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Une activité professionnelle exercée à l’étranger peut-elle être prise en compte pour l’octroi du statut d’indépendant à titre complémentaire en Belgique ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 février 2020, R.G. 2017/AB/776

Mis en ligne le lundi 14 décembre 2020


Cour du travail de Bruxelles, 19 février 2020, R.G. 2017/AB/776

Terra Laboris

Dans un arrêt du 19 février 2020, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que le statut d’indépendant complémentaire n’est applicable que si l’autre activité professionnelle exercée et donnant lieu au paiement de cotisations destinées au financement de la sécurité sociale est exercée en Belgique – ceci sous réserve de l’application des règlements européens de coordination de sécurité sociale ou de conventions internationales.

Les faits

Un travailleur indépendant, associé et co-fondateur d’une société, y a exercé un mandat de gérant à titre gratuit, détenant un tiers des parts sociales.

Il a, pendant deux ans, au début des années 2000, dépendu du régime OSSOM, séjournant à l’étranger (Madagascar). Son assujettissement au statut social a été maintenu à titre complémentaire et est redevenu un assujettissement à titre principal à son retour. Cinq ans plus tard, il s’est installé dans ce pays, où il était engagé comme travailleur salarié. Il a dépendu du régime de prévoyance sociale local.

En août 2011, lui sont réclamées des cotisations sociales (avec majoration, intérêts et frais) pour les années 2007 (toute l’année), 2009 (les trois derniers trimestres), 2010 (toute l’année) et 2011 (les deux premiers trimestres). Une sommation avant contrainte lui est alors notifiée. Le conseil de la société adresse un courrier recommandé à la caisse, exposant que l’intéressé a quitté la Belgique, étant salarié à l’étranger. La contrainte par exploit d’huissier est alors signifiée et opposition à contrainte est formée par l’intéressé et la société.

Un jugement est intervenu en octobre 2012, condamnant les parties demanderesses à un montant provisionnel de 4.000 euros environ. Appel a été interjeté, cependant, mais uniquement en ce qui concerne la contrainte.

Un second jugement est alors intervenu et la condamnation au solde, étant la totalité des trimestres réclamés, a été prononcée. Appel est interjeté également.

La décision de la cour

La cour reprend le mécanisme de recouvrement des cotisations.

Outre la citation en justice, les caisses disposent, en vertu de l’article 20, § 7, de l’arrêté royal n° 38, de la possibilité de procéder au recouvrement des sommes dues (ainsi que de l’amende administrative) par voie de contrainte. L’arrêté royal d’exécution, du 19 décembre 1967, règle les conditions de celle-ci. Son article 47bis prévoit la possibilité de récupérer par cette voie les cotisations, majorations, intérêts de retard et autres accessoires, pour autant que l’assujetti n’ait pas contesté les sommes réclamées ou sollicité l’octroi de termes et délais (et obtenu ceux-ci). Cette demande doit être formée par lettre recommandée à la poste dans le mois de signification ou de la notification du rappel.

En l’espèce, la cour constate qu’il y a eu une contestation et qu’elle a été faite selon les formes et délais prescrits par le texte. La contrainte ne pouvait dès lors être notifiée et elle est irrégulière. En conséquence, les frais y relatifs doivent être délaissés à la caisse.

La cour en vient ensuite à la valeur d’une contrainte irrégulière, étant qu’elle peut à tout le moins valoir comme mise en demeure ayant fait naître une contestation. Dans le cadre de la procédure qui a été initiée, les parties ont pu exposer leur demande, la caisse ayant pu réclamer dans ses conclusions qu’au cas où la contrainte serait déclarée irrégulière, la condamnation des deux parties demanderesses originaires au paiement des cotisations intervienne. Renvoi est ici fait à deux décisions de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 11 mars 2011, R.G. 2010/AB/91 et C. trav. Bruxelles, 10 février 2017, R.G. 2015/AB/1.121). Le juge est dès lors valablement saisi.

Ceci permet à la cour d’examiner la situation de l’intéressé, qui, en sa qualité de mandataire, devait être assujetti au statut social. Il était le seul à exercer dans la société un tel mandat et participait dès lors nécessairement aux opérations à caractère lucratif de la société. Il s’agit d’une activité professionnelle au sens de l’arrêté royal n° 38. Il faisait en outre fructifier le capital et la cour rappelle que celui-ci lui appartenait en partie. Le fait qu’une rémunération effective n’ait pas été versée est sans incidence, de même que la seule gratuité « en droit ».

L’intéressé plaidant par ailleurs qu’il ne pouvait être considéré comme indépendant à titre principal pendant une partie de la période, vu son occupation en tant que travailleur salarié à Madagascar, et que le seuil des revenus visé à l’article 12, § 2, de l’arrêté royal n° 38 n’était pas atteint, la cour rappelle l’absence de convention internationale entre la Belgique et Madagascar régissant l’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants.

Le statut d’indépendant complémentaire suppose en effet que soit exercée habituellement et en ordre principal une autre activité professionnelle. L’arrêté royal d’exécution donne les diverses hypothèses existant à cet égard, dont celle d’être occupé en qualité de travailleur salarié dans un régime de travail dont le nombre d’heures mensuelles est au moins égal à la moitié de celui d’un travailleur occupé à temps plein dans la même entreprise ou, à défaut, dans la même branche d’activité.

La cour rappelle que la Cour de cassation est intervenue à deux reprises, rappelant, dans un premier arrêt du 5 décembre 2011 (Cass., 5 décembre 2011, n° 10.0174.F), que seules sont prises en compte les activités exercées sur le territoire de la Belgique et indiquant que, dans un arrêt subséquent du 14 décembre 2015 (Cass., 14 décembre 2015, n° S.13.0015.F), la Cour a cassé une décision admettant l’exercice d’une activité « dans tout pays étranger ».

Dès lors, les activités de travailleur salarié ne peuvent être prises en considération au titre d’activité professionnelle exercée à titre principal et, renvoyant encore à l’arrêt du 14 décembre 2015, la cour du travail rappelle le caractère raisonnablement justifié de cette décision, eu égard aux règles constitutionnelles de l’égalité des Belges devant la loi et de la non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés.

Le régime de cotisations propre aux travailleurs indépendants qui exercent habituellement et en ordre principal à côté de l’activité professionnelle d’indépendant une autre activité a pour but de dispenser de cotisations certains travailleurs indépendants qui participent par ailleurs déjà au financement de la sécurité sociale belge. La distinction opérée en ce qui concerne les activités sur le territoire et celles exercées à l’étranger est raisonnablement justifiée, ceci toutefois sous réserve de l’application des règlements européens ou des conventions de sécurité sociale.

En conséquence, le travailleur avait la qualité de travailleur indépendant à titre principal et les cotisations de sécurité sociale sont dues.

Intérêt de la décision

Le raisonnement de la cour procède en plusieurs étapes.

La première question étant de savoir si le mandataire de société exerçant dans les conditions exposées ci-dessus était redevable des cotisations au statut social, la cour a rappelé les principes à cet égard, étant qu’il était seul à exercer un mandat social et participait dès lors à l’activité lucrative de la société, faisant fructifier son capital, etc. Relevons à propos du critère de la gratuité que la gratuité « en droit » n’est pas suffisante, mais que doit être également établie la gratuité « en fait ». N’est pas assimilée à une telle gratuité « en fait » l’absence de rémunération effective.

Dans un deuxième temps, la cour a examiné l’obligation pour cet indépendant, en principe soumis aux cotisations, de payer celles-ci en cas d’activité exercée à l’étranger. Le rappel est fait de la jurisprudence de la Cour de cassation à cet égard : sous réserve de l’application des règlements européens de coordination, l’exercice d’une activité à l’étranger ne peut être pris en compte. L’arrêt de la Cour de cassation du 14 décembre 2015 expose le fondement de l’existence de la règle au regard des règles constitutionnelles de l’égalité des Belges devant la loi et du principe de non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés : l’existence d’un régime d’indépendant à titre complémentaire est justifiée vu l’obligation pour les travailleurs de contribuer au financement de la sécurité sociale. Dans la mesure où une activité salariée est exercée par ailleurs, les travailleurs en cause participent ainsi déjà à ce financement.

Enfin, la cour a rappelé que, si une contrainte est irrégulière, elle vaut au moins en tant que mise en demeure faisant naître une contestation entre le travailleur et l’institution de sécurité sociale.

Renvoi a été fait dans l’arrêt à une décision de la Cour du travail de Bruxelles du 10 février 2017 (R.G. 2015/AB/1.121). Dans cette décision, la cour avait considéré que, sur le plan procédural, et compte tenu du principe d’économie de procédure, rien ne justifie qu’une caisse d’assurances sociales doive attendre que la question de la régularité de la contrainte soit définitivement tranchée pour saisir le tribunal d’une demande portant sur des cotisations impayées depuis des années, la circonstance que les caisses disposent de deux voies de recouvrement n’ayant pas pour conséquence que, après avoir choisi l’une d’entre elles, elles ne pourraient faire usage de l’autre, fût-ce à titre subsidiaire.

Dans un arrêt légèrement postérieur du 10 novembre 2017 (C. trav. Bruxelles, 10 novembre 2017, R.G. 2016/AB/542), elle avait retenu la même solution que dans l’arrêt commenté en cas d’irrégularité d’une contrainte. Celle-ci n’a pas pour conséquence que le tribunal n’a pas pu être valablement saisi de la contestation portant sur la prétention de la Caisse d’obtenir paiement des cotisations sociales dues. Même irrégulière, une contrainte vaut, à tout le moins, comme mise en demeure ayant fait naître une contestation que le débiteur pouvait prendre l’initiative de soumettre au tribunal par le biais d’une citation, procédure dans le cadre de laquelle le créancier peut, par le biais des conclusions qu’il dépose, demander que, dans l’hypothèse où l’opposition à contrainte ne serait pas déclarée irrecevable, le débiteur soit condamné au paiement d’une somme déterminée à titre de cotisations sociales. Ainsi, indépendamment de la régularité de la contrainte, la juridiction saisie doit-elle se prononcer sur le fondement de la demande reconventionnelle qui a le même objet que la contrainte.


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