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Notions de ménage dans le secteur des prestations aux personnes handicapées

Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 22 octobre 2019, R.G. 16/5.221/A et R.G. 19/502/A

Mis en ligne le lundi 31 août 2020


Dans un jugement rendu le 22 octobre 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (div. Charleroi) rappelle la présomption légale d’existence d’un ménage du fait de l’inscription à la même adresse au registre national, cette présomption pouvant être renversée par le demandeur s’il établit qu’il n’y a pas un partage des charges et une mise en commun des ressources.

Les faits

Un bénéficiaire d’une allocation de remplacement de revenus (catégorie B) et d’une allocation d’intégration (catégorie 1) se voit notifier une décision de révision d’office en juillet 2016. Le motif en est son inscription au registre de la population avec une tierce personne (qui est son ex-épouse) à une adresse dans l’arrondissement de Charleroi. Il s’agit d’une modification de la composition du ménage, qui est à la base de la décision. Les revenus de la personne avec qui il forme un ménage sont pris en compte et il en résulte que l’allocation de remplacement de revenus est supprimée, l’allocation d’intégration étant maintenue (catégorie 1).

Suite à cette décision, est intervenue une demande de récupération d’un indu de l’ordre de 3.400,00 €. Celui-ci porte sur la période entre la date de prise d’effet de la décision de récupération (août 2016) et la date de la décision elle-même (novembre 2016).

Un recours est introduit contre cette décision.

Dix-huit mois plus tard environ, la compagne déménage et l’intéressé est repris comme isolé au registre national à son adresse.

Survient alors une nouvelle décision de révision, vu le (nouveau) changement dans la composition de ménage. Une allocation de remplacement de revenus catégorie B est réattribuée, l’allocation d’intégration étant maintenue.

Le S.P.F. Affaires Sociales notifie à l’intéressé sa décision de renoncer à la récupération de l’indu relatif à la période de 2016.

Un nouveau recours est introduit, le 14 mars 2019, contre la décision prise en novembre 2016 (suppression de l’A.R.R.).

Les deux recours sont joints par le tribunal.

La décision du tribunal

Le tribunal constate en premier lieu que sa saisine porte sur la période de août 2016 à février 2018 (durée de la (re)mise en ménage).

Sur le plan procédural, le premier recours a fait l’objet d’une extension, aux fins de viser l’ensemble du litige. Le second est quant à lui considéré irrecevable pour défaut d’intérêt (faisant double emploi avec l’extension du premier).

Le tribunal rappelle que, saisi d’une contestation de récupération d’indu, il doit contrôler la légalité de la décision administrative en exécution de laquelle l’indu est réclamé. Il ne peut autoriser une récupération sur la base d’une révision d’office qui serait illégale. Il renvoie ici à la doctrine (M. DUMONT et N. MALMENDIER, Les personnes handicapées, E.P.S., Kluwer 2019, p. 514 et jurisprudence citée).

Sur le plan de la légalité de la révision d’office, le tribunal considère que les conditions requises sont présentes, même s’il a été fait référence uniquement à une « réconciliation » sans préciser davantage.

Pour ce qui est du fond, il examine ensuite les catégories de bénéficiaire, étant que en l’espèce, ne se pose pas de contestation sur le plan médical. Le litige porte sur l’incorporation par le S.P.F. du demandeur en catégorie C, étant qu’ont été pris en compte les revenus de sa compagne. Or, il estime à cet égard ne pas constituer un ménage avec elle et expose qu’il était sans abri précédemment et que son ex-épouse a accepté qu’il occupe un hangar à côté de la maison. Il conteste avoir formé un couple avec l’intéressée. Pour le S.P.F., il y a présomption de ménage par inscription au registre national et l’administration n’a pas à rechercher la volonté des cohabitants ni leur intention.

Dans le contentieux des prestations aux personnes handicapées, il ne peut, par ménage, y avoir qu’une seule personne percevant l’A.R.R. en catégorie C. Si deux personnes handicapées relèvent de celle-ci, dans le ménage, chacune percevra le montant relatif à la catégorie B.

La notion de ménage elle-même doit être adaptée aux nouvelles formes de cohabitation, le tribunal précisant que le législateur avait retenu le critère économique, le ménage existant du simple fait que les personnes supportent en commun principalement les frais journaliers pour assurer leur subsistance. Le tribunal rappelle encore que le mariage homosexuel n’entraînait pas – à tort selon le jugement – la reconnaissance du droit à la catégorie des bénéficiaires avec personne à charge.

Des discussions sont intervenues notamment suite à l’intervention d’associations ou de communautés religieuses et la Cour constitutionnelle a été saisie (C. Cons. 7 juillet 2004, n° 123/2004) aboutissant à une modification de la loi.

Actuellement, il y a ménage si existe une cohabitation de deux personnes qui ne sont pas parentes ou alliées au premier, deuxième ou troisième degré.

S’il y a une présomption du fait de l’inscription à la même adresse, la preuve contraire peut être apportée. Le tribunal rappelle encore la définition du ménage donnée par la Cour de Cassation (vie sous le même toit et mise en commun complète ou à tout le moins principale des charges), définition valable dans les diverses réglementations de sécurité sociale (contributives ou non contributives).

Le demandeur est dès lors tenu de renverser la présomption de mise en ménage. Le tribunal déplore l’absence d’éléments probants à cet égard. La révision d’office est dès lors justifie en droit et en fait et sa date de prise de cours est correcte.
Sont encore examinés les revenus à prendre en compte, eu égard aux ressources de l’ex-épouse, se référant aux avertissements extraits de rôle. Il en découle que les calculs sont également corrects.

Le tribunal déboute dès lors l’intéressé de son recours.

Intérêt de la décision

Ce jugement refait le point sur l’évolution de la notion de ménage dans le secteur des prestations aux personnes handicapées, soulignant que la définition actuelle de la cohabitation est transversale en sécurité sociale. Les diverses branches conservent cependant leur autonomie en ce qui concerne les conditions de prise en compte des ressources de la personne cohabitante. Dans la matière des prestations aux personnes handicapées, la règle spécifique est que les allocations de remplacement de revenus sont attribuées selon trois catégories, dépendant de la situation de la personne handicapée. La catégorie C vise celles établies en ménage ou qui ont un ou plusieurs enfants à charge, la catégorie B concerne les personnes qui vivent seules ou sont dans une institution de soins depuis trois mois au moins (et n’appartenaient pas à la catégorie C auparavant), la catégorie A concernant les personnes qui n’appartiennent à aucune des deux précédentes.

La mise en ménage est présumée du fait de l’inscription au registre national, cette présomption étant réfragable. Le tribunal a souligné, avec le S.P.F., qu’il n’y a pas lieu de rechercher la volonté ou l’intention des cohabitants, les critères légaux étant un partage des charges et une mise en commun des ressources. Il s’agit de régler ensemble totalement ou principalement les affaires du ménage. Il a en l’espèce été fait grief à l’intéressé de ne produire aucune pièce permettant d’établir qu’il payait des charges (eau, électricité, chauffage).

L’on notera encore que l’intéressé a sollicité – et obtenu – en 2018 le revenu d’intégration sociale.


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