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Chauffeurs de taxi : conditions d’assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 février 2020, R.G. 2018/AB/745

Mis en ligne le mardi 13 octobre 2020


Cour du travail de Bruxelles, 6 février 2020, R.G. 2018/AB/745

Terra Laboris

Dans un arrêt du 6 février 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions d’exemption des chauffeurs de taxi à l’assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés, le champ d’application de la loi du 27 juin 1969 ayant été étendu à ceux-ci sous certaines conditions.

Les faits

Un couple fonde en 2012 une société d’exploitation de taxis, adoptant la forme commerciale de la S.P.R.L. Précédemment, l’épouse exploitait cette activité en nom personnel et plusieurs chauffeurs travaillaient pour elle. Les chauffeurs furent désignés « associés actifs », à savoir, au total, cinq personnes. En 2013, l’O.N.S.S. s’intéressa au statut social de ceux-ci, qui étaient affiliés à une caisse d’assurances sociales pour indépendants. Lors de l’enquête, il apparut des déclarations du gérant que le couple possédait la grande majorité des parts sociales, soit cent-soixante (pour l’épouse), six (pour l’époux) et cinq pour chacun des chauffeurs de taxi. Ceux-ci firent des déclarations différentes, deux d’entre eux reconnaissant être titulaires d’une seule part, qu’ils avaient payée 500 euros comptant, un autre exposant qu’il avait 5% des parts mais ne pouvait en déterminer le nombre et le dernier (quatre personnes étant encore en service au moment de l’enquête) déclarant en avoir dix mais ne se souvenait plus du prix de la cession. Ce qui fut cependant établi était le paiement par la société des cotisations de sécurité sociale à la caisse d’assurances sociales ainsi que le paiement du précompte professionnel et les frais médicaux. En outre, chacun recevait un montant mensuel de 800 euros.

La conclusion de l’enquête fut d’assujettir ces personnes au régime de la sécurité sociale des travailleurs salariés. Des lettres recommandées furent envoyées. Suite au refus de la société de régulariser les cotisations, l’O.N.S.S. lança quatre citations en justice devant le Tribunal du travail de Leuven. Celles-ci furent jointes par jugement du 28 mai 2018.

Le tribunal déclara les demandes de l’O.N.S.S. non fondées. Celui-ci interjette appel.

La décision de la cour

La cour rappelle le champ d’application de la loi du 27 juin 1969 (« loi-ONSS »), dont la faculté pour le Roi d’extension de celui-ci aux chauffeurs de taxi qui travaillent dans des conditions similaires à celles d’un contrat de travail. L’arrêté royal d’exécution du 28 novembre 1969 prévoit cette extension en son article 3, 5°, aux personnes qui effectuent des transports de choses qui leur sont commandés par une entreprise, au moyen de véhicules dont ils ne sont pas propriétaires ou dont l’achat est financé ou le financement garanti par l’exploitant de cette entreprise ainsi qu’à cet exploitant.

Le 5°ter prévoit que ne sont pas visés les chauffeurs de taxi qui sont titulaires d’une licence d’exploitation d’un service de taxis délivrée par l’autorité compétente et qui sont propriétaires du véhicule ou des véhicules qu’ils exploitent ou qui en ont la disposition par contrat de vente à tempérament qui n’est pas financé ou dont le financement n’est pas garanti par l’entrepreneur. De même, les chauffeurs de taxi qui sont mandataires de la société qui exploite le véhicule et qui disposent de la licence d’exploitation, au sens de l’arrêté royal n° 38 organisant le statut social des travailleurs indépendants (en son article 3, § 1er, alinéa 4). Pour l’application du premier paragraphe de la disposition, on entend par « chauffeurs de taxi » les chauffeurs de véhicules appartenant à un service de taxis tel que défini par l’autorité compétente.

En l’espèce, les chauffeurs n’étaient pas titulaires d’une licence d’exploitation et n’étaient pas davantage propriétaires du véhicule qu’ils conduisaient. Ils ne payaient pas davantage de frais pour celui-ci. C’est la société qui était titulaire de la licence et ils roulaient avec des voitures propriété de celle-ci. Ils ne tombaient dès lors pas dans l’exception prévue à l’article 3, 5°ter, 1°. Le fait qu’ils possédaient des parts dans la société n’implique pas qu’ils en soient propriétaires au sens de la disposition légale. Ce serait dès lors l’article 3, 5°ter, 2° qui trouve à s’appliquer. La cour souligne cependant que la question est posée de savoir si les chauffeurs de taxi tombent dans cette exception. Celle-ci fait renvoi à l’article 3, § 1er, 4e alinéa de l’arrêté royal n° 38, selon lequel les personnes qui sont désignées comme mandataires dans une association ou une société de droit ou de fait qui se livre à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif, ou qui, sans être désignées, exercent un mandat dans une telle association ou société, sont présumées, de manière réfragable, exercer une activité professionnelle de travailleur indépendant. L’activité professionnelle de travailleurs indépendants, comme mandataires au sein d’une association ou une société assujettie à l’impôt belge des sociétés ou à l’impôt belge des non-résidents, est présumée, de manière réfragable, avoir lieu en Belgique (5e alinéa) (l’arrêté royal précise que ceci intervient sous réserve de l’application des articles 5bis et 13, § 3, étant les personnes chargées d’un mandat dans une institution, dans des conditions déterminées par le texte, ainsi que des hypothèses spécifiques).

La cour examine dès lors si les chauffeurs étaient désignés en tant que mandataires. Elle renvoie au Code civil (article 1984 et suivants) sur la définition du mandat, ainsi qu’au Code des sociétés et associations (plus exactement au Code des sociétés, tel qu’existant au moment des faits), pour conclure que le terme de mandataire désigné de la société au sens de l’arrêté royal n° 38 vise le gérant ainsi que la personne désignée comme mandataire conformément au droit commun (la cour renvoyant à la doctrine de Ch.-E. CLESSE, « Assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés », in Sécurité sociale, dispositions générales, Bruxelles, Bruylant, 2016, p. 52 et P. WERY, « Le mandat », Bruxelles, Larcier, 2019, p. 131). Elle conclut que les chauffeurs n’ont jamais été désignés comme mandataires de la société. La qualification d’« associé actif » n’est pas de nature à leur conférer cette qualité.

Se pose cependant également la question de savoir si les chauffeurs, sans avoir été désignés, exerçaient un mandat au sein de la société. L’examen des pièces relève qu’aucun d’entre eux n’a jamais exercé un mandat de fait, la détention de quelques parts n’étant pas de nature à leur donner un quelconque pouvoir de décision.

La cour en conclut qu’ils ne tombaient dans aucun des deux cas d’exception de l’article 3, 5°ter de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, de telle sorte que la loi doit trouver application.

Elle passe ensuite à l’examen de l’article 3, § 1er, 2e alinéa de l’arrêté royal n° 38, qui contient la présomption fiscale d’exercice d’une activité indépendante. Dans la mesure où ils sont considérés engagés dans les liens d’un contrat de travail, il y a lieu de se référer à l’alinéa 3 de la même disposition, selon lequel une activité professionnelle est censée être exercée en vertu d’un contrat de louage de travail lorsque, pour l’application de l’un des régimes de sécurité sociale en faveur des travailleurs salariés, l’intéressé est présumé être engagé, de ce chef, dans les liens d’un contrat de louage de travail. La présomption ne peut dès lors trouver à s’appliquer. Cette disposition est par ailleurs reprise dans la loi du 27 décembre 2006 sur la relation de travail en son article 332, qui indique les critères de requalification, sans qu’il soit possible de déroger à cette disposition notamment.

La cour examine ensuite les questions annexes, relatives notamment aux intérêts et aux délais de paiement demandés.

Intérêt de la décision

L’extension du champ d’application de la loi du 27 juin 1969 aux travailleurs chargés de transport de choses ou de personnes a fait l’objet de diverses interventions de la Cour de cassation. L’on peut relever son arrêt du 14 janvier 2019 (Cass., 14 janvier 2019, n° S.18.0041.F – précédemment commenté –, où elle a jugé que l’article 3, 5°, de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 étend l’application de la loi du 27 juin 1969 aux personnes qui effectuent des transports (...) de choses qui leur sont commandés par une entreprise, au moyen de véhicules dont ils ne sont pas propriétaires ou dont l’achat est financé ou le financement garanti par l’exploitant de cette entreprise ainsi qu’à cet exploitant. Dès lors qu’il est constaté qu’un prestataire effectuait du transport de choses en conduisant des camions dont il n’était pas propriétaire, le juge ne peut, sans violer cette disposition, rejeter la demande de l’O.N.S.S. au motif que celui-ci ne rapporte « pas la preuve que le ou les véhicules qu’utilisait monsieur H. étaient financés ou que le financement en était garanti par une entreprise qui (lui) commandait ces transports »), ainsi que celui du 5 novembre 2018 (Cass., 5 novembre 2018, n° S.17.0014.N, où elle a dit pour droit qu’en vertu de l’article 3, 5° et 5°ter, de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, l’application de la loi est étendue aux personnes qui effectuent des transports de choses (dans certaines conditions), aux chauffeurs de taxi et aux entrepreneurs qui les exploitent, sauf certaines exceptions. Ceux-ci sont présumés être dans une relation de travail qui s’exécute dans des conditions similaires à celles d’un contrat de travail. Il ne peut dès lors être décidé que ces dispositions trouvent application auxdites personnes uniquement si le juge est en mesure, à partir des conditions de travail concrètes, d’établir qu’il s’agit d’un travail effectué dans des conditions similaires à celles d’un contrat de travail).

Sur la notion d’entreprise au sens de la disposition légale, relevons encore l’arrêt du 25 janvier 2016 (Cass., 25 janvier 2016, n° S.14.0043.N – précédemment commenté –, où elle a défini la notion : elle vise toute entité qui correspond aux conditions visées, et ce même si elles n’ont pas une finalité commerciale).


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