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A.M.I. : maintien de l’assurabilité en cas d’absence d’examen médical prévu par l’article 101, § 1er, de la loi coordonnée ?

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 2 septembre 2019, R.G. 13/4.418/A

Mis en ligne le lundi 29 juin 2020


Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), 2 septembre 2019, R.G. 13/4.418/A

Terra Laboris

Par un jugement du 2 septembre 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), saisi de la question du maintien de l’assurabilité A.M.I. en cas d’absence d’examen médical prévu à l’article 101, § 1er, alinéa 1er, de la loi coordonnée, conclut à la perte de l’assurabilité malgré le caractère illégal de la décision de fin de reconnaissance. Cette position n’est pas unanime dans la jurisprudence.

L’objet de la demande

L’organisme assureur postule, devant le tribunal du travail, le remboursement d’un indu de l’ordre de 30.000 euros d’indemnités d’assurance maladie-invalidité versées à un assuré social pendant une période de deux ans et un mois. Cette demande se greffe sur une demande originaire qui tend à l’annulation de plusieurs décisions prises par l’Union mutuelliste, réclamant lesdites sommes.

Dans le cadre de la procédure, l’assuré social a sollicité, outre la mise à néant des décisions administratives, que le tribunal reconnaisse que son incapacité de travail existait bel et bien pendant la période considérée et a encore perduré pendant près de deux ans. Il sollicite, en conséquence, le paiement des indemnités pour cette période complémentaire (ultérieure).

Les faits

L’incapacité de travail a été reconnue à dater du 28 mars 2011 et l’intéressé a en conséquence été indemnisé jusqu’au 30 juin 2013.

Suite à une enquête de l’I.N.A.M.I., la reprise d’une activité non autorisée est apparue, et ce à partir du 1er juin 2011. L’intéressé travaillait en effet dans un commerce géré par son épouse.

Un volet pénal a été ouvert et, par jugement du tribunal correctionnel, il a été condamné à une peine d’amende pénale avec emprisonnement subsidiaire du chef de déclarations inexactes ou incomplètes concernant les avantages sociaux et les cotisations. Ce jugement a été confirmé en appel par la Cour d’appel de Mons.

L’affaire vient ainsi devant le tribunal du travail.

Un premier jugement a été rendu le 4 février 2019, joignant les causes. Le tribunal a ordonné la réouverture des débats en ce qui concerne la réalisation (ou non) de l’examen médical prévu à l’article 101, § 1er, de la loi coordonnée dans le délai prévu. Dans l’hypothèse où cet examen a été tenu, il a demandé la production de la décision de (fin de) reconnaissance du médecin-conseil (ou du C.M.I.) en application de l’article 94, alinéa 4, de la loi. Il a également invité les parties à s’expliquer sur les conséquences, vu la modification de l’article 101 par la loi du 28 avril 2010, du non-respect éventuel de la procédure sur le plan des indemnités d’incapacité de travail, non pour la période du 1er juin 2011 au 30 juin 2013 mais pour celle subséquente, du 1er juillet 2013 au 1er février 2015.

La question des indemnités pendant la première période a également été tranchée, la récupération étant confirmée.

La décision du tribunal

S’agissant de la période ultérieure, le tribunal rappelle qu’est exigée, en cas de reprise d’un travail non autorisé par le médecin-conseil, la tenue d’un nouvel examen médical, conformément à l’article 101, § 1er, de la loi coordonnée. Celui-ci doit permettre de vérifier si les conditions de reconnaissance de l’incapacité sont réunies, et ce à la date de l’examen. Le texte actuel de la disposition prévoit que le titulaire qui a repris le travail sans l’autorisation requise (ou sans en respecter les conditions) est soumis à un examen médical en vue de vérifier si les conditions de reconnaissance de l’incapacité de travail sont réunies à la date de l’examen. En cas de décision négative, une décision de fin de reconnaissance est prise et est notifiée au titulaire dans un délai fixé à l’article 245decies de l’arrêté royal du 3 juillet 1996.

Pour vérifier l’incapacité au sens de l’article 101, § 1er, il faut renvoyer aux critères de l’article 100, § 1er. Le tribunal rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 23 mai 2016 (Cass., 23 mai 2016, n° S.14.0002.F), qui a jugé, par rapport au contenu de l’article 101, § 1er (dans sa mouture actuelle), que l’examen médical précité vérifie les conditions de reconnaissance de l’incapacité énoncées par l’article 100, § 1er.

Le tribunal renvoie également aux travaux préparatoires de la loi du 28 avril 2010, qui reprennent également comme référence les critères de l’incapacité de travail de l’article 100, § 1er. Il cite un long extrait de ceux-ci. A en effet été discutée la question de l’incapacité (66% au lieu de 50%). La ministre des affaires sociales a précisé à cet égard que le critère des 66% fait référence à une perte de capacité de gain de deux tiers au moins et est une condition requise en vue de la reconnaissance de l’incapacité de travail au sens de l’article 100. Le critère de la réduction de capacité de 50% au moins sur le plan médical vise les titulaires qui reprennent, dans le cours de leur incapacité de travail reconnue, un travail avec l’autorisation préalable du médecin-conseil. Ce critère est également pris en considération dans le cadre de la procédure de régularisation des reprises de travail non autorisées par le médecin-conseil. Il est dès lors proposé, dans le projet de loi, de supprimer cette régularisation sur le plan médical des reprises non autorisées portant sur une période écoulée. Pour la ministre, le réexamen sur le plan médical par les instances compétentes devra porter sur l’évaluation de l’état d’incapacité de travail au moment du réexamen et ultérieurement.

En l’espèce, le tribunal constate que l’Union mutuelliste a notifié sa décision de fin de reconnaissance de l’incapacité à l’intéressé. La décision est cependant illégale, pour le tribunal, dans la mesure où il devait y avoir un examen médical conformément à l’article 101, § 1er, alinéa 1er, de la loi. Celui-ci n’est pas intervenu. Il devait en l’occurrence être pratiqué à l’initiative du C.M.I., l’intéressé étant en période d’invalidité.

Le tribunal conclut que la circonstance qu’aucune décision légale de fin de reconnaissance d’incapacité de travail n’ait été notifiée conformément à l’article 101, § 1er, alinéa 2, de la loi ne permet cependant pas de présumer que l’intéressé réunissait les conditions de l’article 100, § 1er, lui permettant de bénéficier d’indemnités. En outre, il constate que celui-ci n’apporte aucun élément en ce sens, ne déposant aucune pièce médicale attestant de cette incapacité de travail. L’intéressé est dès lors débouté de ce chef de demande.

Intérêt de la décision

Dans ce jugement, le tribunal du travail rappelle les travaux préparatoires qui ont abouti à la modification législative. Il a été acté, lors de ceux-ci, un durcissement des critères, puisque le bénéficiaire doit prouver non plus 50% d’incapacité mais 66%. Il a été relevé lors des discussions parlementaires que ceci peut augmenter le nombre de personnes sanctionnées.

L’on constatera que, en l’occurrence, le tribunal n’a pas donné à l’absence d’examen médical d’autre conséquence que le constat de l’illégalité de la décision de fin de reconnaissance d’invalidité. Il fait grief à l’assuré social de ne pas, de son côté, être en mesure d’établir l’existence de la persistance de son incapacité de travail à partir de la date en cause. Si ceci avait pu être fait, il y a tout lieu de penser que le tribunal aurait recouru à la désignation d’un expert.

Signalons que, dans un jugement du 22 janvier 2020, le Tribunal du travail de Liège (Trib. trav. Liège, div. Liège, 22 janvier 2020, R.G. 14/399.275/A) a conclu de son côté, dans l’hypothèse où la mutuelle n’avait pas respecté la procédure imposée par la loi (n’ayant procédé à aucun examen médical) qu’elle n’avait pu prendre de décision négative quant à la reconnaissance de l’incapacité de travail et que l’assuré social était dès lors toujours présumé réunir les conditions d’une telle reconnaissance pour la période contestée. Au-delà de la période infractionnelle (également retenue en l’espèce par les juridictions pénales), le demandeur réunissait toujours les conditions d’assurabilité lui donnant accès aux indemnités d’assurance maladie-invalidité. Le tribunal a également renvoyé à l’arrêt de la Cour de cassation du 23 mai 2016 ci-dessus ainsi qu’à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 19 février 2015 (C. const., 19 février 2015, n° 21/2015).


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