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Conditions d’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Verviers), 21 février 2020, R.G. 16/1.478/A

Mis en ligne le lundi 28 septembre 2020


Tribunal du travail de Liège (division Verviers), 21 février 2020, R.G. 16/1.478/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 21 février 2020, le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) rappelle les conditions d’assujettissement au statut social, dès qu’une activité est exercée de manière régulière, dans un but de lucre, sur le territoire belge.

Les faits

L’I.N.A.S.T.I. demande en avril 2016 à un prestataire de s’affilier au statut social des travailleurs indépendants, pour une activité exercée entre février 2011 et mars 2014. Celui-ci ne réagissant pas, une décision d’affiliation d’office est prise en août 2016 par la C.N.A. (Caisse nationale auxiliaire) après que l’intéressé eut été invité par voie recommandée à effectuer les démarches en vue de l’affiliation.

L’affiliation d’office est contestée et la caisse réagit en modifiant la période, qu’elle élargit de février 2010 à septembre 2015. Une demande de paiement de cotisations de l’ordre de 11.700 euros est adressée, la décision d’affiliation portant, selon les périodes, sur la qualité d’indépendant à titre complémentaire ou à titre principal.

En conséquence de cette décision, l’ONEm exclut l’intéressé du bénéfice des allocations de chômage, le 7 décembre 2016, et ce pour la période de février 2011 à mars 2014, demandant pour sa part la récupération d’un montant de l’ordre de 18.700 euros d’allocations indues. Il prit par ailleurs une sanction d’exclusion de 26 semaines.

Un dossier répressif ouvert près de l’auditorat fut classé en février 2017, le motif donné étant de réserver la priorité à la voie civile.

L’intéressé déposa, alors, plainte auprès des services de police au motif d’usurpation d’identité. Ce dossier fut également classé sans suite, au motif de charges insuffisantes.

Deux recours sont introduits devant le Tribunal du travail de Liège contre l’I.N.A.S.T.I., contestant l’assujettissement d’office (l’ONEm n’étant pas partie à la présente cause).

La position des parties devant le tribunal

Le demandeur considère ne pas avoir exercé d’activité, contestant les faits qui lui sont imputés (indice d’exercice donné par la gérante d’une S.P.R.L., étant des dépôts (métaux) en nombre très important, l’intéressé n’en admettant que quelques-uns). Il conteste également la motivation de la décision administrative et fait valoir un argument de prescription.

L’I.N.A.S.T.I. estime pour sa part qu’en matière d’assujettissement et de recouvrement de cotisations sociales, s’agissant d’une compétence liée suite à l’application de dispositions d’ordre public, la loi du 29 juillet 1999 a une portée limitée. Sur les faits, l’Institut constate que, l’intéressé n’ayant pas contesté s’être rendu à plusieurs reprises au siège de la société, il a perçu des fonds importants pour les dépôts qu’il y a effectués, ceci justifiant l’assujettissement. La preuve de ces activités figure dans le relevé effectué par la société. Enfin, sur la prescription, il y a eu mise en demeure recommandée interrompant celle-ci.

La décision du tribunal

Le tribunal, rappelant les exigences de motivation contenues dans la loi du 29 juillet 1991, constate que la décision d’assujettissement (ou plutôt – selon jugement – l’absence de décision formelle d’assujettissement) ne répond pas aux exigences de motivation posées par la loi du 29 juillet 1991 à laquelle elle est soumise. La décision d’affiliation d’office est en effet de nature à produire des effets juridiques pour l’intéressé et aurait dû être motivée en fait et en droit, étant qu’elle devait contenir les considérations de droit, plus particulièrement les règles juridiques appliquées et les éléments de fait servant au fondement de la décision prise. La motivation devait en sus être adéquate, étant qu’un rapport de proportionnalité entre l’importance de la décision et sa motivation devait figurer. Il s’agit d’une formalité substantielle et d’ordre public. A défaut de respect de ces règles, et vu notamment les conséquences financières de la décision administrative, le tribunal considère qu’elle est illégale et qu’elle doit être annulée. Il exerce cependant son pouvoir de substitution, sur le fond du litige, conformément à l’article 581, 1°, du Code judiciaire. Il vérifie donc si les conditions relatives à l’assujettissement sont remplies.

Les dispositions légales examinées sont l’article 3, § 1er, de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967, ainsi que l’article 9 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967 portant règlement général en exécution du précédent, ainsi que l’article 36 de ce dernier. Ces dispositions contiennent les règles d’assujettissement, ainsi que du type d’assujettissement en cause.

Sur le plan de la preuve, le tribunal rappelle que celle-ci est dans le camp de l’I.N.A.S.T.I., qui doit établir que l’intéressé rencontre les conditions requises en vue de l’affiliation. Trois conditions existent, étant que l’activité exercée doit l’être dans un but de lucre, même si elle ne produit pas de revenus (avec renvoi à Cass., 2 juin 1980, n° XXX), qu’elle doit présenter un caractère habituel, ceci signifiant qu’est requise l’existence d’un ensemble d’opérations liées entre elles, répétées et accompagnées de démarches en-dehors d’un lien de subordination, et, enfin, elle doit être localisée en Belgique.

Le critère sociologique de la définition du travail indépendant a la primauté par rapport au critère fiscal, le tribunal soulignant que telle est la position de la jurisprudence constante sur la question (et renvoyant à la jurisprudence de la Cour du travail de Mons essentiellement, étant C. trav. Mons, 14 juin 2013, R.G. 2011/AM/248 et 2012/AM/378 et C. trav. Mons, 11 janvier 2013, R.G. 2012/AM/140).

Sur le fond, il examine l’existence des dépôts, contestés par l’intéressé. La matière de la collecte de matériaux (vieux métaux) fait l’objet d’une loi (à l’époque) du 29 décembre 2010 et d’un arrêté royal d’exécution du 24 mai 2011 relatif aux modalités d’identification et d’enregistrement lors de l’achat de vieux métaux. Des obligations sont reprises en cas d’achat en l’espèce, étant que l’entreprise qui achète doit procéder à l’identification et à l’enregistrement des personnes physiques qui déposent des métaux, parmi d’autres vérifications. L’identification prévue est réalisée à partir du nom, du prénom et de la date de naissance.

Les obligations légales n’ont nullement été respectées en l’espèce et le tribunal constate en outre l’absence de tout paiement bancaire. Il vérifie dès lors la force probante des pièces fournies et l’examen attentif des pièces permet de conclure à l’existence de divers dépôts effectués. Se pose cependant la question du caractère professionnel de l’activité, eu égard aux conditions exigées par l’arrêté royal n° 38. Pendant une période déterminée (de février 2010 à décembre 2012 et d’octobre 2013 à mars 2014), il est constaté que les dépôts de métaux étaient accomplis de façon continue et habituelle et qu’ils ont été effectués dans un but de lucre. Le montant global perçu est, selon l’avis de l’auditorat, supérieur à 38.000 euros.

Il s’agit dès lors d’une activité à caractère professionnel, pour laquelle il y a lieu à assujettissement pour la période correspondante.

Enfin, sur le type d’assujettissement, le tribunal considère être dans l’impossibilité de se prononcer, vu que le recours ONEm est toujours pendant devant la même juridiction. Il est dès lors sursis à statuer sur la question de savoir si l’assujettissement doit intervenir à titre principal ou à titre complémentaire.

Le principe est cependant maintenu de l’exercice d’une activité professionnelle pendant les deux périodes ci-dessus.

Intérêt de la décision

Le tribunal rappelle, en premier lieu, le champ d’application de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs ainsi que la définition d’acte administratif. Il y a, en l’espèce, lieu d’appliquer la loi, dont il rappelle non seulement qu’elle contient une formalité substantielle et est d’ordre public, mais également que la motivation requise doit avoir un rapport de proportionnalité, eu égard à l’importance de la décision, et ce eu égard aux conséquences de celle-ci.

Pour ce qui est de la définition du travailleur indépendant, existent deux approches, l’une étant le critère fiscal (non actionné dans la présente affaire, eu égard essentiellement à la circonstance que l’activité n’a pas fait l’objet de suite sur le plan fiscal) et l’autre le critère sociologique, qui a la primauté sur le précédent.

Dans la mesure où une activité est exercée dans un but de lucre, qu’elle a un caractère habituel (étant développée en l’absence d’un lien de subordination) et qu’elle est localisée en Belgique, les éléments requis pour l’assujettissement sont présents.

Les éléments de fait de l’espèce examinés par le tribunal étant, comme ceci a été souligné à diverses reprises, particulièrement flous, il a néanmoins dû être conclu, malgré les défaillances de la société acheteuse concernant ses obligations en matière d’achat de cuivre, que celles-ci ont bel et bien existé et que l’activité est avérée, de façon régulière, pendant deux périodes déterminées. L’assujettissement intervient dès lors pour celles-ci.


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