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Régime de l’invalidité : application des règlements de coordination de l’Union européenne

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 16 mars 2020, R.G. 18/1.896/A

Mis en ligne le mercredi 28 octobre 2020


Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 16 mars 2020, R.G. 18/1.896/A

Régime de l’invalidité : application des règlements de coordination de l’Union européenne

Dans un jugement du 16 mars 2020, le tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) est amené à appliquer les règles de la coordination européenne en matière d’invalidité et rappelle dans son examen la distinction faite, dans la matière, entre les législations dites « de type A » et « de type B ».

Les faits

Une travailleuse indépendante (titulaire d’un diplôme de plombier, zingueur, couvreur) travaille en Belgique dans le secteur du bâtiment pendant 23 ans (1978-2001). Elle exerce les fonctions de couvreur et chauffagiste.

Elle déménage en Espagne et poursuit son activité professionnelle dans le secteur de la construction. Ses activités sont suspendues pour des problèmes de santé et elle reprend, ensuite, une activité professionnelle dans un autre secteur (technicien vélo). Elle retombe en incapacité de travail. Elle est reconnue, en Espagne, comme atteinte d’une incapacité permanente de 75%, ce qui lui ouvre le droit à une « pension ». L’octroi porte jusqu’en février 2020.

Elle introduit auprès de l’institution de sécurité sociale du pays de résidence une demande d’indemnités AMI conformément à la législation belge. L’examen de ses droits est dès lors effectué dans le cadre des règlements de coordination.

Elle est reconnue incapable de travailler au sens de l’article 100, § 1er, de la loi coordonnée par le Conseil médical de l’invalidité, et ce en février 2018.

En mai de la même année, elle est examinée en Espagne et un rapport est transmis à l’organisme assureur belge, confirmant qu’à ce moment un travail adapté est possible, l’incapacité permanente totale pour le travail habituel devant être confirmée.

L’I.N.A.M.I. l’informe alors de sa décision d’autoriser l’organisme assureur à verser à l’intéressée sa pension d’invalidité, mais celui-ci, sur la base de l’examen médical pratiqué en Espagne, estime qu’il n’y a plus incapacité de travail au sens de l’article 100, § 1er, de la loi, vu que n’existe plus une réduction des deux tiers de la capacité de gain au sens de cette disposition. Est soulignée la possibilité d’effectuer un travail adapté, et ce à temps plein.

Un recours est introduit contre cette décision, devant le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi).

La décision du tribunal

Le tribunal reprend, en premier lieu, les principes de la coordination, au sens du Règlement n° 883/2004, soulignant que, pour ce qui est de la détermination de la législation applicable, les personnes auxquelles est servie une prestation en espèces du fait ou à la suite de l’exercice d’une activité salariée ou non salariée sont considérées comme exerçant cette activité. Ceci ne vaut cependant pas pour les pensions d’invalidité, de vieillesse ou de survivant, non plus que pour les indemnités dans le secteur du risque professionnel ou les prestations de maladie en espèces couvrant des soins à durée illimitée.

La personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un Etat membre est, comme le rappelle le tribunal, soumise, conformément à l’article 11, point 3, du Règlement, à la législation de cet Etat membre. Et, de même, sont soumises à la législation de l’Etat de résidence les personnes autres que celles visées dans des cas spécifiques repris à la disposition, et ce sans préjudice d’autres dispositions du Règlement qui leur garantiraient des prestations en vertu de la législation d’un ou de plusieurs Etats membres.

Pour le tribunal, il y a donc deux règles distinctes, permettant de déterminer la loi applicable, et ce selon que les personnes sont considérées comme exerçant une activité ou non.

Celles qui sont non actives et bénéficient de prestations en espèces du fait ou à la suite de l’exercice d’une activité (salariée ou non) sont assimilées à des personnes actives de l’Etat dont elles relevaient lorsqu’elles exerçaient cette activité, mais ceci ne s’applique que pour les prestations à court terme (maladie, maternité, paternité) et non notamment pour les pensions d’invalidité ou les prestations de maladie en espèces couvrant des soins à durée illimitée. Pour celles-ci (personnes non actives bénéficiaires de telles prestations), la loi applicable est celle du pays de résidence.

Il faut dès lors définir la résidence au sens du Règlement et le tribunal en rappelle la notion spécifique, étant qu’il s’agit du lieu où une personne réside habituellement. Les modalités d’application de la disposition du Règlement n° 883/2004 sur la question sont intervenues dans le Règlement n° 987/2009 et, examinant les textes, le tribunal retient qu’il y a deux types de régimes d’invalidité, étant le régime de type A (prestations d’invalidité liées au risque et dont le montant est indépendant des périodes d’assurance ou de résidence) et le régime de type B (qui octroie des prestations dont le montant dépend des périodes d’assurance ou de résidence).

En vertu du Règlement n° 883/2004, la plupart des pensions d’invalidité sont liquidées suivant les mêmes règles que pour les pensions de vieillesse. Pour que l’on puisse appliquer les règles relatives au régime de type A, deux conditions sont posées, étant que des législations de type A soient seules concernées dans le cas d’espèce et que ces législations figurent dans l’Annexe VI du Règlement n° 883/2004.

Tel n’est pas le cas de la législation belge, dans laquelle le montant des prestations est indépendant de la durée de périodes d’assurance et de résidence. En conséquence, il ne s’agit pas de législation de type A. Renvoyant à un article de G. PIETQUIN (G. PIETQUIN, « La coordination des systèmes nationaux de sécurité sociale : de nouveaux règlements ! », Ind. Soc., 2009, Liv. 21, pp. 2-9), qui expose ainsi que la loi belge doit liquider par conséquent les pensions d’invalidité selon les règles applicables aux prestations de vieillesse, et ce en application de l’article 46 du Règlement de base.

Pour ce qui est, par ailleurs, de la fixation du degré d’invalidité, chaque institution a, conformément à sa législation, la faculté de faire examiner le demandeur. L’institution de l’Etat membre doit cependant prendre en considération les documents et rapports médicaux ainsi que d’autres renseignements d’ordre administratif recueillis par l’institution de tout autre Etat membre, et ce comme s’ils avaient été établis dans son propre Etat.

Enfin, pour ce qui est du contrôle médical et administratif, lorsqu’un bénéficiaire ou un demandeur de prestations séjourne et réside sur le territoire d’un Etat membre autre que celui où se trouve l’institution débitrice, le contrôle médical est effectué par l’institution du lieu de séjour ou de résidence. L’institution du lieu de résidence doit dans ce cas transmettre à l’institution débitrice qui a demandé le contrôle médical un rapport et cette institution est liée par les constatations faites. Elle conserve la faculté de faire examiner le bénéficiaire par un médecin de son choix, mais celui-ci ne peut cependant être invité à se rendre dans l’Etat membre de l’institution débitrice que s’il est apte à effectuer le déplacement et que ceci ne nuit pas à sa santé.

Après ce rappel des règles de la coordination, le tribunal va désigner un expert aux fins d’examiner l’intéressée.

Il constate, en effet, qu’étant ressortissante belge résidant en Espagne, la demanderesse bénéfice d’indemnités d’invalidité versées par son organisme assureur et qu’elle n’est pas une personne exerçant une activité au sens du Règlement, s’agissant d’une personne inactive. Elle est dès lors soumise à la loi espagnole. Celle-ci est applicable, sans préjudice des dispositions garantissant à la demanderesse le bénéfice d’indemnités d’invalidité en Belgique, et ce conformément à la législation belge. L’intéressée a en effet été soumise à la loi belge et ensuite à la loi espagnole. La loi belge n’est pas une législation de type A, vu qu’elle n’est pas reprise dans l’Annexe VI. La demanderesse peut dès lors bénéficier d’indemnités d’invalidité, liquidées selon les règles applicables aux pensions de vieillesse. La partie défenderesse doit vérifier le droit à ces prestations et calculer les indemnités auxquelles la demanderesse a droit en vertu de sa législation nationale, et ce y compris pour ce qui est des règles anti-cumul.

Le tribunal souligne encore qu’aucune concordance des conditions relatives au degré d’invalidité entre les lois belge et espagnole ne figure à l’Annexe VI du Règlement et que, en conséquence, la décision de l’institution espagnole quant au degré d’invalidité ne s’impose pas à l’organisme assureur AMI belge.

Résidant en Espagne, la demanderesse a été convoquée pour un examen et l’institution espagnole a transmis un dossier, dont il y a lieu de tenir compte, et c’est sur la base de celui-ci d’ailleurs que l’organisme assureur AMI a considéré que les conditions de l’article 100, § 1er, de la loi coordonnée n’étaient plus remplies. Aussi un expert a-t-il été demandé, et ce vu l’existence de rapports médicaux confirmant une incapacité permanente totale.

Le tribunal ne fait cependant pas droit à la demande d’expertise « sur pièces » sans examen clinique formulé par la demanderesse, au motif qu’il n’est pas établi qu’elle serait inapte à effectuer le déplacement Espagne-Belgique sans que ceci ne nuise à sa santé.

Intérêt de la décision

Dans ce beau jugement, qui décline les règles applicables, le tribunal du travail rappelle plusieurs questions d’intérêt, dans la matière AMI, dont l’existence de l’Annexe VI au Règlement n° 883/2004. Cette Annexe VI permet notamment d’admettre la comparabilité des critères des législations nationales, dont la concordance des conditions relatives au degré d’invalidité. Est également rappelée la procédure à suivre, dès lors que l’assuré social réside dans un autre Etat membre que celui qui est débiteur de prestations de sécurité sociale, ainsi que la distinction faite entre les deux régimes d’invalidité dans l’Union européenne (régime de type A, où les prestations d’invalidité sont liées au risque et le montant indépendant des périodes d’assurance ou de résidence, et le régime de type B, dans lequel les prestations dépendent des périodes d’assurance ou de résidence).


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