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Chômage pour cause économique : écartement des articles 40 et 42bis de l’arrêté royal chômage

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 mai 2020, R.G. 2018/AB/554

Mis en ligne le mardi 13 octobre 2020


Cour du travail de Bruxelles, 14 mai 2020, R.G. 2018/AB/554

Terra Laboris

Dans un arrêt du 14 mai 2020, la Cour du travail de Bruxelles confirme le jugement du Tribunal du travail francophone de Bruxelles qui a écarté, sur la base de l’article 159 de la Constitution, l’arrêté royal du 11 septembre 2016, ayant modifié les articles 40 et 42bis de l’arrêté royal organique, articles relatifs au droit aux allocations en cas de chômage pour cause économique.

Les faits

Un ouvrier sollicite le bénéfice d’allocations de chômage (cause économique), demande qui est refusée au motif qu’il ne réunit pas la condition relative à l’exigence de 312 jours de travail. Pendant sa période de référence, les journées de travail effectif et les journées assimilées donnent un total de 195.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Bruxelles. Celui-ci rend un jugement le 15 mai 2018, accueillant ce recours, le tribunal annulant la décision de l’ONEm au motif que l’arrêté royal du 11 septembre 2016 modifiant les articles 40 et 42bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et relatif à l’accès aux allocations de chômage devait être écarté. Pour le tribunal, celui-ci est source d’un traitement discriminatoire entre les travailleurs en chômage économique d’une part et les autres travailleurs en chômage temporaire de l’autre.

L’ONEm interjette appel de cette décision.

Position des parties devant la cour

L’ONEm considère que les deux situations ne sont pas comparables, à savoir d’une part les travailleurs en chômage temporaire (intempéries, force majeure, accident technique) et ceux en chômage économique. La première catégorie vise des situations externes à l’entreprise et aux travailleurs, alors que le manque de travail est une notion beaucoup plus subjective, dans laquelle intervient l’appréciation de l’employeur des conséquences des données économiques sur le fonctionnement de l’entreprise. L’ONEm rappelle qu’il ne peut exercer qu’un contrôle marginal sur la décision de l’employeur de recourir à ce type de chômage et qu’il ne peut substituer son appréciation à lui en ce qui concerne l’influence des motifs économiques sur l’activité.

Il plaide également que – à supposer que les deux catégories soient comparables –, la différence de traitement est raisonnablement justifiée, vu que le risque de fraude est beaucoup plus important en cas de chômage économique, le contrôle de l’ONEm ne pouvant être exercé qu’a posteriori. L’ONEm fait encore valoir que les abus en la matière sont nombreux et que des mesures ont été prises, successivement, pour freiner ou éviter un recours excessif au chômage économique. L’Office conteste en outre la position du demandeur originaire, qui fait valoir une violation du principe du standstill.

Quant au travailleur, qui postule la confirmation du jugement, il considère que la différence de traitement n’est pas raisonnablement justifiée, en tenant compte du but et des effets de la mesure. Il fait valoir que, lors de la modification de l’article 42bis, peu d’explications ont été données quant à l’objectif poursuivi par l’auteur de la norme, se référant à une note interne à l’ONEm, étant une note au Comité de gestion. Il rappelle la position du tribunal sur la question, étant que l’objectif poursuivi semble être double : d’une part réaliser des économies budgétaires et d’autre part lutter contre un risque spécifique, qui est le recours au chômage économique, recours fréquent, et notamment en cas d’occupation de travailleurs étrangers. Cependant, les éléments permettant de vérifier l’économie souhaitée sont manquants et, pour ce qui est des risques d’usage « impropre » du chômage économique, le demandeur originaire rappelle là encore la position du tribunal, étant que ceci repose sur « un risque désincarné », sans rapport avec un phénomène concret et quantifié.

La position de la cour

La cour commence par rappeler qu’un régime différent a été institué pour les travailleurs mis en chômage économique (qui ne peuvent être dispensés du stage que sous des conditions strictes) et les autres chômeurs temporaires (qui sont toujours dispensés du stage). Elle entreprend dès lors de vérifier si le principe d’égalité de traitement est ou non violé.

Pour ce qui est des catégories de personnes comparables, elle considère que cette première condition est remplie. Elle en veut notamment pour preuve qu’un arrêté royal du 30 mars 2020 visant à adapter les procédures dans le cadre du chômage temporaire dû au virus Covid-19 supprime cette condition de stage. Les chômeurs temporaires pour cause économique sont ainsi à nouveau assimilés aux autres, pouvant bénéficier des allocations de chômage sans que soit examinée la condition de stage. Cette mesure vaut jusqu’au 30 juin 2020.

Après avoir rappelé la position du premier juge – position qu’elle partage quant au caractère objectif du critère de distinction –, la cour en vient à l’examen de la justification raisonnable eu égard au but et aux effets de la mesure. Aucun élément objectif n’est avancé pour justifier l’économie budgétaire recherchée, étant d’ailleurs souligné dans la note au Comité de gestion que, vu la complexité administrative de la distinction, la mesure nouvelle entraînerait des frais de fonctionnement accrus. Par ailleurs, quant au deuxième objectif (augmentation de l’usage « impropre » du chômage économique), les rapports annuels publics de l’ONEm font apparaître pour la période de 2014 à 2017 une diminution du nombre de jours indemnisés et aucune explication n’est donnée quant à d’éventuelles fraudes profitant soit aux travailleurs et aux entreprises, soit essentiellement à ces dernières. En outre, la référence aux travailleurs étrangers (dont la cour relève qu’un pourcentage très important d’entre eux sont originaires de pays ayant adhéré à l’Union européenne) heurte le principe de la libre circulation.

Enfin, l’argument de la difficulté des contrôles est également rejeté, la cour déplorant encore in fine de son arrêt qu’aucun exemple concret n’est donné d’un abus qui aurait été constaté à ce titre.

Intérêt de la décision

Initialement, les chômeurs temporaires étaient – quel que soit le motif du chômage – admis aux allocations avec dispense de stage. La modification de la réglementation est intervenue par un arrêté royal du 11 septembre 2016 (entré en vigueur le 1er octobre 2016). Celui-ci a fait la distinction entre d’une part les travailleurs dont les prestations ont été temporairement réduites ou suspendues en application des articles 26, 28, 1°, 49 ou 50 de la loi du 3 juillet 1978, ainsi que de l’article 5 de la loi du 19 mars 1991, ou encore à la suite d’une grève ou d’un lock-out, et d’autre part les réductions ou suspensions temporaires prévues aux articles 51 ou 77/4 de la loi sur les contrats de travail (chômage économique).

Il y a dispense automatique de stage d’un côté, mais exigence de satisfaire à certaines conditions de l’autre.

C’est via l’examen habituel des règles posées par la Cour constitutionnelle ainsi que par la Cour de cassation dans une jurisprudence constante que la cour a vérifié la violation au principe d’égalité de traitement. L’on retiendra essentiellement, sur le test de proportionnalité entre les moyens employés et l’objectif visé, que, si l’objectif (double en l’espèce) a été explicité formellement, il n’est assis sur aucun élément d’analyse permettant aux juridictions du travail d’exercer le contrôle judiciaire. De ce constat, découle que la proportionnalité de la mesure ne peut être retenue.


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