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Rupture d’un contrat de travail : nature de la convention qui peut être signée par les parties

C. trav. Bruxelles, 6 novembre 2019, R.G. 2016/AB/1075

Mis en ligne le lundi 14 septembre 2020


Dans un important arrêt du 6 novembre 2019, la cour du travail de Bruxelles reprend les principes guidant deux questions récurrentes en cas de rupture du contrat de travail, étant la nature et les effets d’une convention qui peut avoir été signée par les parties et les règles de prescription applicables en cas de non-paiement de rémunération.

Les faits

Un employé est engagé en 2004 par une société de conseil en gestion et organisation pour P.M.E. Sa tâche est essentiellement de faire l’audit des entreprises clientes. En mai 2006, il se voit confier une fonction d’assistant technique et ses nouvelles conditions d’exercice et de rémunération font l’objet d’un avenant contractuel. Il devient attaché à la direction générale en novembre 2011 et un nouvel avenant est encore conclu.

De nouvelles conditions de rémunération, à ce moment fixe et variable avec bonus, extra-bonus et commissions, sont convenues.

Il démissionne en août 2012, ayant, dans un entretien, informé l’employeur de sa décision de quitter l’entreprise. Il annonce un préavis de trois mois, soumis à discussion et propose la rédaction d’une convention à conclure à bref délai. Est alors signée une « convention bilatérale » prévoyant essentiellement que la société le dispense du solde de préavis à prester, celui-ci ne donnant pas lieu à rémunération ni à indemnité. Outre une clause relative au paiement des commissions encore à percevoir, la convention contient une renonciation de chaque partie à se prévaloir de toute erreur de droit ou de fait et de toute omission concernant l’existence et l’étendue de ses droits.

Par la suite, l’employé adresse plusieurs demandes pour obtenir la régularisation de certains montants ou avantages. Restent essentiellement impayés le pécule de vacances de sortie, le pécule de vacances sur les rémunérations fixe et variable, des éco-chèques, etc.

La société ne réservant pas de suite à ces demandes, une procédure est introduite devant le tribunal du travail de Bruxelles en octobre 2013.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 30 octobre 2015, le tribunal du travail francophone de Bruxelles statue sur le droit pour l’intéressé en son principe de percevoir divers montants, dont des heures supplémentaires correspondant à la rémunération de temps de déplacement, que le tribunal considère constituer du temps de travail. La réouverture des débats est ordonnée aux fins de préciser divers points.

La société interjette appel.

L’arrêt de la cour du travail

La cour examine, en premier lieu, la nature de la convention conclue, étant de savoir s’il s’agit ou non d’une transaction. Elle rappelle que la transaction est un contrat synallagmatique entre des parties qui se font mutuellement des concessions en vue de terminer ou de prévenir un litige, sans pour autant que l’une d’elles reconnaisse le bien-fondé des prétentions de l’autre. La cour renvoie à la jurisprudence de la Cour de Cassation (Cass., 31 octobre 2005, S.05.007.F).

Elle reprend également les règles relatives à la renonciation, et ici vient le rappel de plusieurs arrêts de la Cour de Cassation, dont celui du 22 juin 2015 (Cass., 22 juin 2015, S.14.0014.F), où la Cour suprême a rappelé que la renonciation à un droit est de stricte interprétation. Par ailleurs, s’il s’agit d’un droit de nature impérative, la renonciation est valable lorsqu’elle intervient après la naissance de celui-ci. Il est ici également renvoyé à un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 4 décembre 2012 (C. trav. Brux., 4 décembre 2012, R.G. 2011/AB/430).

Pour ce qui est de la question de l’interprétation des conventions, règle énoncée à l’article 1156 du Code civil (selon lequel on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes), vient encore un rappel des principes dégagés dans la jurisprudence de la Cour de Cassation, étant que le juge apprécie souverainement la portée de celles-ci en tenant compte de l’intention commune des parties. Il s’agit ici de se fonder sur les éléments intrinsèques ou extrinsèques de l’acte à interpréter (avec rappel de l’arrêt de la Cour de Cassation du 27 novembre 2015, R.G. C.14.0389.F) et d’autres décisions antérieures. Dans celles-ci est notamment précisé que constitue un élément extrinsèque la manière dont les parties ont exécuté une convention et que le juge peut en tenir compte.

La question de l’exécution de la convention est en effet importante et la cour souligne ici la doctrine de P. VAN OMMESLAGHE sur la question (P. VAN OMMESLAGHE, Droit des obligations, tome 1er, 2010, p. 597).

L’examen du texte et des positions des parties amène la cour à conclure que la clause de renonciation litigieuse ne peut se comprendre que dans le contexte bien précis et limité de l’accord intervenu. Les erreurs de fait et de droit ainsi que les omissions auxquelles il est renoncé ne visent que l’existence et l’étendue des droits qui ont fait l’objet de la convention et non l’ensemble des droits que les parties auraient l’une à l’égard de l’autre du fait du contrat de travail. La cour donne comme exemple l’indemnité compensatoire de préavis, que la société ne pourrait réclamer vu qu’elle est visée dans le texte de la convention ; de même le travailleur n’aurait pas pu réclamer des commissions à une date antérieure à celle de l’encaissement de la facture, échéance qui figure également dans le texte.

La clause ne fait dès lors pas obstacle aux demandes formées par l’employé.

Vient ensuite un imposant rappel des règles en matière de prescription, la cour faisant ici un exposé circonstancié de la question, étant de déterminer le délai de prescription en matière de non-paiement de la rémunération par l’employeur, ses préposés et mandataires. L’infraction est une infraction instantanée (règle rappelée dans l’arrêt de la Cour de Cassation du 22 juin 2015, S.15.0003.F), règle qui permet d’introduire une action en paiement de dommages et intérêts vu l’infraction de non-paiement de la rémunération (ou de non-paiement des pécules de vacances) dans les cinq ans qui suivent la commission du délit. Le fondement est l’article 2262bis du Code civil et l’article 26 du titre préliminaire du Code de procédure pénale. L’action civile ne peut cependant se prescrire avant l’action publique et profite dès lors des causes d’interruption ou de suspension de la prescription pénale.

À côté de l’infraction instantanée existe le délit collectif : vient ici un examen approfondi fait par la cour de la condition d’unité d’intention délictueuse. Les références à la jurisprudence de la Cour de Cassation sont très nombreuses. Dans celle-ci, la Cour a souligné que le juge apprécie en fait et de manière souveraine si différentes infractions soumises à son examen constituent la manifestation successive et continue de la même intention délictueuse (étant ici rappelés notamment les arrêts de la Cour de Cassation du 25 février 2016, C.13.0098.N et du 22 juin 2015, P.16.0982.F, outre de nombreux arrêts antérieurs). Si le juge du fond peut apprécier de manière souveraine la question, ceci n’empêche pas la Cour de Cassation de vérifier si, des faits qu’il a constatés, le juge du fond a pu légalement déduire l’existence ou l’absence de cette unité d’intention (venant ici le renvoi à l’arrêt de la Cour de Cassation du 23 juin 2010, P.10.0794.F).

Après un détour par la doctrine et la jurisprudence quant à la vérification à opérer par le juge du fond, la cour examine la question de l’élément moral de l’infraction et de la cause de justification.

L’erreur de droit n’est, comme elle le rappelle, invincible et ne constitue une cause de justification que pour autant qu’elle soit de nature telle que toute personne raisonnable et prudente placée dans les mêmes circonstances de fait et de droit l’eût commise : enseignement des arrêts de la Cour de Cassation (Cass., 7 juin 2016, P.15.0135.N et Cass., 13 mai 2015, P.13.1755.F).

Dans l’espèce soumise, la cour conclut qu’elle ne peut trouver d’élément permettant de retenir l’unité d’intention reliant les infractions entre elles. La réouverture des débats est ordonnée notamment à cette fin.

La cour statue également sur la question des arriérés de rémunération liés à des prestations supplémentaires en-dehors de l’horaire normal de travail (vu l’intérêt des développements sur cette question, cette partie de l’arrêt fait l’objet d’un commentaire distinct).

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail de Bruxelles vaut doctrine sur les questions abordées, tant le rappel des principes est complet et systématique.

L’on notera encore, sur la question de la transaction, que si le juge l’avait admise, la procédure devant les juridictions du travail aurait été considérée irrecevable.

La cour a conclu que, malgré la clause de renonciation qu’elle contenait, la convention ne pouvait avoir cette nature. Il y a lieu de rappeler que la transaction exige des concessions réciproques et qu’elle se distingue d’une convention ordinaire (convention de rupture d’un commun accord), qui est bien celle qui a été conclue en l’espèce.

La cour du travail a retenu que la portée de la clause de renonciation dans cette convention est limitée, ne pouvant concerner que les questions qui y ont été abordées et non d’autres points qui n’en n’ont pas fait l’objet. La cour a renvoyé au complément d’indemnité de préavis que l’employeur n’aurait pas pu obtenir, non plus qu’à des commissions en-dehors des conditions (temporelles) reprises dans le texte.


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