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Décret wallon relatif au statut de l’administrateur public : effets sur les contrats de travail

Trib. trav. Liège (div. Liège), 28 février 2020, R.G. 19/425/A

Mis en ligne le lundi 31 août 2020


Dans un jugement du 28 février 2020, le tribunal du travail de Liège (division Liège) rejette une demande d’arriérés de rémunération introduite par un gestionnaire d’un organisme public, contre le décret du Parlement wallon du 28 mars 2018, plafonnant la rémunération annuelle des administrateurs publics.

Les faits

Un directeur contractuel d’une société anonyme de droit public introduit une action devant le tribunal du travail de Liège, en paiement d’un montant de l’ordre de 65.000,00 € au titre d’arriérés de rémunération. Sa demande est consécutive à l’adoption par le Parlement wallon le 28 mars 2018 d’un décret imposant aux gestionnaires des organismes publics un plafond de rémunération. Ce plafond est de 245.000,00 € par an, l’intéressé percevant à l’époque 430.000 €.

La date d’entrée en vigueur est le 1er juillet 2018.

Le demandeur a ainsi vu sa rémunération rabotée à concurrence du plafond retenu par le décret. Il a contesté cette décision, demandant une dérogation auprès du Ministre Président du Gouvernement wallon. Celle-ci a été refusée.

Un recours est dès lors introduit devant le tribunal en paiement des arriérés de 65.000,00 € environ à majorer d’un « préjudice moral » de 25.000,00 €.

Position des parties devant le tribunal

Pour la partie demanderesse, sa demande porte sur l’exécution forcée du contrat de travail. Elle conteste la validité du décret, qui ne justifierait aucunement la modification unilatérale d’une condition essentielle de son contrat de travail. Elle conteste par ailleurs la compétence du législateur wallon pour statuer dans les matières abordées par le décret, celui-ci était inconstitutionnel. Elle conteste enfin « le fait du prince », la décision ayant été exécutée de manière précipitée et fautive.

Quant à la société de droit public, tant que le décret n’a pas été invalidé par la Cour constitutionnelle, il lui est applicable et elle est obligée de s’y conformer. Elle rappelle qu’un arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 janvier 2020 a rejeté un recours en annulation d’un décret du 29 mars 2018.

Par ailleurs, le décret est une norme supérieure dans la hiérarchie des sources.

Sur le plan de l’inexécution fautive du contrat, il y a, pour l’employeur, une cause étrangère au fait du débiteur, à savoir l’ordre de la loi ou le fait du prince, le décret ne lui accordant aucune marge de manœuvre. Elle considère également ne pas avoir commis de faute.

La décision du tribunal

Le tribunal examine le texte du décret relatif au statut de l’administrateur public du 12 février 2004, modifié par celui du 28 mars 2018. Son article 15bis § 3 fixe le plafond de la rémunération du gestionnaire d’un tel organisme, ses règles trouvant à s’appliquer à l’ensemble des contrats conclus entre un organisme et un gestionnaire, en ce compris les actes adoptés et les contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la disposition.

Pour le tribunal, les options juridiques ouvertes à l’intéressé suite à l’adoption de ce texte sont, s’il ne marque pas accord, de contester la validité du décret devant la Cour constitutionnelle, d’invoquer un acte équipollent à rupture ou encore de démissionner.

Pour le tribunal, sa demande consiste à demander aux juridictions d’imposer à l’employeur d’ignorer le décret, ce qui reviendrait à agir en toute illégalité.

Il rappelle qu’il n’est pas compétent pour statuer sur l’inconstitutionnalité de celui-ci et renvoie à l’arrêt du 16 janvier 2020 (C. const. 16 janvier 2020, n° 9/2020), où la Cour a été saisie d’une demande d’annulation partielle d’un décret du 29 mars 2018 (modifiant le code de la démocratie sociale et de la décentralisation). La motivation de la Cour constitutionnelle est que le législateur décrétal a dû, dans le cadre d’une bonne gouvernance et de transparence au sein des structures locales dont il a la tutelle, prendre les décisions en cause, s’agissant de garantir la saine gestion des sociétés publiques. Le plafond des rémunérations (de même que la possibilité d’insérer une clause de non-concurrence limitée) est considéré par la Cour comme ne portant pas atteinte aux éléments essentiels de la réglementation fédérale en ce qui concerne les contrats de travail. Les dispositions attaquées règlent des éléments du droit du travail qui se prêtent à un règlement différencié. La Cour a également considéré, sur le plan de la compétence, que l’incidence des dispositions attaquées sur la compétence fédérale en matière de droit du travail est marginale.

Cet enseignement est, pour le tribunal du travail, applicable mutatis mutandis au décret du 28 mars 2018. Il rappelle encore que, toujours selon le principe de la hiérarchie des sources, la loi dans ses dispositions impératives prime la convention individuelle. L’article 9 de la loi du 5 décembre 1968 prévoit en effet la nullité des dispositions d’une convention contraire aux dispositions impératives des lois et arrêtés (…).

Le choix fait par l’intéressé de ne pas avoir porté sa réclamation devant la juridiction compétence doit être assumé par lui et aucune interprétation du texte n’est possible. Le tribunal reprend encore des extraits des travaux préparatoires (Doc. parl., P.W., 2017-2018, 1051 n° 6). Ceux-ci prévoient une période pour un « dialogue de conviction » et, à défaut d’accord dans le cadre de celui-ci, la possibilité de licenciement. Il renvoie, enfin, aux commentaires du Conseil d’État, qui a précisé, en cas de non-signature volontaire d’un avenant au contrat de travail, actant la modification intervenue, qu’il pourrait y avoir acte équipollent à rupture. Ceci confirme, pour le tribunal, l’absence de marge de manœuvre pour une négociation.

Le recours est dès lors rejeté, ainsi que le chef de demande relatif aux dommages et intérêts pour exécution fautive et au dommage moral.

Intérêt de la décision

Le Parlement wallon a adopté le 28 mars 2018 un décret modifiant celui du 12 février 2004 relatif au statut de l’administrateur public. Un plafond de rémunération a été fixé, avec effet au 1er juillet 2018, comme le rappelle à juste titre le tribunal.

La marge d’appréciation de l’employeur public est, à diverses reprises, rappelée comme étant inexistante, dans l’application de celui-ci.

S’agissant d’une modification du contrat de travail, le tribunal rappelle la hiérarchie des sources, étant que celui-ci doit être conforme aux dispositions impératives des lois et des arrêtés. Par ailleurs, la logique du mécanisme contractuel fait que si une modification unilatérale d’une condition essentielle du contrat intervient, la partie lésée peut invoquer l’existence d’un acte équipollent à rupture. En l’occurrence, l’intéressé n’a pas opté pour cette procédure. Pour le tribunal, sa demande consiste en fin de compte à lui demander de ne pas appliquer le décret, étant de maintenir des conditions contractuelles non conformes à celui-ci.

S’agissant, enfin, de contester la légalité d’un décret du Parlement wallon, le tribunal a rappelé que le juge compétent pour statuer sur la validité de celui-ci est la Cour constitutionnelle, les juridictions du travail ne pouvant qu’appliquer les mesures prises.


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