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Incapacité permanente dans le secteur des maladies professionnelles et prépension

C. trav. Liège (div. Liège), 17 mars 2020, R.G. 2017/AL/692

Mis en ligne le mardi 15 septembre 2020


Dans un arrêt du 17 mars 2020, la cour du travail de Liège (division Liège) tranche la question de la prise en compte de la prépension dans les facteurs socio-économiques à évaluer lors de la détermination de l’incapacité permanente suite à une maladie professionnelle : pour la cour, ce facteur doit être neutralisé.

Les faits

Le demandeur originaire s’était vu reconnaître une maladie professionnelle de la liste, pour laquelle il a été indemnisé au taux de 3% (soit 2% plus 1% de facteurs socio-économiques) depuis 2002. Une demande en aggravation a été introduite en mars 2014, le taux étant porté à 5% (4% plus 1%). Le point de départ de cette aggravation correspond à un élément d’ordre médical.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail de Liège (division Liège) en vue de faire admettre un taux de 12% (à majorer des facteurs socio-économiques).

La décision du tribunal

Après avoir désigné un expert, dont le rapport a été déposé au greffe du tribunal le 4 janvier 2017, le tribunal a entériné ses constatations par jugement du 13 juin 2017, l’expert ayant conclu à une incapacité globale de 14% (8% plus 6%). Les éléments de discussion avaient en effet fait apparaître un taux aggravé de 8% (par globalisation des lésions des membres supérieurs tant articulaires que tendineuses), des atteintes multifocales étant par ailleurs particulièrement développées au niveau des épaules et plus légèrement au niveau des coudes et des poignets.

L’appel

FEDRIS a interjeté appel de cette décision. L’appel porte essentiellement sur les facteurs socio-économiques, qui ont été fixés à 6%, alors qu’ils devraient être réduits à 1%. FEDRIS fait également grief au tribunal d’avoir omis de statuer sur la rémunération de base et sollicite la suspension du cours des intérêts pendant 22 mois environ (soit une période postérieure au dépôt de la requête d’appel, une ordonnance rendue sur pied de l’article 747 du Code judiciaire étant intervenue près de dix-huit mois après l’introduction).

Quant aux parties intimées (le demandeur originaire étant décédé entre-temps), elles demandent de faire acter leur reprise d’instance et de confirmer le jugement, tout en fixant le salaire de base.

La décision de la cour

Sur la recevabilité de la reprise d’instance, la cour reprend l’article 64 bis des lois coordonnées le 3 juin 1970 relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, qui fixe l’ordre de dévolution des ayants-droit. Seule est considéré recevable la reprise d’instance faite par l’épouse, avec qui la victime cohabitait.

Sur le fond, la cour reprend les principes, en ce qui concerne la définition de l’incapacité permanente. Avec force renvois à la doctrine et à la jurisprudence, elle rappelle qu’à côté de l’atteinte à l’intégrité physique, il y a lieu de tenir compte de la condition et de la formation de la victime au regard du marché général de l’emploi, étant que des facteurs économiques propres à la victime interviennent, étant son âge, sa qualification professionnelle, sa faculté d’adaptation, sa possibilité de rééducation professionnelle ainsi que sa capacité de concurrence sur le marché général de l’emploi (à l’exclusion de toute évolution conjoncturelle de l’économie). Par ailleurs, elle souligne qu’il ne peut être tenu compte des possibilités d’adaptation du poste de travail en fonction du handicap présenté.

Elle relève aussi, sur le critère de l’âge – et renvoyant ici à la législation sur les accidents du travail – que ce facteur est pris en compte en ce qu’il a de l’influence sur les capacités concurrentielles et non dans sa diminution d’accès effectif au marché du travail compte-tenu de la conjoncture économique. Ainsi, plus l’âge avance, plus l’incidence de ce critère impactera, en principe, l’incapacité de travail dès lors que la faculté d’adaptation, de rééducation professionnelle et la faculté de concurrence se réduisent. Il y a ici renvoi à la doctrine (la cour citant D. DESAIVE et M. DUMONT, « L’incapacité, l’invalidité et l’appréciation de la perte d’autonomie en sécurité sociale des travailleurs salariés et indépendants ainsi qu’en risques professionnels. Comment évaluer l’aspect médical ? », in Regards croisés sur la sécurité sociale, Cup. 2012, ANTHEMIS, p. 352 à 365 et 375).

Pour ce qui est de la prise en compte de la prépension, elle souligne que cet élément n’est pas prévu dans la loi mais que la jurisprudence tient, cependant, dans certaines décisions, compte de ce facteur.

Pour les victimes ayant atteint l’âge de 65 ans, des règles spécifiques figurent dans la loi. À l’heure actuelle, et ce depuis la modification intervenue par la loi-programme (1) du 23 décembre 2009, en cas de modification ou de maintien du taux d’incapacité physique après 65 ans, le taux des facteurs socio-économiques ne peut être modifié et, si l’incapacité permanente n’est déterminée qu’après cet âge, les facteurs socio-économiques ne sont plus pris en compte.

La cour précise ne pas suivre la jurisprudence qui tient compte du facteur prépension pour diminuer le taux des facteurs socio-économiques, au motif que la victime en situation de prépension serait effectivement exclue du marché de l’emploi. Elle rappelle que le régime de la prépension est assimilable à la situation du demandeur d’emploi dès lors que le bénéficiaire peut y renoncer et reprendre un emploi rémunéré.

Le critère légal est l’âge de 65 ans et non l’effectivité du bénéfice du statut de prépension ou de pension.

Le marché général du travail est celui qui reste potentiellement (la cour souligne) accessible à la victime jusqu’à l’âge de 65 ans, et ce qu’elle soit au travail, en chômage, en « prépension », en crédit-temps, à charge de l’assurance maladie, … qui sont des situations temporaires.

Analysant l’application de ces principes dans le cas d’espèce, la Cour conclut, reprenant le contexte du dossier, que les facteurs socio-économiques sont de 4%. Elle rappelle encore que la situation de prépension est neutralisée. Ce taux s’ajoute au taux d’incapacité physique de 8%, le total étant dès lors de 12%.

Pour ce qui est de la demande de suspension du cours des intérêts, la cour souligne que le décès de l’intéressé est une donnée factuelle qui peut expliquer les difficultés de procédure et les délais, et ce notamment vu la question de la reprise d’instance.

Enfin, un dernier point de discussion portant sur les dépens, en particulier l’indemnité de procédure, la cour constate que la partie intimée demande l’indemnité doublée, eu égard à l’enjeu du litige supérieur à 2.500,00 €, FEDRIS considérant par contre que l’affaire est non évaluable en argent.

Elle donne la solution suivante : l’indemnité de procédure applicable aux instances mues devant la cour du travail est de 174,94 € pour les litiges non évaluables en argent et de 349,80 € pour ceux dont l’enjeu est supérieur à 2.500,00 € et dans la mesure où l’arrêté royal du 26 octobre 2007 renvoie aux dispositions du Code judiciaire relatives à la détermination de la compétence et du ressort, les règles applicables sont fixées au Code judiciaire en son article 561, concernant les pensions alimentaires, qui prévoit que pour la détermination de l’indemnité de procédure le montant de la demande est calculé en fonction du montant de l’annuité ou de douze échéances mensuelles. Cette disposition concerne non seulement les pensions alimentaires mais également les rentes perpétuelles ou viagères. Pour la Cour, tel est le cas en l’espèce et les éléments permettent de conclure que l’enjeu est supérieur à 2.500,00 €.

Intérêt de la décision

Un élément important au cœur du raisonnement de la cour est la prise en compte de la prépension, dans les facteurs socio-économiques devant intervenir pour la fixation du taux de l’incapacité permanente. La cour rappelle à juste titre que cet élément ne figure pas dans la loi, une partie de la jurisprudence en tenant cependant compte. La cour s’écarte de ces décisions, considérant que la seule disposition légale modifiant la prise en compte des facteurs socio-économiques est relative à l’âge de 65 ans, l’article 35 bis des lois coordonnées ayant d’ailleurs été modifié à plusieurs reprises à cet égard.

Avant cet âge, toutes les situations ne sont que temporaires, comme la cour le souligne : situation de travail, de chômage, de « prépension », de crédit-temps, de prise en charge par l’A.M.I…Il n’y a dès lors pas lieu d’en tenir compte dans l’évaluation des facteurs socio-économiques.

Sur la question de la prépension (ou pension anticipée), l’on peut utilement renvoyer à un arrêt de la cour du travail de Liège (division Liège) du 8 novembre 2017 (R.G. 2017/AL/245) qui a conclu, dans l’hypothèse de la survenance d’une incapacité permanente alors que la victime était depuis des années en « prépension » que ce critère devait être rejeté dans l’évaluation des facteurs socio-économiques.

Cette position est partagée dans la jurisprudence récente et l’on peut encore se référer à la position de la cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 27 juin 2017, R.G. 2016/AM/352), qui a précisé que cette circonstance a cependant une incidence sur l’évaluation des facteurs socio-économiques lorsque le travailleur n’a pas l’intention de rester actif sur le marché du travail.

Enfin, dans un arrêt du 10 mai 2010 (C. trav. Brux., 10 mai 2010, R.G. 2008/AB/50.790), la cour du travail de Bruxelles avait pour sa part jugé que la pension anticipée ne fait pas obstacle à une activité professionnelle et que la prise en compte des facteurs socio-économiques est dès lors justifiée nonobstant la prise de cours de celle-ci.


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