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Remboursement de frais forfaitaires : inclusion ou non dans l’indemnité compensatoire de préavis

Trib. trav. Liège (div. Namur), 17 février 2020, R.G. 18/1.077/A

Mis en ligne le mardi 29 septembre 2020


Dans un jugement du 17 février 2020, le Tribunal du travail de Liège (division Namur) admet la possibilité de cumul du remboursement par l’employeur de frais exposés par le travailleur sur la base de justificatifs, avec l’octroi d’une indemnité forfaitaire mensuelle.

Les faits

Suite à son licenciement intervenu avec effet immédiat moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, et ce au motif d’une « réorganisation », un employé, occupant les fonctions de responsable R&D (Etude et Méthode) d’une entreprise de construction, introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Liège (division Namur). Il a, après son licenciement, contesté le motif, exposant qu’il aurait reçu l’assurance de sa hiérarchie que la réorganisation ne l’affecterait pas dans son emploi. Dans sa réponse à la demande de communication des motifs concrets du licenciement, la société confirme le motif invoqué, étant qu’une réorganisation d’envergure est intervenue, vu l’intégration de ses activités au sein de celles d’un groupe (réalisation d’un autre type de construction en Région flamande, centralisation des tâches du marketing, administratives et financières ayant abouti à la création d’un centre de compétences partagé en Flandre).

La société fait également valoir la spécificité de la fonction de l’intéressé.

Chacune des parties restant sur sa position, le tribunal du travail a été saisi de plusieurs chefs de demande.

Les demandes

Le premier chef de demande concerne une indemnité complémentaire de préavis, la durée de celui-ci n’étant pas contestée, mais bien le quantum de l’indemnité.

Le deuxième chef de demande porte sur une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, au sens de la C.C.T. n° 109.

Vient ensuite une demande de dommages et intérêts du chef de licenciement abusif.

Enfin, est demandé le paiement de primes pour les années 2016 et 2017.

La décision du tribunal

Sur le chef de demande relatif à un complément d’indemnité compensatoire de préavis, le tribunal constate que, pour le demandeur, doivent intervenir dans le calcul de la rémunération de base, l’évaluation d’un GSM et de son ordinateur portable, ainsi que du véhicule de société, et encore une indemnité pour frais propres et un quatorzième mois.

Pour ce qui est du GSM et de l’ordinateur portable, le tribunal fixe le montant des deux avantages à 100 euros par mois. Il précise qu’en l’absence de stipulation contractuelle interdisant l’usage privé de l’ordinateur portable, il doit être admis (par présomption) que l’usage privé en était autorisé. Il se réfère pour ce à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 16 juin 2007 (C. trav. Bruxelles, 16 juin 2007, J.T.T., 2007, p. 405). Le véhicule (BMW ou Volvo), évalué à 450 euros par mois, est confirmé.

Pour ce qui est de l’indemnité pour frais propres à l’employeur, le tribunal retient que les parties avaient conclu une convention prévoyant l’octroi à l’intéressé d’une somme mensuelle de 182,50 euros au titre d’indemnité de frais forfaitaires propres à l’employeur. Par ailleurs, d’autres dépenses étaient remboursées sur pièces justificatives.

Le tribunal considère que, dans cette hypothèse, eu égard à l’article 39, § 1er, alinéa 2, LC.T. (qui prévoit que le montant de l’indemnité compensatoire de préavis doit être égal « à la rémunération en cours »), la rémunération est constituée de l’ensemble des avantages évaluables en argent auxquels le travailleur peut prétendre à charge de son employeur, qui constituent la contrepartie du travail fourni et qui procurent un enrichissement au travailleur. Renvoi est ici fait à un autre arrêt de la Cour du travail de Bruxelles, celui-ci du 5 février 2014 (C. trav. Bruxelles, 5 février 2014, R.G. 12/AB/316).

Si le remboursement de frais n’est pas la contrepartie du travail mais la restitution de frais avancés par le travailleur, il ne s’agit pas de rémunération.

Cependant, une indemnité forfaitaire de frais alloués pour compenser les dépenses diverses auxquelles le travailleur est réellement exposé dans l’exercice de sa profession ne fait pas double emploi avec les remboursements de frais auxquels il a droit sur production de pièces justificatives. Le tribunal renvoie ici à un autre arrêt encore de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 22 décembre 2015, R.G. 2015/AB/70). Il n’y a dès lors pas lieu de l’inclure dans la base de calcul de l’indemnité de préavis.

En l’espèce, la convention signée prévoit que ce forfait couvre les dépenses de toute nature (frais de téléphone, tickets de parking, café, collations, petit outillage, etc.) nécessitées par la fonction directoriale exercée par l’intéressé.

Eu égard à la qualité de directeur du demandeur, et s’agissant de menues dépenses qu’il devait exposer et pour lesquelles il est, pour le tribunal, inhabituel voire impossible d’obtenir une pièce justificative, ce montant est à retenir comme un remboursement de frais non rémunératoire, d’autant qu’il n’est pas exagéré.

Le cumul avec d’autres remboursements ne fait dès lors pas obstacle à cette qualification.

Enfin, le tribunal retient l’inclusion d’un quatorzième mois contractuel.

Sur le deuxième poste, étant l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, il constate qu’une réorganisation fondamentale s’est opérée au sein de la société et qu’il y a eu de nombreux changements dans le « management team ». A l’époque du licenciement, l’intéressé était en incapacité de travail depuis plusieurs mois et sa fonction, dans la nouvelle structure, était essentielle voire cruciale. Le tribunal suit la position de la société selon laquelle il y avait absolue nécessité d’un manager responsable pour son secteur Recherche et Développement disponible pour la guider dans le processus de réorganisation en cours.

Vu le caractère primordial de la fonction, le tribunal conclut que la société a exercé son pouvoir de gestion, en l’espèce exercice prudent et pertinent.

Vu l’existence d’un motif de licenciement lié aux nécessités de l’entreprise, le tribunal conclut par ailleurs qu’il n’y a pas d’abus de droit de licenciement, la société n’ayant pas manqué d’égards ou de respect vis-à-vis de l’intéressé.

Enfin, il fait droit à la demande des primes contractuelles réclamées.

Intérêt de la décision

Le caractère rémunératoire des indemnités forfaitaires allouées dans le cadre de l’exécution du contrat est régulièrement questionné, eu égard à la rémunération de base de l’indemnité compensatoire de préavis. Son exclusion (ou son inclusion) est généralement une question de fait.

La particularité de l’espèce tranchée par le tribunal du travail dans ce jugement du 17 février 2020 est que l’intéressé avait à la fois une indemnité forfaitaire et un remboursement de frais spécifiques sur production de justificatifs.

Le tribunal a conclu qu’il était possible, eu égard à la fonction de l’intéressé et à la nature des « petits frais » couverts par l’indemnité forfaitaire, qu’elle corresponde à des frais avancés par le travailleur pour compte de l’employeur. Le cumul avec le remboursement d’autres frais – ceux-là avec justificatifs – est dès lors admis.

Sur la question, le tribunal a renvoyé à plusieurs arrêts de la Cour du travail de Bruxelles.

L’on peut encore ajouter, à ceux-ci, deux décisions plus récentes.

Ainsi, dans un arrêt du 14 mars 2017 (C. trav. Bruxelles, 14 mars 2017, R.G. 2015/AB/124 ), la Cour du travail de Bruxelles a considéré que constitue une rémunération déguisée à prendre en compte pour le calcul de l’indemnité de préavis l’indemnité forfaitaire de frais payée à un travailleur dont la fonction, d’une part, ne l’amène pas à visiter ou rencontrer la clientèle - de telle manière que l’existence de frais de représentation n’est pas justifiée - et, d’autre part, n’est pas de nature à rendre vraisemblable que, en raison de l’exécution de son contrat, l’intéressé aurait dû disposer d’un bureau à domicile ou exposer des frais liés à l’usage du véhicule de société, tels, par exemple, des frais de parking.

De même, dans un arrêt du 21 mars 2017 (C. trav. Bruxelles, 21 mars 2017, R.G. 2015/AB/783), elle a jugé que le fait que la société paie à un cadre réellement exposé à des frais (de voyage, de restaurant, de représentation) dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail une indemnité forfaitaire mensuelle dont le versement est maintenu, probablement pour des raisons de simplicité, pendant des périodes d’inactivité au cours desquelles elle n’était pas due, ne suffit pas pour en déduire qu’il ne s’agissait pas d’une indemnité de frais, mais d’une rémunération déguisée faisant partie du salaire de base pour le calcul de l’indemnité de préavis.


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