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Retrait de l’agrément d’une société de titres-services : conséquences sur le contrat de travail

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 10 février 2020, R.G. 18/2.534/A

Mis en ligne le mardi 13 octobre 2020


Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), 10 février 2020, R.G. 18/2.534/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 10 février 2020, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) examine la situation d’une travailleuse dans le secteur des titres-services, après le retrait de l’agrément de la société et le refus de l’ONEm de reconnaître la situation comme ouvrant le droit au chômage temporaire pour force majeure.

Les faits

Une société de titres-services fait l’objet en mai 2018 d’un refus d’agrément. Cette décision prise par le Ministre de l’emploi et de la formation du Gouvernement wallon est contestée devant le Conseil d’Etat. Le recours est toujours en cours en février 2020. Entre-temps, la société a effectué des déclarations de chômage temporaire pour force majeure pour ses travailleuses, l’ONEm les ayant, cependant, rejetées à deux reprises. Un recours est également pendant devant le tribunal du travail.

L’organisation syndicale d’une travailleuse prend contact avec la société suite au refus de l’ONEm, signalant que, le refus d’agrément ne suspendant pas le contrat de travail, l’employeur était tenu d’indemniser les salaires sur base contractuelle.

Pour la société, il s’agit cependant d’un cas de force majeure, celle-ci signalant regretter la situation. Les discussions se poursuivant infructueusement, une des travailleuses introduit un recours devant le tribunal du travail, après avoir dénoncé un acte équipollent à rupture, au motif que l’employeur restait en défaut de fournir le travail et de payer les rémunérations.

La décision du tribunal

La demanderesse faisant état d’une force majeure d’une part et d’un acte équipollent à rupture de l’autre, le tribunal examine successivement ces deux cas de figure.

Il rappelle les règles civilistes de la force majeure et leur application en droit du travail. En ce qui concerne les conséquences de celle-ci, le constat de rupture pour force majeure ne donne lieu ni à un préavis ni à une indemnité compensatoire si le constat est posé à bon escient. Sur le plan des règles de preuve, la charge de la preuve repose sur l’employeur, le tribunal relevant que le travailleur n’a pas à établir une faute dans le chef de celui-ci. C’est en effet celui qui se prétend libéré de son obligation qui doit établir l’existence d’un cas de force majeure. Dans la mesure où le retrait d’agrément n’a pas été reconnu par l’ONEm, le tribunal considère que la force majeure a été invoquée de manière irrégulière. La société est en conséquence redevable de dommages et intérêts équivalents au salaire perdu durant la suspension du contrat. Ceux-ci sont dus jusqu’à la rupture du contrat. Il souligne encore que, si la décision de retrait d’agrément était annulée par le Conseil d’Etat, la société pourrait encore le cas échéant se retourner contre l’autorité administrative.

Pour l’acte équipollent à rupture, dénoncé par la travailleuse, le tribunal reprend également les principes généraux, précisant qu’il appartient au juge du fond de se prononcer souverainement sur la question de fait, qui consiste à dire si la partie qui a manqué à ses obligations a exprimé sa volonté de rompre (avec renvoi à Cass., 26 février 1990, Chron. Dr. Soc., 1990, p. 273), cette volonté devant être appréciée en vertu des circonstances de fait propres à l’espèce. L’invocation d’un manquement débouchant sur un acte équipollent à rupture doit, selon la jurisprudence, faire l’objet d’une mise en demeure préalable, le tribunal rappelant deux anciens arrêts de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 5 janvier 1988, J.T.T., 1988, p. 379 et C. trav. Bruxelles, 10 janvier 1989, Chron. D. S., 1992, p. 80). En l’espèce, il n’y a jamais eu volonté dans le chef de l’employeur de rompre le contrat de travail et la mise en demeure exigée n’a pas été adressée en bonne et due forme. L’acte équipollent à rupture a dès lors été constaté de manière précipitée et irrégulière.

La demande introduite à titre subsidiaire suite à la rupture, portant sur des dommages et intérêts équivalents à l’indemnité compensatoire de préavis, est également rejetée, la demanderesse se bornant à préciser qu’elle « ne pouvait pas rester sans revenus et ne pouvait pas subir les désagréments de la décision de retrait dont elle n’était pas responsable ».

Le tribunal relève que d’autres voies existaient, étant une demande de résolution judiciaire avec demande d’octroi de dommages et intérêts, ou encore une demande d’allocations de chômage provisoires, nonobstant les décisions de refus de l’ONEm. En outre, il était loisible aux intéressées de contester elles-mêmes la décision devant les juridictions du travail.

L’employeur ayant pour sa part introduit une demande reconventionnelle à titre conservatoire limitée à un euro provisionnel au titre d’indemnité de rupture (et ce dans l’attente de la décision définitive relative au chômage temporaire pour force majeure), le tribunal la rejette par une double motivation : (i) par analogie l’article 37/7, § 1er, L.C.T., qui permet au travailleur de mettre fin au contrat de travail sans préavis en cas de suspension totale du contrat pour chômage économique ou intempéries lorsque la suspension dépasse un mois et (ii) le retrait d’agrément fait suite à des manquements constatés par l’Inspection sociale et n’est en rien imputable à la demanderesse, qui a subi les événements ayant conduit au constat de rupture du contrat. Pour le tribunal, la société ne peut prétendre à une indemnité de rupture, compte tenu de son propre comportement, à savoir le non-respect de la législation sur les titres-services.

Le tribunal alloue, en conséquence, des dommages et intérêts équivalents à la rémunération de la période faisant l’objet de la décision de refus de l’ONEm, étant le mois de juin et une partie du mois de juillet.

Intérêt de la décision

La situation examinée par le tribunal du travail est particulière, du fait du refus d’agrément intervenu. La société a introduit, manifestement, les recours qui devaient l’être (dont un recours en suspension pour extrême urgence auprès du Conseil d’Etat et un autre au fond, non encore tranché au moment où le tribunal du travail statue).

L’employeur était ainsi dans l’impossibilité de fournir du travail, cette impossibilité n’existant cependant pas sur le plan du paiement de la rémunération. Elle était, par ailleurs, très certainement temporaire, s’agissant d’infractions constatées par l’Inspection du travail, infractions auxquelles il eut pu être remédié pour l’avenir.

L’affaire s’est compliquée du fait de la position de l’ONEm – qui s’est inscrite dans le cadre du chômage temporaire (et non comme si la situation était définitive). Telle était également la position de l’employeur, puisque c’est à sa demande que le dossier de reconnaissance fut introduit.

Il est dès lors étonnant que la rupture du contrat ait été constatée peu de temps plus tard par la travailleuse, d’autant que – s’agissant d’un manquement grave de l’employeur (qui était en défaut à l’époque de payer les rémunérations et de faire travailler) – ce mode de rupture suppose la volonté de rompre. La figure juridique à laquelle la demanderesse a eu recours était, en conséquence, peu appropriée, ce que le tribunal n’a pas manqué de relever. Il faut encore souligner que la rupture n’a pas été dénoncée par l’une des parties sur pied de l’article 32 de la loi du 3 juillet 1978 (5°), mais par le recours à la théorie de l’acte équipollent à rupture, bien plus périlleuse.

Relevons enfin que, outre les pistes dégagées par le tribunal dans son jugement, existait également la possibilité d’introduire un référé devant le président du tribunal en paiement des rémunérations – vu le refus de l’ONEm d’indemniser dans le cadre du secteur chômage.


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