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R.I.S. : nullité d’une décision administrative en cas de non-respect des droits de défense du demandeur

Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 14 janvier 2020, R.G. 19/1.142/A

Mis en ligne le mardi 1er septembre 2020


Par jugement du 14 janvier 2020, le tribunal du travail du Hainaut (division Mons) reprend les garanties figurant dans la réglementation en matière de droit à l’intégration sociale lorsque le C.P.A.S. envisage de retirer le revenu d’intégration sociale, le non-respect de celles-ci entraînant la nullité de la décision prise.

Les faits

Une étudiante d’une vingtaine d’années cohabite avec ses parents et quatre frères et sœurs. Elle perçoit depuis 2018 le revenu d’intégration sociale au taux cohabitant. Le 4 juin 2019, le C.P.A.S. notifie une décision de retrait, et ce pour divers motifs. Il s’agit essentiellement des ressources des membres de la famille cohabitants, le père ayant une pension de retraite de l’ordre de 2.080,00 € par mois et une sœur travaillant depuis le 1er mars. Les ressources du ménage se sont dès lors accrues et le C.P.A.S. annonce la cessation du droit au revenu d’intégration sociale à la date du début de l’emploi de la sœur. Il est cependant décidé de ne pas récupérer la somme due depuis celle-ci (trois mois). De même, il est décidé de retirer le projet individualisé d’intégration sociale, et ce avec effet au 1er avril.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail du Hainaut (division de Mons), qui examine la légalité de cette décision.

Le tribunal se prononce d’abord par un rappel des principes, ceux-ci étant relatifs à l’enquête sociale, au droit pour le bénéficiaire d’être entendu et à l’obligation pour le C.P.A.S. de motiver formellement la décision prise. Est également reprise la question des ressources des ascendants.

Pour ce qui est de l’enquête sociale, le tribunal rappelle sa place dans la procédure d’octroi de l’intégration sous la forme du revenu d’intégration ou d’un emploi.

Lorsque le Centre envisage notamment de refuser ou de revoir le revenu d’intégration, ou le projet individualisé, il est tenu d’entendre le demandeur, si celui-ci le demande et il doit informer l’intéressé de ce droit. Les garanties relatives à l’audition sont prévues à l’article 20 de la loi du 26 mai 2002, ainsi qu’à l’article 7 de l’arrêté royal du 11 juillet 2002 portant règlement général en matière de droit à l’intégration sociale.

Le tribunal souligne, rappelant la doctrine (A. VANDENDAELE, « Les sanctions », in Aide sociale – intégration sociale. Le droit en pratique », (Dir.) H. MORMONT et K. STANGHERLIN, Bruxelles, La Charte 2011, 635), que l’information quant à ce droit doit être préalable, concrète, efficace et non purement formelle.

Dans une décision à portée individuelle ayant des conséquences juridiques pour le droit de la personne à une intégration sociale, le C.P.A.S. doit recourir à une motivation écrite, qui elle-même doit être suffisante et porter tant sur les éléments juridiques que sur les éléments de fait. Le tribunal fait ici le renvoi à la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs ainsi qu’à un arrêt du 17 mars 2010 de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 17 mars 2010, J.L.M.B., 2011, p. 1454), selon lequel l’adéquation de la motivation signifie que cette dernière doit être pertinente (ayant trait à la décision) et être sérieuse (les raisons invoquées devant être suffisantes).

En cas de motivation inexistante ou insuffisante, la décision est frappée de nullité. Dans cette hypothèse, le juge statuera sur le droit du demandeur.

Enfin, pour ce qui est de la prise en compte des ressources des cohabitants, le tribunal rappelle l’article 34 de l’arrêté royal, qui règle la question de la prise en compte des ressources des ascendants/descendants majeurs du premier degré et de celles des autres personnes cohabitantes qui ne sollicitent pas le bénéfice de la loi. Les premières peuvent être prises en compte, les secondes ne le sont pas.

Après ce rappel des principes, le tribunal examine la décision administrative, et conclut qu’elle est illégale, notamment parce qu’il n’a pas été laissé à l’intéressée la possibilité d’être entendue avant de prendre la décision.

Pour ce qui est des revenus, c’est à tort qu’a été prise en compte la nouvelle situation professionnelle de la sœur, les revenus de celle-ci étant neutralisés par l’article 34 §3 de l’arrêté royal. Pour ce qui est du père, le tribunal rappelle que la prise en compte est une faculté et que l’opportunité de celle-ci doit ressortir d’une enquête sociale approfondie. Le C.P.A.S. doit préciser la nécessité, au vu de la situation familiale (état de besoin, de santé, conditions de logement, …) de prendre ces ressources en compte. Si les revenus professionnels de la sœur vont globalement accroître les ressources du ménage et permettre au père de faire face aux charges de celui-ci, il s’agit cependant d’une pure hypothèse et celle-ci ne peut fonder une révision de la situation.

Le tribunal regrette enfin l’absence d’ébauche de budget, ce qui ne permet pas de justifier l’exercice de la faculté prévue à l’article 34 §2.

L’intéressée est dès lors rétablie dans son droit au revenu d’intégration sociale au taux cohabitant.

Intérêt de la décision

Le tribunal reprend les garanties prévues par la loi du 26 mai 2002 et son arrêté royal d’exécution, relatives aux droits de défense du bénéficiaire du revenu d’intégration. Il s’agit en premier lieu de l’obligation d’audition et le tribunal en rappelle les contours ainsi que la sanction, étant la nullité de la décision administrative subséquente.

L’on peut renvoyer, sur la question, à un arrêt de la cour du travail de Mons du 19 mars 2008 (C. trav. Mons, 19 mars 2008, R.G. 20.690 – précédemment commenté), où la cour a rappelé que l’obligation d’audition est l’expression d’un principe général de droit, étant le respect des droits de défense. Trois obligations dérivent de celui-ci (exigences relatives à la convocation, au délai et à la portée de l’audition). Cette obligation est d’ordre public et son non-respect entraîne non seulement la nullité de la décision administrative mais celle de toute la procédure administrative.

Dans un arrêt légèrement antérieur du 20 février 2008 (C. trav. Mons, 20 février 2008, R.G. 19.782) la même cour avait conclu que de la constatation de la nullité de la décision et de la procédure administrative, l’assuré social devait être rétabli dans son droit au revenu d’intégration sociale pour toute la période litigieuse. Le dossier administratif est en effet « vidé » par l’effet de la nullité complète.

C’est la conclusion qu’a tirée le tribunal du travail dans son jugement du 14 janvier 2020. Outre, par ailleurs, le débat connu quant à la portée de l’obligation de motivation formelle, le jugement souligne encore un point important, figurant – pourtant – de manière expresse dans la réglementation, étant la prise en compte des ressources des cohabitants. L’article 34 de l’arrêté royal prévoit en son paragraphe 3 que dans les autres cas de cohabitation que ceux visés aux paragraphes précédents (époux, compagnon, (§1) ou ascendants/ descendants premier degré (§2)), si celle-ci intervient avec des personnes qui ne sollicitent pas le bénéfice de la loi, leurs ressources ne sont pas prises en considération. La circonstance, en l’espèce, qu’une des sœurs avait trouvé du travail (celle-ci ne demandant pas le bénéfice d’un revenu d’intégration) est dès lors indifférente. Cette question est clairement réglée dans l’arrêté royal.


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