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Maladie professionnelle et notion de cause déterminante et directe : un arrêt de principe de la Cour de cassation

Commentaire de Cass., 22 juin 2020, n° S.18.0009.F

Mis en ligne le lundi 30 novembre 2020


Cour de cassation, 22 juin 2020, n° S.18.0009.F

Terra Laboris

Maladie professionnelle et notion de cause déterminante et directe : un arrêt de principe de la Cour de cassation

Dans un important arrêt du 22 juin 2020, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence en la matière, étant la décision qu’elle a rendue le 2 février 1998 sur la définition de la cause déterminante et directe de la maladie d’origine professionnelle dont la réparation est demandée dans le cadre du système « hors liste ».

Le litige

La Cour est saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Liège du 23 janvier 2017, le pourvoi visant essentiellement l’article 30bis des lois coordonnées le 3 juin 1970.

L’arrêt de la Cour du travail

La cour avait été saisie d’une demande de réparation d’une maladie hors liste.

Dans son arrêt, elle avait conclu, quant à la réalité de la pathologie, que celle-ci (gonarthrose) ne semblait pas réellement contestée par FEDRIS, la cour demandant néanmoins à l’expert, qu’elle entendait désigner au terme de sa décision, de la vérifier. Cependant, la contestation portant sur l’exposition au risque et le lien causal, la cour décida, sur le premier point, qu’existait assez d’indices pour justifier la désignation d’un expert. Pour le second, elle se livra à une longue analyse de l’article 30bis, étant essentiellement de savoir ce qu’il y a lieu d’entendre par « cause déterminante et directe ».

Elle renvoya à l’enseignement de la Cour de cassation, en son arrêt du 2 février 1998 (Cass., 2 février 1998, n° S.97.0109.N), selon lequel il ne ressort pas des travaux parlementaires que, par les termes « déterminante et directe », l’article 30bis ait disposé que le risque professionnel doit être la cause exclusive ou principale de la maladie. Le lien de causalité requis (entre l’exercice de la profession et la maladie) ne requiert pas que cet exercice en soit la cause exclusive, la loi n’excluant pas une prédisposition et n’imposant pas que l’ayant droit doive établir l’importance de l’influence exercée par celle-ci.

La cause doit cependant être réelle et manifeste et la cour du travail avait précisé que le lien causal doit être considéré comme existant, dès lors que, sans le risque, la maladie ne serait pas survenue telle quelle, ce qui signifie que l’on s’approche de la théorie de l’équivalence des conditions. La cour avait ajouté que, si l’exposition a, avec certitude, aggravé la maladie, le lien causal est établi. Elle avait également considéré que, dès lors que l’expert – et après lui le juge – estime que le lien causal est prouvé, il n’est pas nécessaire d’examiner de manière détaillée tous les autres facteurs susceptibles d’avoir une incidence sur l’apparition et le développement de la maladie.

La gonarthrose étant, selon FEDRIS, susceptible d’être cependant en lien causal avec un accident du travail, et une deuxième indemnisation ne pouvant être décidée pour les mêmes séquelles, la cour rappela que les deux régimes prévoient une indemnisation forfaitaire. Elle renvoya à l’hypothèse des accidents du travail successifs, pour lesquels la Cour de cassation a, à juste titre, considéré que, si le dernier accident a aggravé les conséquences d’un accident antérieur, l’incapacité permanente de travail doit être appréciée dans son ensemble lorsque cette incapacité telle que constatée après le dernier accident est, fût-ce partiellement, la conséquence de celui-ci. La fixation du taux d’I.P.P. intervient en comparant la valeur de la victime sur le marché du travail sans aucune atteinte par un état pathologique préalable ou un accident antérieur avec cette même valeur à la date de la consolidation du dernier accident dont il y a lieu d’évaluer les conséquences.

La cour du travail avait également renvoyé à un arrêt de la Cour constitutionnelle du 26 mai 2002, qui avait dit pour droit que l’incapacité permanente résultant d’un accident du travail qui aggrave une lésion fonctionnelle provoquée par un ou plusieurs accidents antérieurs doit être appréciée dans son ensemble sans tenir compte de l’incapacité de travail préexistante. La règle de l’indifférence de l’état antérieur doit, pour la cour du travail, être appliquée dans l’hypothèse où le travailleur a été victime tant d’un accident du travail que d’une maladie professionnelle dans le cadre de l’indemnisation forfaitaire. La cour du travail avait exposé les justifications de cette règle, étant qu’est réparée l’atteinte à la valeur économique de la victime, cette valeur trouvant sa traduction dans la rémunération de base de l’année précédant l’accident ou de la demande d’indemnisation de la maladie professionnelle, le montant de la rémunération pouvant avoir été déjà affecté par d’éventuelles altérations antérieures de la capacité de travail.

Pour la cour du travail, ce raisonnement aboutit à considérer que la rémunération de référence de l’assuré social est censée avoir été affectée dans son montant par la réduction due à l’état antérieur de sa valeur économique. Il ne peut dès lors être soutenu que le même dommage est réparé deux fois. Elle avait en conséquence rejeté que soit posée à l’expert la question du lien de causalité existant entre l’accident du travail et l’incapacité, cet élément étant sans incidence sur l’indemnisation de la maladie professionnelle. La mission qui lui fut donnée en ce qui concerne l’incapacité permanente était d’apprécier celle-ci sans déduire du taux celui qui pourrait éventuellement résulter de l’accident du travail.

Le pourvoi

Le pourvoi fait valoir que la volonté du législateur lors de l’introduction de l’article 30bis dans les lois coordonnées par la loi du 29 décembre 1990 n’a pas été que l’exigence de la causalité soit analysée comme dans le cadre de l’article 1382 du Code civil selon la théorie de l’équivalence des conditions. Si tel avait été le cas, le législateur n’aurait pas qualifié expressément le lien causal de « déterminant et direct ». La mention dans l’article 30bis d’une causalité déterminante et directe a pour objectif d’ajouter des conditions à la simple application de la théorie de l’équivalence des conditions. Le moyen fait grief à l’arrêt d’avoir considéré que la maladie trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession, comme prévu par l’article 30bis des lois coordonnées, dès que la maladie trouve sa cause dans plusieurs facteurs, dont l’exposition au risque professionnel, et ce même si cette exposition n’a qu’un impact modeste, en d’autres termes n’est qu’une cause modeste de l’apparition ou de l’aggravation de la maladie.

Il conclut à la violation de l’article 30bis des lois coordonnées, dès lors que l’arrêt a décidé que la maladie trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession au sens de la disposition légale dès que, sans l’exposition au risque professionnel (sans l’exercice de la profession), la maladie ne serait pas survenue telle quelle et qu’il suffit que l’exposition au risque ait eu un impact modeste sur l’apparition et le développement de celle-ci.

Le moyen fait encore grief à la cour du travail d’avoir décidé que le lien de causalité qui existerait entre l’accident du travail (survenu en 2002) et la maladie dont il demande réparation est sans importance pour déterminer si cette maladie trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession, puisque l’impact de l’accident du travail, fût-il modeste, sur l’apparition ou le développement de la maladie ne peut être gommé.

La décision de la Cour

La Cour rejette le pourvoi.

Elle renvoie aux recommandations des 23 juin 1962 concernant l’adoption d’une liste européenne des maladies professionnelles et 20 juillet 1966 relatives aux conditions d’indemnisation des victimes des maladies professionnelles ainsi qu’à celles du 22 mai 1990 (90/326/CEE) concernant l’adoption d’une liste européenne des maladies professionnelles et celle du 19 septembre 2003 concernant la liste européenne des maladies professionnelles (2003/670/CE), qui la remplacent. Celles-ci recommandent aux Etats membres de s’employer à introduire dans leurs dispositions nationales un droit à l’indemnisation pour les maladies professionnelles dont l’origine et le caractère professionnel peuvent être établis.

Elle souligne que la Commission n’a proposé aucune limite à la preuve de l’origine et du caractère professionnel de la maladie. Les travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 1990 ont souligné que le but de la disposition est d’étendre le champ d’application des lois coordonnées dans l’intérêt même des victimes lorsque celles-ci ou leurs ayants droit prouvent l’existence d’un rapport causal entre la maladie et l’exposition au risque professionnel.

Pour la Cour de cassation, il ne ressort pas de ces travaux préparatoires que le risque professionnel doit être la cause exclusive ou prépondérante de la maladie. Une prédisposition n’est pas exclue et l’article 30bis n’impose pas à la victime ou à l’ayant droit d’établir l’importance de l’influence exercée par la prédisposition, notamment que cette influence est moindre que celle de l’exercice de la profession.

La Cour conclut, en reprenant la motivation de l’arrêt, que celui-ci fait une exacte application de l’article 30bis des lois coordonnées.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt – arrêt de principe sur la question –, la Cour de cassation reprend quasi-textuellement la motivation de son arrêt phare du 2 février 1998 (n° S.97.0109.N), tant en ce qui concerne l’absence de limite à la preuve qui figurerait dans les recommandations de la Commission que pour ce qui est de la reprise des travaux parlementaires.

Cet arrêt du 2 février 1998 constituait la référence dans la matière, vu les précisions qu’il renferme quant à la preuve requise afin de remplir la condition de causalité au sens de l’article 30bis, qui exige que la cause soit déterminante et directe.

L’on notera qu’il se confirme, dans cet arrêt du 22 juin 2020, que la jurisprudence de la Cour suprême reste constante sur la question :

  • L’article 30bis n’exige pas que le risque professionnel soit la cause exclusive ou même principale de la maladie ;
  • Une monocausalité n’est pas requise, la pluricausalité étant admise, ce qui implique qu’une prédisposition est admise ;
  • Enfin, la victime (ou l’ayant droit) ne doit pas établir l’importance de l’influence exercée par la prédisposition elle-même.

L’on notera, sur ce dernier point, que la Cour de cassation ajoute dans son arrêt du 22 juin 2020 à la règle selon laquelle l’article 30bis n’impose pas que la victime (ou l’ayant droit) établisse l’importance de l’influence exercée par la prédisposition, « notamment que cette influence est moindre que celle de cet exercice ».

Une précision complémentaire existe dès lors actuellement, étant que peu importe l’influence de la prédisposition, la causalité déterminante et directe étant présente, même s’il est établi que l’influence de l’exercice de la profession est moindre que celui de la prédisposition elle-même.


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