Terralaboris asbl

Octroi d’une aide sociale pour une période passée

Trib. trav. fr. Bruxelles, 8 avril 2020, R.G. 19/4.411/A

Mis en ligne le lundi 14 septembre 2020


Dans un jugement du 8 avril 2020, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles rappelle que les conditions d’octroi de l’aide sociale sont uniquement liées à la possibilité de mener une vie conforme à la dignité humaine et qu’à défaut d’avoir pu le faire, en l’espèce, une aide sociale correspondant au revenu d’intégration sociale doit être accordée.

Les faits

Un couple vit en ménage depuis 2011, sans être marié. Ils ont un fils.

Deux ans plus tard, le père commence à être violent envers sa compagne, ce qui amène celle-ci, après avoir dû se rendre au service des urgences d’un hôpital, à déposer une plainte auprès de la Police. Celle-ci sera classée sans suite.

La situation empirant, la mère envisage une séparation, avec garde de son fils.

Elle est cependant sans ressources et dépend financièrement de son compagnon. Les démarches effectuées en vue de trouver un logement n’aboutissent pas et, en fin de compte, elle s’adresse au C.P.A.S., en août 2019, expliquant les violences subies. Les éléments relatifs aux revenus du compagnon ne peuvent être produits et le C.P.A.S. refuse son intervention, se déclarant dans l’impossibilité de vérifier si les conditions légales sont remplies.

Vu cette situation, la mère est contrainte de subir la situation. Elle dépose cependant une requête contradictoire devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, demandant une aide sociale équivalente au revenu d’intégration sociale pour une première période et le revenu lui-même pour la suite.

Elle est hébergée en janvier 2020 dans un centre spécialisé, avec son fils.

Objet de la demande

Position de la demanderesse

La première période court de l’introduction de la demande à la fin de la cohabitation. Il s’agit d’une période de près de cinq mois.

La demanderesse expose qu’elle n’a pas vécu conformément à la dignité humaine pendant celle-ci, n’ayant pu effectuer le paiement d’aucun frais pourtant essentiels (trajets en commun, frais de santé nécessaires et nourriture). Elle a été livrée à elle-même et n’a pu entamer de suivi psychologique, celui-ci étant pourtant nécessaire, vu les violences subies. Elle considère avoir, pour la période, été victime de violences non seulement physiques mais également psychologiques et financières.

A partir de l’hébergement, c’est le revenu d’intégration qui est postulé, au taux avec charge de famille. L’intéressée considère qu’elle remplit les conditions de l’article 3 de la loi du 26 mai 2002 relative au droit à l’intégration sociale (conditions d’octroi).

Position du C.P.A.S.

En gros, le C.P.A.S. considère que l’état de besoin n’est pas établi, vu d’une part la prise en charge de frais fixes par le compagnon et, d’autre part, le versement à elle-même par celui-ci d’argent de poche, la demanderesse bénéficiant en sus de l’allocation familiale.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend longuement, dans un rappel des principes, les contours du critère de la dignité humaine, au cœur de la loi du 8 juillet 1976. La dignité humaine est le critère unique de l’octroi de l’aide sociale. Elle ne doit dès lors être allouée que lorsqu’elle est nécessaire à mener une vie conforme à la dignité humaine. Cette exigence exprime le caractère résiduaire ou subsidiaire de l’aide sociale : une situation n’est pas contraire à la dignité humaine lorsque celui qui la connaît a la possibilité d’y remédier lui-même, par ses propres efforts ou en faisant valoir les droits dont il dispose.

L’état de besoin est une condition d’octroi dans un régime d’ordre public. Il doit dès lors être vérifié par la juridiction du travail.

Le tribunal reprend un très large extrait d’un arrêt de la Cour du travail de Liège du 20 novembre 2018 (C. trav. Liège, div. Namur, 20 novembre 2018, R.G. 2018/AN/26), selon lequel le seul critère à retenir est de savoir si l’aide sollicitée est la plus appropriée ou si elle est nécessaire au moment où elle est demandée. Dans la mesure où le droit à l’aide sociale naît dès qu’une personne se trouve dans une situation qui ne lui permet pas de vivre conformément à la dignité humaine, rien n’empêche le C.P.A.S., par une nouvelle décision, d’accorder cette aide à la personne qui y a droit pour la période prenant cours le jour de l’introduction du recours (tardif) auprès du tribunal du travail contre une précédente décision, et ce avec effet rétroactif.

En l’espèce, le tribunal estime que l’aide sociale financière était la plus appropriée et était nécessaire pour sauvegarder la dignité humaine de la demanderesse, puisqu’elle lui aurait permis d’être indépendante financièrement du père de son fils et de se séparer de lui. Les violences subies étaient attentatoires à sa dignité humaine (violences multiples, qui nécessitaient une prise en charge rapide du C.P.A.S. par des conseils juridiques, un soutien psychologique et, surtout, une aide sociale financière adéquate).

Enfin, le tribunal relève une « contradiction intrinsèque » dans la position du C.P.A.S., qui a fondé sa décision sur la question des revenus du ménage, alors que l’intéressée entendait précisément se séparer de son compagnon.

La décision du C.P.A.S. est dès lors annulée partiellement et l’aide sollicitée est accordée.

Intérêt de la décision

La discussion ne porte pas, dans cette espèce, sur le droit au revenu d’intégration sociale, les conditions d’octroi étant réunies par la demanderesse. C’est la question de l’aide sociale pour une période où l’absence de ressources a privé celle-ci de la possibilité de mener une vie conforme à la dignité humaine qui est débattue. Le tribunal rappelle que le seul critère d’octroi de l’aide sociale est précisément celui de la dignité humaine et que le juge apprécie souverainement la forme de l’aide la plus appropriée : matérielle, sociale, médicale, médico-sociale ou psychologique.

Le jugement réserve en sus des développements assez fouillés sur la question de la collaboration du demandeur d’aide, puisqu’en l’occurrence, les éléments demandés n’avaient pas été (ou pas pu être) fournis.

La jurisprudence de la Cour de cassation est reprise, dont l’arrêt rendu le 22 juin 2015 (Cass., 22 juin 2015, n° S.14.0092.F – précédemment commenté), dont il ressort que la collaboration n’est pas une condition d’octroi pouvant avoir pour conséquence la privation du droit. Dès lors que les éléments sont communiqués, permettant au Centre de statuer sur le droit à l’aide sociale, celle-ci doit être octroyée pour toute la période passée si les conditions requises sont réunies, même tardivement, pour celle-ci. Une période passée, qui n’a pas été documentée à suffisance, au moment où le C.P.A.S. statue, peut cependant faire l’objet de l’octroi de l’aide sociale si les éléments demandés sont communiqués tardivement, et ce quel que soit le moment où ils sont reçus.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be