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Accident du travail : remboursement de l’indu

Trib. trav. Liège (div. Verviers), 20 février 2020, R.G. 18/190/A

Mis en ligne le lundi 28 septembre 2020


Dans un jugement du 20 février 2020, le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 11 juin 2007, selon lequel le paiement obligatoire d’avances visé à l’article 63, § 4, de la loi du 10 avril 1971 est effectué dans l’attente de la détermination des sommes définitivement dues à la suite de l’accident du travail et doit être imputé sur celles-ci et remboursé dans la mesure où il excède les sommes définitivement dues.

Les faits

Dans le cadre de l’indemnisation des séquelles d’un accident du travail, une compagnie d’assurances (loi) propose un accord-indemnité, dans lequel elle fixe une date de consolidation (13 septembre 2007) ainsi qu’un taux d’incapacité permanente partielle (10%). L’indemnisation est intervenue sur cette base. Une procédure a néanmoins été engagée et un expert a été désigné par le tribunal. Des conclusions différentes ont été tirées par l’expert, étant que l’incapacité temporaire totale a été suivie d’une incapacité temporaire partielle et que la date de consolidation ne peut intervenir que le 1er août 2014, le taux d’I.P.P. étant de 12%.

Ces conclusions ont été entérinées par jugement, le tribunal ayant réservé à statuer sur une demande de répétition de l’indu.

L’assureur considère en effet que les avances qui ont été faites depuis 2007 sur la base d’un taux de 10%, conformément à l’article 63, § 3, de la loi sur les accidents du travail, l’a obligé à payer à titre d’avance les indemnités sur la base du taux d’I.P.P. qu’elle avait fixé.

Ayant ordonné la réouverture des débats aux fins de statuer sur le salaire de base, le tribunal a rendu un second jugement, le 21 décembre 2017. Celui-ci omettait cependant de préciser la surséance à statuer en ce qui concerne la demande de récupération d’indu, pourtant reprise dans le premier jugement.

Une nouvelle procédure a dès lors été introduite par l’assureur sur pied de l’article 794 du Code judiciaire (interprétation, rectification ou réparation de l’omission d’un chef de demande).

Le tribunal ne statue, dès lors, que sur cette question.

Position des parties devant le tribunal

Position de la victime (défenderesse)

La victime invoque la prescription de la demande.

Elle considère que le point de départ de l’action en récupération débute au paiement des indemnités, le dernier étant intervenu en juillet 2014 et la demande en répétition de l’indu ayant été formée le 27 mars 2018, soit plus de 3 ans après ce dernier paiement.

Position de la demanderesse

La demanderesse, qui a introduit sa demande dans ses conclusions après expertise en avril 2016, conteste l’argument de prescription. Le point de départ du délai de 3 ans est, selon elle, à titre principal fixé au moment où le tribunal a considéré que l’indemnisation était inférieure à la proposition de l’assureur. Subsidiairement, c’est le dépôt du rapport de l’expert qui est pris comme point de départ (février 2016).

La décision du tribunal

Après le rappel du délai de prescription spécifique à la matière (délai de 3 ans prévu à l’article 69 de la loi du 10 avril 1971, tant pour l’action en paiement des indemnités que pour celle en répétition de l’indu), le tribunal constate que le point de départ lui-même n’est pas fixé dans la loi. Les règles générales figurent dans le Code civil, dont les articles 1376 et 1377 règlent d’une part l’obligation pour celui qui a reçu par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû de le restituer et, d’autre part, le droit pour la personne qui se croyait débitrice à acquitter une dette de répéter celle-ci contre le créancier.

La jurisprudence de plusieurs cours du travail a posé le principe que le point de départ de l’action en répétition de l’indu est le paiement et non le moment où l’indu est révélé (avec renvoi à l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 22 août 2013, R.G. 2011/AB/997 et à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 11 mai 2016, R.G. 2008/AM/21.064). Ce dernier renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 4 février 1980, n° XXX et Cass., 16 mars 2015, n° XXX), qui a consacré la thèse de la naissance du droit.

Dès lors, en l’espèce, que les paiements ont été effectués à partir de septembre 2007, le délai de prescription naît à ce moment. En conséquence, vu le dépôt des conclusions le 29 avril 2016, la période antérieure au 29 avril 2013 est prescrite.

Quant à la question de savoir si les montants versés constituent un indu, le tribunal rappelle la distinction faite dans certaines décisions entre une demande de remboursement relative à l’incapacité temporaire (qui est un élément de fait) et l’incapacité permanente (avec renvoi au même arrêt de la Cour du travail de Mons).

L’absence de caractère indu du paiement des allocations journalières repose sur la considération que la durée de l’incapacité de travail est un élément de fait qui peut être reconnu par un paiement, ce qui n’est pas le cas pour le taux de l’indemnisation de l’incapacité permanente, pour laquelle il n’y a pas de reconnaissance de fait mais paiement sur la base d’une obligation légale (l’article 63, § 4, L.A.T.). Renvoi est fait à l’arrêt de la Cour de cassation du 11 juin 2007 (Cass., 11 juin 2007, n° S.06.0090.N) dont un extrait est repris, étant que « le paiement obligatoire d’avances visé à l’article 63, § 4, de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail est effectué dans l’attente de la détermination des sommes définitivement dues à la suite de l’accident du travail, doit être imputé sur ces sommes et doit être remboursé, dans la mesure où il excède les sommes définitivement dues ». Cet arrêt a amené la doctrine (G. MASSART, « La décision de récupération de l’indu et la prescription », Regards croisés sur la sécurité sociale, C.U.P., 2012) à considérer sur cette question que la Cour suprême a confirmé le droit pour l’assureur-loi de récupérer les sommes allouées au titre d’avances sur la base de l’article 63, § 4, de la loi du 10 avril 1971 (un autre point de droit étant la non-application de l’article 17 de la Charte social à cette demande de remboursement).

Le tribunal admet, en conséquence, qu’une distinction doit être faite entre le sort de l’incapacité temporaire et celui de l’incapacité permanente, les avances faites dans le cadre de l’article 63, § 4, de la loi n’impliquant pas une reconnaissance du droit, mais étant une obligation légale.

L’indu est dès lors confirmé. Il est limité à la période de 3 ans avant le dépôt des conclusions contenant la demande de répétition.

Intérêt de la décision

La question du remboursement de sommes versées par l’assureur avant le règlement définitif des séquelles a interpellé les juridictions à plusieurs reprises.

Dans un important arrêt du 11 juin 2007, la Cour de cassation a pris position sur la non-application des articles 17 et 18 de la Charte de l’assuré social dans ce cas de figure.

Elle a considéré que la décision qui détermine l’étendue des droits à la suite d’une décision provisoire sur ceux-ci ne constitue pas une nouvelle décision au sens des articles 17 et 18. Cette décision ne rectifie en effet pas une erreur de droit ou une erreur matérielle.

La Cour de cassation a par ailleurs précisé textuellement que le paiement des avances faites à l’article 63, § 4, est un paiement obligatoire et qu’il est effectué dans l’attente de la détermination des sommes définitivement dues. Il « doit être imputé sur ces sommes et doit être remboursé, dans la mesure où il excède les sommes définitivement dues ». L’on peut rappeler que l’article 63, § 4, vise l’obligation pour l’assureur de payer à titre d’avance l’allocation journalière ou annuelle visée aux articles 22, 23, 23bis ou 24 sur la base du taux d’incapacité permanente (ou du degré de nécessité de l’assistance régulière d’une autre personne) proposé par elle.

La Cour de cassation s’est ainsi prononcée dans cet arrêt du 20 juin 2007 sur l’obligation de rembourser l’excédent de l’indemnisation perçu sur la base d’un paiement de l’assureur avant le règlement définitif des séquelles. Pour ce qui est de l’incapacité temporaire, la jurisprudence de la Cour dans son arrêt du 22 février 1999 (Cass., 22 février 1999, n° S.98.0035.N) est toujours d’actualité, étant que la durée de l’incapacité de travail de la victime d’un accident du travail est un élément de fait, bien que l’indemnité légalement due en cas d’accident soit calculée sur la base de celle-ci ; ni les articles 6, 23 et 24 de la loi du 10 avril 1971 ni les articles 6, 1131 et 1333 du Code civil ne font obstacle au caractère obligatoire de la reconnaissance par l’assureur-loi de la durée de cette incapacité. N’est pas un indu, à savoir un paiement dépourvu de cause (article 1235, alinéa 1er, du Code civil) le paiement qui trouve sa cause soit dans la reconnaissance de la durée d’une incapacité totale de travail du fait de laquelle les paiements sont en principe dus, soit dans la disposition de l’article 63, § 4, alinéa 1er, de la loi du 10 avril 1971, en vertu duquel, en cas de contestation sur la nature ou le degré d’incapacité de travail, l’assureur est tenu d’avancer à celle-ci l’indemnité journalière ou l’allocation annuelle visée aux articles 22, 23, 23bis ou 24, sur la base du degré d’incapacité de travail présenté par lui (version de la loi à l’époque où la cour) a tranché.


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