celle-ci, condamnant, pour ce qui est de l’incapacité permanente de travail, le C.P.A.S. à payer une rente équivalente à 6%. La rémunération de base est fixée à l’indice-pivot 138,01 et doit être multipliée par le coefficient à la date de l’accident (1,5460). Le tribunal a également retenu que doit faire partie de la rémunération de base la quote-part patronale des tickets-repas dont bénéficie l’agent.

Appel est interjeté par le C.P.A.S. en ce qui concerne la rémunération de base.

La décision de la cour

Dans un bref arrêt, la cour rappelle que la loi du 3 juillet 1967 sur la prévention et la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public a été rendue obligatoire au personnel des C.P.A.S. par un arrêté royal du 13 juillet 1970 (arrêté royal relatif à la réparation, en faveur de certains membres du personnel des services ou établissements publics du secteur local, des dommages résultant des accidents du travail et des accidents survenus sur le chemin du travail). La rente relative à l’incapacité permanente est calculée à partir de la rémunération annuelle de la victime, étant prise en compte celle à laquelle elle a droit au moment de l’accident du travail. Cette rémunération est retenue en proportion du pourcentage d’incapacité de travail.

La rémunération annuelle est définie à l’article 13 de l’arrêté royal. Il s’agit de tout traitement, salaire ou indemnité tenant lieu de traitement ou de salaire acquis par la victime au moment de l’accident, augmenté des allocations et indemnités ne couvrant pas de charges réelles et dues en raison du contrat de louage de services ou du statut légal ou réglementaire.

Après avoir rappelé la règle du forfait de l’indemnisation des dommages causés par un accident du travail, la cour précise que celui-ci contient néanmoins un élément d’individualisation, dans la mesure où il est fonction de la rémunération annuelle de la victime. Ceci tend à l’indemniser de la perte de son revenu professionnel.

Il en découle que, si le travailleur se voit indemniser de frais qu’il a exposés en raison des conditions et des circonstances de travail qui lui sont imposées et qui sont à charge de l’employeur, ces frais ne constituent pas de la rémunération, s’agissant de charges réelles au sens de l’article 18. Par contre, pour ce qui est des allocations et indemnités qui ne couvrent pas de telles charges, il y a un enrichissement du travailleur et, dès lors, celles-ci font partie de la rémunération.

En l’espèce, la cour retient que, pendant 231 jours par an, le travailleur recevait ses chèques-repas, dans lesquels la quote-part du C.P.A.S. était de 3,75 euros par jour. Dans la mesure où il n’est pas établi que ceux-ci auraient pu intervenir dans le cadre des exigences liées aux conditions de travail (ainsi des repas que l’intéressé aurait été tenu de prendre en-dehors de son domicile), la cour n’opte pas pour la qualification de charges réelles, d’autant que rien ne vient non plus contredire que ces chèques-repas pouvaient être utilisés aux fins d’achats alimentaires et ainsi contribuer aux dépenses du ménage.

Le jugement est dès lors confirmé sur la question de la prise en compte de ceux-ci.

Intérêt de la décision

Cet arrêt présente un double intérêt, étant d’une part qu’il rappelle que les exclusions dans la rémunération de base des tickets-repas existant dans le secteur privé (A.R. 10 juin 2001) ne sont pas applicables au secteur public et qu’il vient d’autre part confirmer le mode de calcul de la rémunération de base en elle-même pour les travailleurs de ce secteur public.

Rappelons à cet égard un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 5 mars 2018 (C. trav. Bruxelles, 5 mars 2018, R.G. 2017/AB/471 – précédemment commenté), qui avait tranché, pour ce qui est de la rémunération de base de l’incapacité permanente, la discussion sur la rémunération à prendre en compte, à savoir celle réellement perçue (et donc le traitement indexé) ou la rémunération hors index.

Elle avait conclu – malgré les légères discordances de textes dans les divers arrêtés royaux qui ont rendu la loi du 3 juillet 1967 applicable aux différentes catégories de membres du personnel du secteur public – qu’il y a lieu de retenir une règle de cohérence. Elle avait en conséquence opté pour la prise en compte de la rémunération désindexée. Cependant, ce souci de cohérence avait conduit également la cour à conclure qu’il faut répondre par l’indexation de la rente jusqu’à la date de l’accident. Ce mécanisme revient à neutraliser la désindexation de la première par l’indexation de la seconde. Dans cet arrêt, la Cour du travail de Bruxelles avait renvoyé à l’avis du Procureur général LECLERCQ avant l’arrêt de la Cour de cassation du 14 mai 2011 (Cass., 14 mai 2011, n° S.09.0099.F – concernant l’arrêté royal du 24 janvier 1969).

Le mode de calcul retenu est dès lors qu’il faut partir de la rémunération de base désindexée, à multiplier par le taux d’I.P.P. (éventuellement réduit pour les petites incapacités) et à majorer du coefficient de réindexation à la date de l’accident.

Cet arrêt, qui donne ainsi la position de la Cour du travail de Bruxelles sur la question (confirmée dans l’arrêt annoté), permet, vu la prise en compte du coefficient de réindexation, de corriger les effets défavorables de la prise en compte de la rémunération désindexée.

Rappelons encore sur la question que la Cour du travail de Liège a opté pour une autre méthode, dans un arrêt du 18 juin 2018 (C. trav. Liège, div. Liège, 18 juin 2018, R.G. 2015/AL/463 et 2017/AL/60 – également précédemment commenté). Dans cet arrêt, elle avait conclu (statuant dans le cadre de l’arrêté royal du 24 janvier 1969) que son article 14, § 2, est source de discrimination pour plusieurs motifs :

  • A incapacités égales, la valeur économique de l’indemnisation de l’accident est, dès la fixation de la rente, moindre que pour un accident chronologiquement plus éloigné du point de référence et elle continue à baisser au fil du temps et des indexations sans justification valable ;
  • Faute d’indexation tant de la rente que de la rémunération de base, il n’est plus garanti que le montant de l’indemnisation soit en rapport avec le préjudice subi ;
  • Des travailleurs du secteur public sont parfaitement comparables avec des travailleurs du secteur privé et, à situations égales, les travailleurs du secteur privé voient leur indemnisation calculée sur la base du salaire des 12 mois qui ont précédé l’accident, sans décote liée à la désindexation, ce qui n’est pas le cas des autres travailleurs, qui se voient pénalisés par une désindexation non compensée.

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