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Règlement n° 883/2004 : définition de la prestation de maladie et loi applicable

C.J.U.E., 5 mars 2020, C-135/19 (Pensionsversicherungsanstalt c/ CW)

Mis en ligne le mardi 11 août 2020


Dans un arrêt rendu le 5 mars 2020, la Cour de Justice de l’Union Européenne confirme les règles dégagées dans sa jurisprudence concernant la qualification des prestations de maladie, d’invalidité et de chômage et le mode de détermination de la législation applicable lorsqu’un citoyen européen a déplacé sa résidence d’un Etat membre à un autre et qu’il entend solliciter, ultérieurement, une allocation (de rééducation - en l’espèce loi autrichienne) dans l’Etat qu’il a quitté.

Les faits

La demanderesse, de nationalité autrichienne, a résidé et travaillé en Autriche jusqu’à son déménagement en 1990 vers l’Allemagne où elle réside depuis.

Elle a exercé une activité professionnelle jusqu’à l’année 2013. Pour ce qui est son assurance en matière de sécurité sociale, elle a acquis en Autriche 59 mois et en Allemagne 235 mois d’assurance.

Depuis son déménagement en Allemagne, elle n’est plus affiliée au régime légal de sécurité sociale autrichien.

Le 18 juin 2015 elle introduit une demande de pension (pension d’invalidité ou – à défaut – mesures de rééducation médicale et d’allocation de rééducation ou – encore à défaut –mesures de réadaptation professionnelle). Cette demande a été formée auprès de l’Office des pensions autrichien.

Suite au refus de l’Office des pensions, au motif d’abord qu’elle n’était pas dans une situation d’invalidité et que – en tout état de cause – elle ne relevait pas du régime légal de sécurité sociale autrichien et n’avait pas prouvé un lien de proximité suffisant avec celui-ci, l’intéressée saisi le Landesgericht Salzburg als Arbeits- und Sozialgericht (étant le tribunal régional de Salzbourg statuant en matière de droit du travail et de droit social), qui fait droit à la demande, considérant d’une part qu’il y a invalidité et d’autre part que l’intéressée peut bénéficier dans le cadre de la sécurité sociale autrichienne de mesures de rééducation médicale ainsi que d’une allocation de rééducation. Le tribunal rejette cependant la demande d’invalidité et de mesures de réadaptation professionnelle.

L’Office des pensions interjette appel et en est débouté. Il saisit ensuite l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême).

Celle-ci constate que sur le plan du rapport de proximité avec l’Autriche, l’intéressée fait valoir qu’elle a la nationalité de cet Etat, qu’elle y a acquis des périodes d’assurance, qu’elle habite dans un pays voisin et a des contacts réguliers avec sa famille qui y réside.

Pour ce qui est de l’allocation de rééducation, elle considère qu’elle constituerait plutôt une prestation de maladie au sens du Règlement 883/2004, puisqu’elle couvre le risque d’une inaptitude temporaire et non permanente ou durable. La Cour suprême y voit encore d’autres éléments, dont le mode de calcul.

En conséquence, s’il devait s’agir d’une prestation de maladie, l’intéressée dépendrait de la législation allemande et non autrichienne, l’Etat membre de résidence étant l’Etat compétent en ce qui concerne les prestations de maladie.

Cependant, la Cour suprême considère que certains éléments la rapprochent d’une prestation d’invalidité, ainsi le versement de cotisations au régime légal d’assurances et également la circonstance qu’elle supposerait l’écoulement d’un certain délai d’attente. A d’autres égards, elle se distingue cependant d’une pension ou d’une allocation de dépendance.

Par ailleurs, si, vu son objectif, cette allocation de rééducation pourrait également être rapprochée d’une prestation de chômage, la Cour suprême constate qu’il n’y a pas de lien avec le risque de chômage. Enfin, bien que cette allocation (ou une prestation comparable) n’existe pas en Allemagne, il n’y aurait pas ici atteinte à la libre circulation dans la situation présentée.

En conséquence, la Cour suprême pose deux questions préjudicielles à la Cour de Justice.

La première est de déterminer la nature de l’allocation de rééducation, à savoir s’il s’agit d’une prestation de maladie, d’une prestation d’invalidité ou d’une prestation de chômage, celle-ci examinée au sens de l’article 3, § 1 sous c) ou sous b) ou encore sous h) du règlement.

Dans une seconde question, la Cour suprême demande si un Etat membre, qui est l’ancien Etat de résidence et d’emploi, est tenu de verser des prestations telles que l’allocation de rééducation à une personne qui a son domicile dans un autre Etat membre lorsqu’elle a acquis la majeure partie de ses périodes d’assurance (branches maladie et retraite) en tant que personne salariée dans cet autre Etat membre (après le transfert de son domicile) et qu’elle n’a plus perçu de prestations dans ces secteurs de la part de l’ancien Etat de résidence et d’emploi.

Position de la Cour

Sur la première question

La Cour rappelle que, au sens du Règlement n° 883/2004, des prestations de sécurité sociale doivent être regardées (indépendamment des caractéristiques propres aux différentes législations internes) comme étant de même nature lorsque leur objet et leur finalité ainsi que leur base de calcul et leurs conditions d’octroi sont identiques. Il ne s’agit pas de s’arrêter à des caractéristiques purement formelles, devant être pris en considération le risque couvert par chaque prestation.

Au sens de la jurisprudence communautaire, la prestation de maladie couvre le risque lié à un état morbide entraînant une suspension temporaire des activités. Une prestation d’invalidité couvre le risque d’une inaptitude d’un degré prescrit lorsqu’il est probable que cette inaptitude sera permanente ou durable. Enfin, la prestation de chômage couvre le risque lié à la perte de revenus subis par le travailleur à la suite de la perte de son emploi alors qu’il encore apte à travailler.

Tels sont les critères.

La Cour considère que, vu les conditions d’octroi de la prestation, l’allocation de rééducation a pour finalité de couvrir le risque d’inaptitude temporaire. Il s’agit d’une prestation de maladie.

Sur la seconde question

La cour reprend les fondamentaux des règles de coordination, dont celle de l’unicité de la législation applicable. Dans la situation de l’intéressée, doivent être exclues les règles relatives au détachement, à l’exercice d’une activité dans deux ou plusieurs Etats membres, à l’hypothèse du choix d’une assurance volontaire ou facultative continuée, à la situation des agents contractuels des institutions européennes et également à des situations prévues à l’article 11, § 3, sous a) à d) du règlement (étant les personnes exerçant une activité salariée ou non salariée dans un Etat membre, les fonctionnaires, les personnes bénéficiant de prestations de chômage, celles appelées ou rappelées sous les drapeaux ou effectuant un service civil).

En conséquence, l’intéressée rentre dans la catégorie de « toutes les personnes autres que celles visées à l’article 11, §3, sous a) à d) », qui concerne notamment les personnes économiquement non actives (la Cour renvoyant ici à son arrêt du 8 mai 2019, affaire n° C-631/17, Inspecteur van de Belastingdienst). La législation nationale applicable est celle de l’Etat membre de résidence, à savoir en l’occurrence la législation allemande. Vu la règle de l’unicité de la législation applicable, l’institution autrichienne a à juste titre considéré devoir refuser le bénéfice de l’allocation de rééducation.

La Cour souligne encore que l’intéressée a cessé d’être affiliée à la sécurité sociale de son Etat membre d’origine, qu’elle a arrêté son activité professionnelle dans celui-ci et a déplacé sa résidence dans un autre Etat. Elle ne relève dès lors plus de la sécurité sociale de l’Etat autrichien.

La réponse de la Cour est dès lors que le Règlement n° 883/2004 tel que modifié par le règlement 465/2012 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la situation soumise, étant qu’une personne qui a cessé d’être affiliée à la sécurité sociale de son Etat membre d’origine après y avoir arrêté son activité professionnelle et avoir déplacé sa résidence dans un autre Etat membre, où elle a travaillé et acquis la majeure partie de ses périodes d’assurance, se voit refuser par l’organisme compétent de l’Etat membre d’origine le bénéfice d’une prestation telle que l’allocation de rééducation en cause, dès lors que cette personne relève non de la législation dudit Etat d’origine mais bien de celle de l’Etat de résidence.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour de Justice, après avoir tranché la nature de la prestation en cause, rappelle que chaque Etat membre est libre de déterminer les conditions d’affiliation à un régime de sécurité sociale, mais à la condition dans le cadre de cet exercice de respecter les dispositions du droit de l’Union.

La Cour renvoie à juste titre à l’arrêt rendu le 8 mai 2019 (CJUE, 8 mai 2019, affaire C-631/17, SF c/ Inspecteur van de Belastingdienst). Cet arrêt renvoie lui-même à une décision précédente du 25 octobre 2018 (C.J.U.E., 25 octobre 2018, Aff. n° C-451/17, WALLTOPIA - précédemment commenté), où elle a notamment considéré que si, la nationalité d’une personne peut, le cas échéant, s’avérer pertinente aux fins de déterminer si elle relève du champ d’application personnel de la coordination, elle ne compte pas en tant que telle, pour autant, parmi les critères énoncés dans les règles de conflit du titre II du Règlement n° 883/2004. Celui-ci a pour seul objet de déterminer la législation nationale applicable aux personnes qui relèvent du champ d’application personnel du règlement mais ne fixe pas les conditions de l’existence du droit ou de l’obligation de s’affilier à un régime de sécurité sociale déterminé. Ceci relève de la législation de chaque Etat membre, qui en détermine les conditions (étant également renvoyé à l’arrêt SOLZJA (C.J.U.E., 13 juillet 2017, Aff. n° C-89/16).


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