Terralaboris asbl

Calcul du délai de préavis et notion d’ancienneté

Trib. trav. fr. Bruxelles, 25 février 2020, R.G. 19/608/A

Mis en ligne le lundi 14 septembre 2020


Dans un jugement du 25 février 2020, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles rappelle la notion d’ancienneté au sens de l’article 37/4, alinéa 2, de la loi relative aux contrats de travail, ainsi que l’incidence de celle-ci pour la fixation du délai de préavis dans l’hypothèse où le travailleur est engagé par le même employeur dans le cadre de deux contrats signés à des époques différentes.

Les faits

Une aide-soignante preste pour une maison de repos depuis 2008. Ses conditions d’occupation varient dans le temps, tant en ce qui concerne la durée hebdomadaire du travail que la nature des contrats conclus entre parties (contrats à durée déterminée, suivis de contrats de remplacement, suivis eux-mêmes d’un contrat à durée indéterminée à temps plein, celui-ci s’étant modifié en mi-temps, le temps de travail étant ensuite redevenu un temps plein vu la conclusion d’un nouveau contrat de remplacement).

En avril 2018, la maison de repos licencie l’intéressée pour les deux contrats en cours en ce moment, étant le contrat de remplacement et le contrat à durée indéterminée toujours en vigueur.

Une contestation intervient quant au délai de préavis et une procédure est lancée devant le Tribunal du travail francophone du Bruxelles.

Position des parties devant le tribunal

La demanderesse conteste l’ancienneté retenue, considérant que celle-ci remonte à 2008. Elle estime que la conclusion de contrats successifs n’a pas d’incidence.

Par contre, la société fait valoir qu’il y a eu une interruption de 2 jours en 2009 et que l’ancienneté reprise sur les fiches de paie est une ancienneté purement barémique.

Les parties s’opposent également sur la question de savoir si la demanderesse a la qualité d’employée inférieure ou supérieure, ainsi que sur la rémunération de base.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend la définition de la notion d’ancienneté : il s’agit des périodes pendant lesquelles le travailleur est demeuré sans interruption au service de la même entreprise (définition figurant à l’article 37/4, alinéa 2, de la loi relative aux contrats de travail). Des contrats successifs n’interrompent pas l’ancienneté. Pour que soit prise en compte une interruption dans ce contexte, le tribunal reprend en l’adoptant la solution retenue par la Cour du travail de Gand (C. trav. Gand, 21 mai 1990, R.D.S., 1990, p. 365), selon laquelle le législateur n’a visé que l’hypothèse où les contrats de travail successifs ont été conclus entre les mêmes parties et interrompus durant un certain délai.

En l’occurrence, il y a eu absence de prestations pour une seule journée effective. Celle-ci est trop brève et qualifiée de « virtuelle ». Il ne s’agit pas d’une interruption réelle de l’occupation. Le tribunal renvoie également aux fiches de paie, qui reprennent la date de début de l’occupation comme point de départ de l’ancienneté. La journée en cause est considérée comme une suspension conventionnelle de l’exécution du contrat, l’employeur et le travailleur pouvant décider de suspendre cette exécution, auquel cas, selon la doctrine, l’on inclura cette période de suspension conventionnelle de l’exécution du contrat dans le calcul de l’ancienneté (le tribunal renvoyant à B. PATERNOSTRE, Le droit de la rupture du contrat de travail, De Boeck, 1990, p. 181).

Pour ce qui est de la qualité d’employée inférieure ou supérieure, le tribunal fait le rappel de la modification législative intervenue par la loi du 26 décembre 2013 concernant l’introduction d’un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence, ainsi que de mesures d’accompagnement. Lorsque le contrat a été conclu avant le 1er janvier 2014, le paramètre « rémunération » conserve toute son utilité, puisqu’il est alors tenu compte de la rémunération de l’employé au 31 décembre 2013. Le mode de calcul du délai de préavis est ainsi repris aux articles 67 à 69 L.C.T. Il s’agit de vérifier si la rémunération excède ou non le montant de 32.254 euros à ce moment et, dans l’hypothèse où l’employé a été occupé à temps partiel, celle-ci doit être majorée de façon à atteindre un temps plein fictif. Ce calcul entraîne en l’espèce le dépassement du seuil.

Le tribunal en vient ensuite à la discussion relative à la rémunération de base en termes annuels. Il s’agit de vérifier en l’espèce les effets des conventions collectives du secteur (C.P. n° 330). Des prestations fréquentes ont été effectuées les samedis, dimanches, jours fériés ou de nuit, de telle sorte que les suppléments prévus dans la réglementation devaient être accordés, ainsi qu’une prime de fin d’année et une prime d’attractivité.

Le tribunal rappelle que l’article 39, § 1er, alinéa 3, L.C.T. prévoit, en cas de rémunération (partiellement ou entièrement) variable, de prendre en compte, pour cette partie, la moyenne des 12 mois antérieurs ou, le cas échéant, la partie de ces 12 mois au cours de laquelle le travailleur a été en service.

Se pose plus particulièrement la question du calcul de la prime de fin d’année du secteur (une convention collective du 30 juin 2006 ayant été adoptée dans la C.P. n° 305 et rendue applicable à la C.P. n° 330). La prime de fin d’année prévoit le paiement d’un montant fixe déterminé chaque année (éventuellement proratisé selon les prestations de travail), ainsi qu’un pourcentage (2,50%) de la rémunération annuelle brute (s’agissant de la rémunération brute barémique indexée majorée de l’allocation de résidence multipliée par 12).

Par ailleurs, une prime d’attractivité doit également être prise en compte, celle-ci ayant été prévue dans la C.P. n° 305 (C.C.T. également applicable). Son montant est également fixe et déterminé chaque année, avec proratisation éventuelle, celui-ci étant majoré de 0,53% de la rémunération annuelle brute (même base de calcul).

Le tribunal est ainsi en mesure de fixer le montant à retenir pour les deux contrats existants à la rupture, chacun faisant l’objet de l’inclusion des suppléments sectoriels, de l’allocation de résidence, de la prime de fin d’année et de la prime d’attractivité.

Enfin, en ce qui concerne la fixation des délais et indemnités de préavis, le tribunal aboutit à une conclusion différenciée pour les deux contrats. Le contrat conclu à durée indéterminée (en 2009) se voit appliquer l’article 68, alinéa 3, de la loi du 26 décembre 2013 (qui prévoit que, pour les employés dont la rémunération annuelle dépasse 32.254 euros au 31 décembre 2013, ce délai est fixé à un mois par année d’ancienneté entamée en cas de congé donné par l’employeur, avec un minimum de 3 mois). L’ancienneté remontant au 2 décembre 2008, le préavis aurait dû être de 6 mois et 15 semaines, de sorte que reste due une indemnité de 3 mois.

Pour le dernier contrat de remplacement, il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 68, alinéa 3, le tribunal retenant cependant que l’ancienneté remonte au 2 décembre 2008. Un préavis de 30 semaines aurait dû être octroyé, laissant subsister, vu le paiement des 4 semaines intervenu, une indemnité compensatoire de 26 semaines.

Intérêt de la décision

Le point de départ retenu par le tribunal, pour la fixation des délais de préavis, est la référence à l’ancienneté. Le tribunal a rappelé qu’il s’agit par là de viser la période pendant laquelle le travailleur et demeuré sans interruption au service d’une même entreprise et qu’est sans incidence la question de la conclusion de contrats successifs dans le cours de cette période. Le point de départ de l’ancienneté est considéré le même, par conséquent, même si deux contrats sont en vigueur au moment de la rupture.

Le tribunal aboutit ainsi à retenir une ancienneté de près de 10 ans, pour le contrat de remplacement signé quelques mois avant le licenciement, vu le contexte des relations professionnelles.

Peut interrompre l’ancienneté une absence de service pendant une période déterminée (hors l’hypothèse de la suspension de l’exécution du contrat). A juste titre, le tribunal a ici rappelé qu’une interruption ne doit pas être virtuelle (un jour de prestation en l’espèce) mais réelle. Serait ainsi admise une interruption significative.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be